Ce qui se trame sous le manteau... - L'Infirmière Libérale Magazine n° 190 du 01/02/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 190 du 01/02/2004

 

SOINS PALLIATIFS

Actualités

L'Événement

Euthanasie ou soins palliatifs ? Comment "gérer" la mort dans nos sociétés post-modernes ? Contre le "consensus mou", certaines évidences méritent d'être questionnées. En guise de contribution au débat.

À l'heure où le nouveau "contrat de santé publique" (CSP) sur les soins palliatifs fait l'objet d'ultimes négociations entre partenaires conventionnels (cf. ILM 189, pp. 6-8), cette question peut utilement être éclairée d'avis contradictoires. Histoire d'apporter un peu de contraste au sujet. Histoire aussi d'interroger quelques évidences a priori très consensuelles, mais qui sont pourtant loin d'être complètement neutres.

D'abord, parce que les soins palliatifs ne sont pas des soins tout à fait comme les autres. Ensuite, parce que leur perception et leur représentation diffèrent grandement selon que l'on s'adresse aux initiés ou au grand public. Enfin, parce que la question des soins palliatifs renvoie à la question du mourir et des limites de la vie humaine. Les dimensions sociétale, éthique et philosophique de cette question sont donc essentielles.

Entre laïcité et sacré

Ainsi, pour le philosophe Michel Onfray, les soins palliatifs constituent « une excellente occasion de restaurer en catimini les pouvoirs de la religion » dans les soins, sous prétexte d'accompagner la mort : « Apprendre à mourir ? Quelle idiotie ! [...] Apprivoiser la mort ? Quelle autre sottise ! » Car, pour lui, la mort est inconcevable et jamais cette "bête sauvage" ne se laisse domestiquer...

Impossible d'échapper au triomphe du néant

Triomphe du néant, la mort est consubstantielle à l'être : « Elle n'est pas générée par autre chose que le fait d'exister. [...] Il n'y a aucune possibilité pour quiconque d'y échapper, de s'y soustraire. » Pour Michel Onfray, elle peut juste être sublimée (pour devenir socialement acceptable) ou refoulée, occultée.

Trêve d'hypocrisie. Selon Michel Onfray, « les soins palliatifs défendent une logique de soignants soucieux de leur salut plutôt qu'une logique de soignés motivée par le respect de la volonté, de la dignité, de la souveraineté, de la liberté et de l'autonomie du malade. »

Foin donc de consensus tiède et politiquement correct. De toute façon, que l'on soit pour ou contre les soins palliatifs, au moins doit-on savoir résolument pourquoi. Car contradictions et critiques font toujours progresser le débat.

Sous le manteau palliatif, se cache le retour du sacré...

- « Palliatif, quel drôle de mot ! Les thuriféraires de ce retour du religieux à l'hôpital devraient davantage se soucier de l'étymologie qui enseigne la dissimulation, ce qu'on cache sous le pallium, ce qui se pratique sous le manteau [...]. La palliation quant à elle correspond à la présentation d'une chose blâmable sous un jour favorable [...]. Le pallium aujourd'hui nomme l'ornement arboré par le souverain pontife [...]. Quand les soins palliatifs agissent, c'est donc de manière sémantique avec une tunique chrétienne qu'ils recouvrent le mourant... »

« Les officiants de ce nouveau culte sectaire pratiqué en milieu hospitalier - comme d'autres jadis dans les catacombes - invitent à placer dans la chambre du malade en phase terminale bougies, encens et musique sacrée... Pour donner au message palliatif une apparence de sérieux, rien de tel que d'ajouter à la bimbeloterie judéo-chrétienne une quincaillerie psychologique vaguement frottée de psychanalyse sauvage. [...] Ainsi dotés, les petits soldats du palliatif partent à la conquête de l'armée de mourants. Le combat menace peu, et pour cause... »

* Extrait de Onfray Michel, Féeries anatomiques, Éd. Grasset, 2003, 382 pages, 22 Euro(s).

Euthanasie

La position de l'Académie nationale de médecine

La médiatisation des deux événements récents que furent le procès en appel de Christine Malèvre et la mort du jeune Vincent Humbert a ravivé les discussions sur le thème de l'euthanasie. Diverses instances s'interrogent à nouveau sur l'opportunité de légiférer sur ce douloureux et difficile problème. Parmi elles, l'Académie nationale de médecine a rappelé solennellement sa position, le 9 décembre 2003 :

1°- Le rôle du médecin et d'une équipe soignante est de soigner et ne saurait être de donner la mort, quelle que puisse être leur motivation.

2°- L'Académie nationale de médecine rappelle qu'elle s'oppose à tout acharnement thérapeutique et que le devoir du médecin est d'y substituer des soins palliatifs notamment destinés à lutter efficacement contre la douleur et assurer l'apaisement de la personne qui doit être accompagnée jusqu'au terme de sa vie. Une relative réduction de la durée de survie résultant de l'arrêt d'un processus mécanique d'assistance ou des effets des sédatifs sur un organisme parvenu au seuil irréversible de sa défaillance organique ne peut en aucun cas être assimilé à un acte d'euthanasie.

Le refus d'entreprendre une réanimation ou de la prolonger lorsque toute possibilité de retour à une autonomie des fonctions vitales est devenue illusoire, de même que le refus de mettre en oeuvre une thérapeutique d'une gravité disproportionnée avec l'objectif poursuivi ne sauraient être considérés comme une non assistance à personne en danger.

3°- L'Académie nationale de médecine se déclare résolument hostile à toute disposition visant à dépénaliser l'euthanasie et l'assistance au suicide, son équivalent, quand bien même les conditions de leur pratique seraient fixées par voie réglementaire à l'exemple des législations néerlandaise et belge, qui se démarquent en cela de la position européenne commune. L'Académie estime en effet que les risques de dérives seraient patents.

Elle est fermement attachée à l'obligation déontologique du médecin de soigner le malade comme de l'accompagner quand sa guérison ne peut plus être espérée. Il serait inacceptable que la relation de confiance entre le malade et le médecin, notamment quand elle concerne les personnes âgées en fin de vie, puisse être ébranlée par le pouvoir donné au médecin de mettre un terme à la vie de celui ou celle qu'il avait le devoir d'accompagner jusqu'a son terme.

4°- En revanche, considérant le vide juridique actuel qui entoure l'euthanasie, constatant que le terme même ne figure dans aucun texte législatif ou réglementaire, l'Académie nationale de médecine observe que de ce fait un acte d'euthanasie est assimilé à un assassinat (dès lors qu'il ne peut être que prémédité). C'est pourquoi elle souhaiterait que, si le législateur devait se saisir de la question, en dépit des risques que comporte l'approche législative d'un sujet si sensible, le terme d'euthanasie (de même que l'assistance au suicide) soient inscrits dans la loi au même titre que les termes meurtre et assassinat. Dès lors l'acte d'euthanasie serait bien reconnu pour ce qu'il est, transgression et crime, mais cependant d'une autre inspiration qu'un meurtre ou un assassinat.

5°- Toutefois, l'Académie nationale de médecine ne peut méconnaître que peuvent exister des circonstances hors normes qui, dans des situations toujours uniques, peuvent conduire un médecin et l'équipe soignante qui l'entoure à répondre à une demande clairement exprimée et réitérée d'une personne malade par un geste consenti après réflexion approfondie dans une décision collective. Elle reconnaît qu'il s'agit là sans ambiguïté d'une transgression qui peut donner lieu à des poursuites judiciaires.

6°- Si une disposition législative sur l'euthanasie était limitée à son inscription, comme l'Académie l'évoque ci-dessus, il appartiendrait au législateur d'introduire dans le Code de procédure pénale les dispositions permettant au juge de disposer de toutes les informations sur les circonstances dans lesquelles l'acte d'euthanasie (ou d'aide au suicide) a été pratiqué afin qu'il puisse ou non retenir une qualification.