Gestion des déchets d'activité de soins, améliorer les pratiques - L'Infirmière Libérale Magazine n° 192 du 01/04/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 192 du 01/04/2004

 

Perspecives et enjeux

L'enquête qui a été menée en 2003 sur 28 cabinets de soins infirmiers libéraux du département du Loiret a mis en évidence un certain nombre d'insuffisances dans la gestion des déchets d'activité de soins (Das).

La production de déchets croit en France d'environ 1 % par an. Elle s'élève actuellement à 650 millions de tonnes par an, dont 150 000 tonnes de déchets d'activité de soins (Das). Récemment rappelés en haut lieu, les objectifs ministériels sont de :

-> réduire la quantité de déchets produits ;

-> promouvoir la récupération de matière et d'énergie ;

-> minimiser l'impact des installations sur la santé et l'environnement ;

-> adapter les capacités d'élimination de déchets aux besoins.

UN SUJET D'INTÉRÊT MAJEUR

Dans la région Centre, la protection de l'environnement est un sujet d'intérêt majeur. C'est pourquoi le 4 juillet 2000, l'État, la Région et l'Ademe ont élaboré un accord-cadre pour la période 2000-2006. Dans une perspective de développement durable, cet accord a pour objectifs d'améliorer la qualité de l'environnement, d'économiser les ressources énergétiques, de limiter la production des déchets et de valoriser les ressources locales. Le traitement des déchets d'activité de soins est l'un des objectifs de ce programme.

La loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux oblige toute personne qui produit ou détient des déchets à en assurer (ou faire assurer) l'élimination conformément aux dispositions législatives. Le principe du "pollueur payeur" ainsi instauré s'applique également aux Das. Il introduit les quatre idées suivantes :

-> réduction de la production et de la nocivité des déchets ;

-> organisation du transport des déchets et limitation en distance et en volume ;

-> valorisation des déchets (récupération d'énergie en cas d'incinération des déchets d'activités de soins à risques infectieux) ;

-> information du public.

Cette loi prévoit également une planification de l'élimination des déchets, qui se fera au niveau régional pour les Déchets d'activités de soins à risques infectieux (Dasri).

OBJECTIF : ACTUALISER LE PREDAS

La région Centre a élaboré un Plan régional d'élimination des déchets d'activités de soins (Predas) qui comporte l'analyse de la situation, l'évolution de la production et de l'élimination des Das. Le Predas définit également les orientations de leur collecte et de leur traitement. Approuvé le 24 décembre 1998 par arrêté préfectoral pour une durée maximale de dix ans, le Predas est opposable aux tiers, et les décisions prises pour l'élimination des Das doivent être compatibles avec les orientations du plan.

Le travail que nous avons effectué entre dans le cadre de la mise à jour du Predas, dont le programme de contrôle des producteurs de Das en "secteur diffus" (cf. plus bas), à l'exception des patients en automédication, va s'achever en 2004. Ce travail, qui s'est déroulé de juin à septembre 2003, a comporté trois phases :

-> contrôle des entreprises de collecte de Das (de janvier à décembre 2003) ;

-> contrôle d'un échantillon de producteurs diffus (courant 2003) ;

-> information des producteurs de déchets (de septembre 2003 à juin 2004).

L'objectif principal de ce travail est d'améliorer les conditions d'élimination des Das des infirmières libérales du Loiret.

Le secteur diffus correspond à l'ensemble des producteurs de déchets d'activités de soins dont la production est faible et géographiquement dispersée. Il comprend l'ensemble des professionnels de santé exerçant le plus souvent à titre libéral et les ménages. Il est le pendant du secteur hospitalier (qui produit, lui, de grandes quantités de déchets dans un lieu clairement identifiable).

Les quantités de Dasri produites et déclarées par les professionnels sont difficiles à estimer. Certaines études ne prennent en compte que les piquants-coupants-tranchants (PCT) ; d'autres, l'ensemble des déchets de soins à risques infectieux. La production varie également suivant les catégories professionnelles, les spécialités, le nombre et le type d'actes pratiqués (cf. tableau 1 ci-contre).

Peu d'études ont été réalisées concernant les pratiques des infirmières libérales. En revanche, la gestion des Dasri a été évaluée par les Ddass de l'Aisne et de l'Oise lors d'une enquête postale déclarative réalisée en 2001-2002 en Picardie (cf. tableau ci-dessus). En 2000, l'Ademe évaluait la part de production de déchets de soins du secteur diffus à 8 % et à 70 kg par an et par infirmière libérale.

MÉTHODOLOGIE

- Enquête auprès des infirmières libérales du Loiret

L'étude que nous avons menée porte sur les cabinets de soins infirmiers recensés à partir du fichier Adeli, installés dans le Loiret en secteur libéral uniquement. Elle exclut donc les infirmières salariées intervenant à domicile, issues des Ssiad, des services d'HAD ou des centres de dialyse...

Il s'agit d'une enquête épidémiologique descriptive avec randomisation à l'aide du logiciel Épi-Info de 28 cabinets du Loiret.

Un courrier a été adressé à tous les cabinets retenus, pour les informer de notre démarche. Un appel téléphonique permettait ensuite une prise de rendez-vous pour l'enquête in situ.

Le questionnaire que nous avons construit permet d'évaluer non seulement les conditions d'élimination des Das, mais également l'ensemble des pratiques des infirmières du secteur libéral du Loiret, ainsi que leur activité.

- Enquête auprès des sociétés de collecte

Une enquête postale a été menée par le service Santé-Environnement de la Drass, en 2003, auprès des quatre sociétés de collecte du Loiret. Le dépouillement est en cours. Lorsqu'il sera terminé, il permettra de préciser pour chaque producteur de Dasri : la fréquence de collecte, la quantité de déchets produits, le type de contenants, le lieu et le mode de destruction, l'existence de bordereaux de suivi, l'existence d'un site de regroupement, le nom du collecteur et sa fonction.

LES RÉSULTATS

- Données générales

Parmi la population enquêtée, 64 % des professionnels exercent en groupe ; 57 % des cabinets sont composés de deux associés. La part d'activité à domicile représente près de 93 % de l'activité globale (avec une absence totale d'activité au cabinet pour 4 des 28 professionnels interrogés). L'âge moyen est proche de 46 ans. L'ancienneté du Diplôme d'État (DE) est de 24 ans en moyenne. La féminisation est importante (sex ratio = 0,04).

Sur le plan de la formation,16 infirmières (sur 28) sont abonnées à une revue professionnelle ; quatre ont suivi une formation dans les 12 derniers mois. Sur 28 professionnels, 23 souhaiteraient une formation. Les thèmes de prédilection sont le diabète (6/28), l'oncologie (5/28) et la prise en charge de la douleur (4/28). Aucun professionnel n'a émis le souhait de suivre une formation spécifique à l'hygiène...

Une étude sur l'activité d'un jour donné (le dernier jour travaillé) a permis de quantifier les actes des infirmières. Leur nombre est de 40 par jour en moyenne. La principale activité correspond aux prélèvements et aux injections (27/40), aux pansements courants (7/40), aux soins de nursing (3/40), et aux pansements lourds et complexes (2/40). Les autres soins portent sur les appareils respiratoire, urinaire ou digestif.

Les accidents d'exposition au sang (AES) concernent cinq infirmières (sur les 28 interrogées), qui affirment s'être piquées sur les douze derniers mois, soit près de 18 % de la population des professionnels étudiée. Leur fréquence varie de 1 à 20 AES par an.

- La gestion des déchets

Sur les 28 professionnelles interrogées, 23 connaissent leur production mensuelle. La quantité produite par infirmière et par mois est en moyenne de trois kilos et de 18 litres. Vingt infirmières ont signé une convention pour les PCT (dont une avec un LABM). Neuf infirmières ont signé une convention pour les Dasri mous. Quinze infirmières délivrent des bons de prise en charge, et dix des bordereaux de suivi. Six infirmières ont un local dédié au stockage des Dasri. Vingt-cinq infirmières les évacuent dans les délais réglementaires. Dix-sept ont recours à un site de stockage intermédiaire (seize sur un LABM et un sur un établissement de santé).

-> À domicile, toutes les infirmières (28/28) réalisent le tri des Das, ainsi que la séparation et l'évacuation des PCT ; 18 effectuent la collecte des PCT dans des conteneurs spécifiques. La collecte des Dasri mous est effectuée dans des contenants spécifiques dans cinq cas (sur 28) ; dans 25 cas, leur évacuation est assurée par le patient en ordures ménagères.

-> Au cabinet, toutes les infirmières (24/24) réalisent le tri des Das, ainsi que la séparation et l'évacuation des PCT ; 21 effectuent la collecte des PCT dans des conteneurs spécifiques. Dans dix cas (sur 24), la collecte des Dasri mous est effectuée dans des contenants spécifiques.

Enfin, en réponse aux questions libres sur la sécurité sanitaire et les difficultés pour assurer une bonne gestion des Dasri, 7 infirmières sur 28 évoquent la mauvaise gestion des PCT par les médecins et les patients en automédication (évacuation en ordures ménagères), tandis que 15 infirmières sur 28 refusent le transport des mous dans leur véhicule personnel.

ANALYSE DES RÉSULTATS

L'incidence des actes à risque observée ici est nettement supérieure à celle du secteur hospitalier : 27 contre 6,4. Le risque d'AES est majoré par le recapuchonage (systématique ou sporadique) des aiguilles (déclaré chez 20 infirmières sur 28), l'absence du port de gants (pour 82 % d'entre elles lors d'actes à risques) et le reversement des PCT collectés dans un autre conteneur de taille plus importante (pour 46 % des infirmières interrogées).

Alors que toutes les publications scientifiques, les guides de bonne pratique décrivent précisément le mécanisme de la survenue des AES, il paraît tout à fait inconcevable que de telles pratiques perdurent dans le secteur libéral. On ne peut que déplorer l'inobservance des recommandations ministérielles et des précautions standard.

Seulement 10 infirmières sur 28 (36 %) collectent les PCT dans des conteneurs spécifiques et ont signé une convention de prise en charge. Le pourcentage se réduit de manière importante si la preuve de l'incinération des déchets est exigée par la fourniture du bordereau de suivi (5/28, soit 18 %).

Enfin, alors que 82 % des infirmières souhaitent une formation, il reste très surprenant de constater qu'aucune d'entre elles n'avance le thème de l'hygiène...

DISCUSSION ET PROPOSITIONS

-> L'évacuation des PCT en filière spécifique semble acquise chez les infirmières libérales du Loiret, mais leur recueil non systématique dans des conteneurs dédiés, principalement à domicile, pose un problème sanitaire important avec les risques liés aux accidents d'exposition au sang. Cette insuffisance peut être dommageable, notamment pour les soignants et pour les agents de collecte.

L'ensemble des professionnels du secteur infirmier libéral doit disposer de conteneurs spécifiques au recueil des PCT, au cabinet et à domicile, doit justifier d'une convention de prise en charge de ces déchets, et apporter la preuve de leur élimination.

-> Le regroupement de professionnels pour réduire les coûts de traitement, la création de déchetteries spécifiques aux Dasri, la possibilité de signer une convention avec un établissement de santé ou l'octroi de crédits spécifiques de la part des pouvoirs publics (comme cela est le cas en secteur hospitalier), sont autant de pistes d'amélioration de la prise en charge des déchets de soins.

On peut aisément y adjoindre l'effort que pourraient consentir certains laboratoires pour :

- fournir des conteneurs adaptés aux mallettes de soins à domicile ;

- concevoir des conteneurs adaptés au recueil des seringues montées (HBPM...) ;

- développer les aiguilles de prélèvements à ailettes et des seringues "double corps" des HBPM.

-> Le recueil des Dasri mous devrait également être envisagé, comme le prévoit d'ailleurs la réglementation, mais celle-ci est très dense et sans doute plus adaptée aux producteurs hospitaliers.

Le transport des Dasri mous dans le véhicule personnel des soignants semble être un obstacle majeur à leur prise en charge, tant par leur représentation que par leur coût. Dans ces conditions et lors de soins à domicile, on pourrait envisager à terme que le conteneur spécifique fasse l'objet : d'une prescription médicale au même titre que les pansements, d'un remboursement, et d'un recueil à domicile par un collecteur agréé.

En effet, le recueil de tous les Dasri (PCT et mous) entraînerait inévitablement une production mensuelle supérieure à 5 kilogrammes, la nécessité d'une fréquence de collecte plus rapprochée, l'obligation d'un local de stockage dédié et un surcoût important pour le professionnel.

D'après notre enquête, la production mensuelle totale de Dasri (PCT et mous) s'élèverait à une dizaine de kilos par mois et par infirmière, représentant un coût annuel de 1 000 à 1 500 Euro(s). Rappelons que la production moyenne mensuelle est de trois kilos de PCT par infirmière, qu'elle fait l'objet d'une évacuation trimestrielle pour un coût d'environ 150 Euro(s) par an.

AMÉLIORER LA SÉCURITÉ SANITAIRE EN EXTRA-HOSPITALIER

Cette enquête a permis de mettre en avant une méconnaissance de la réglementation et des niveaux d'exigence requis pour une bonne gestion des déchets. Une analyse plus précise a été tentée pour rechercher les déterminants d'une bonne ou d'une mauvaise gestion des déchets en croisant des variables, mais le nombre restreint d'infirmières enquêtées n'a pas permis de mettre en évidence ces déterminants.

L' étude se poursuit en région Centre jusqu'en 2004 pour évaluer l'ensemble des cabinets de soins infirmiers randomisés.

L'enseignement majeur de cette étude est le constat d'une insuffisance de perception des risques liés aux conditions d'élimination des Dasri chez les infirmiers libéraux, qui tient à plusieurs phénomènes :

-> l'insuffisance de la formation professionnelle continue, malgré une demande importante, qui peut s'expliquer par les difficultés de se faire remplacer en raison d'une pénurie des effectifs et par une insuffisance des dispositions de prise en charge par le FIF-PL ;

-> l'absence d'un référent législatif permettant d'être informé des nouvelles dispositions réglementaires ;

-> un manque d'information générale due à l'absence d'une représentativité importante de la profession et d'un circuit de diffusion adapté ;

-> la méconnaissance et la diffusion parcellaire de référentiels spécifiques.

Cette étude doit également encourager les professionnels à développer une meilleure gestion des Das et des Dasri, car de telles pratiques ne seraient aujourd'hui plus acceptées en secteur hospitalier.

Les réformes hospitalières successives, la création des Clin et des équipes opérationnelles d'hygiène, l'obligation d'accréditation pour les établissements de santé, l'existence d'une législation opposable et un plan de contrôle défini et effectué par les autorités sanitaires ont permis d'obtenir en intra-hospitalier un niveau conséquent de sécurité sanitaire.

Un plan de contrôle des professionnels libéraux doit être envisagé.

Par ailleurs, un guide de bonnes pratiques sur la prévention des infections liées aux soins réalisés en dehors des établissements de santé sera prochainement disponible et diffusé en particulier sur le site du ministère (http://www.sante.gouv.fr).

Enfin, le projet de loi relatif à la politique de santé publique prévoit une disposition permettant de rendre opposables certaines règles d'hygiène aux professionnels de santé exerçant une activité libérale.

2-Enquête par les Ddass de l'Aisne et de l'Oise

- Évacuation des déchets durs en ordures ménagères 0 à 5 %

- Évacuation des déchets mous en ordures ménagères 60 à 70 %

- Production totale > 5 kg/mois 25 à 30 %

- Convention signée avec une société d'élimination ou de stockage 66 à 79 %

- Bons de prise en charge délivrés 31 à 58 %

- Bordereaux d'élimination 31 à 62 %

- Enlèvement par l'IDE au domicile des patients 46 à 47 %

Source : "Élimination des déchets de soins infectieux, enquête auprès des professionnels de santé", in Réseau-Santé-Environnement.

Pallier les insuffisances

- L'enquête qui a été menée de juin à septembre 2003 sur 28 cabinets de soins infirmiers dans le département du Loiret (région Centre) a mis en évidence un certain nombre d'insuffisances dans la gestion des déchets d'activité de soins (Das). Les insuffisances constatées génèrent un risque infectieux pour les soignants et les collecteurs d'ordures ménagères.

-> Points critiques

Les principaux points critiques relevés sont :

- le recueil non systématique des objets piquants dans un conteneur spécifique et/ou leur évacuation avec les déchets ménagers (principalement chez les patients en automédication) ;

- l'absence de conteneurs spécifiques pour les déchets mous ;

- le passage des déchets mous dans le circuit classique des ordures ménagères ;

- les craintes des soignants, voire leur refus, d'assurer le transport des déchets mous dans leur véhicule personnel ;

- l'absence de formation continue.

-> Des manques d'information

Par ailleurs, cette enquête a révélé un manque d'information des professionnels, qui porte principalement sur :

- les niveaux d'exigence actuellement requis pour une bonne gestion des déchets d'activité de soins ;

- la réglementation en vigueur.

Lexique

- Adeli : Répertoire des professions médicales et paramédicales

- Ademe : Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie

- AES : Accident d'exposition au sang

- Das : Déchet d'activité de soins

- Dasri : Déchet d'activité de soin à risques infectieux

- Ddass: Direction départementale des affaires sanitaires et sociales

- Drass : Direction régionale des affaires sanitaires et sociales

- FIF-PL : Fonds interprofessionnel de formation des professions libérales

- HAD : Hospitalisation à domicile

- LABM : Laboratoire d'analyses de biologie médicale

- PCT : Déchet piquant-coupant-tranchant

- Predas : Plan régional d'élimination des déchets d'activités de soins

- Ssiad : Service de soins infirmiers à domicile