Euthanasie : faut-il légiférer ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 194 du 01/06/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 194 du 01/06/2004

 

Juridique

L'actualité récente à travers les affaires Humbert et Malèvre a relancé le débat sur la question de la légalisation de l'euthanasie, tant d'un point de vue éthique que juridique. Expression du langage courant, l'euthanasie désigne en réalité divers comportements, dont le traitement pénal varie aussi au sein des législations européennes.

Du grec euthanasia signifiant la mort heureuse ou la bonne mort, s'opposent l'orthothanasie (arrêt des soins) et la dysthanasie (acharnement thérapeutique). Légalement, la France considère qu'abréger la vie d'autrui constitue un meurtre.

LA CONDAMNATION FRANÇAISE DE L'EUTHANASIE

Traditionnellement, la doctrine distingue l'euthanasie "positive" de l'euthanasie "passive". La première suppose la réalisation d'un acte précis mettant fin aux jours d'une personne, c'est-à-dire la commission, la réalisation d'un geste. L'euthanasie active est celle qui va donner la mort : provocation du décès par administration du cocktail lytique, par exemple. Elle est assimilée en France à l'homicide volontaire et condamnée par le Code pénal et le Code de déontologie médicale qui rappelle que : « le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments (...). Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Juridiquement, l'euthanasie active reçoit la qualification d'assassinat (article 221-3 du Code pénal), puisque le geste euthanasique suppose la volonté d'entraîner la mort et que ce geste aura été réalisé après mûre réflexion, c'est-à-dire avec préméditation. Ainsi, c'est sur le terrain de l'empoisonnement avec préméditation que le Dr Chaussoy est aujourd'hui poursuivi, après le décès du tétraplégique Vincent Humbert. En réalité, les poursuites sont peu fréquentes et les peines prononcées par les cours d'assises rarement sévères (peines de principe, telles que prison avec sursis) pour des raisons de pure compassion vis-à-vis de personnes désespérées et de soignants qui n'ont voulu que soulager leur patient, sauf en cas d'abus ou de doute sur le consentement du malade.

Plus délicate encore est la question de l'euthanasie passive, qui suppose une abstention : débrancher un appareil respiratoire, arrêter un traitement. Les tribunaux, pour peu qu'ils aient été saisis de ce genre d'affaires, ont aujourd'hui tendance à admettre l'interruption des soins par le médecin ou l'infirmière, ces derniers devant, dans la mesure du possible, se conformer à la volonté de leurs patients. Ainsi, si le patient en phase terminale est conscient et capable de réclamer l'arrêt de son traitement, la jurisprudence tend à admettre l'interruption thérapeutique sans l'incriminer. On peut citer plusieurs décisions allant en ce sens : en 1998, le Conseil régional de l'Ordre des médecins de Midi-Pyrénées a relaxé un médecin qui avait aidé à mourir une personne âgée paralytique. Toute autre avait été la position du Conseil régional de l'Ordre des médecins du Val-de-Marne qui, en 1990, avait condamné le Professeur Schwarzenberg à une interdiction d'exercice de la médecine pendant un an, suite à ses déclarations à la presse, confiant qu'il avait pratiqué à plusieurs reprises l'euthanasie.

Évidemment, les tribunaux français se montrent plus sévères face à des cas d'euthanasie passive opérés en l'absence de manifestation de volonté (affaire Malèvre).

En cas d'absence de manifestation de volonté, et c'est tout le débat aujourd'hui, les différents corps français médical, social et religieux acceptent certaines formes d'euthanasie passive, sans pour autant souhaiter légiférer sur la question, contrairement à nos voisins belges ou néerlandais, où l'euthanasie a été dépénalisée.

DÉPÉNALISATIONS AU SEIN DE L'EUROPE

La Belgique et les Pays-Bas ont légiféré pour légaliser l'euthanasie lorsqu'elle est pratiquée dans certaines conditions. La loi néerlandaise, adoptée en avril 2001, est entrée en vigueur le 1er avril 2002 et la loi belge, adoptée en mai 2002, s'applique depuis le 20 septembre 2002. Ces deux lois dépénalisent l'euthanasie, c'est-à-dire l'intervention destinée à mettre fin à la vie d'une personne à sa demande expresse, lorsqu'elle est pratiquée par un médecin qui respecte certaines conditions :

-> les unes relatives à l'état du patient qui doit être « capable et conscient », formuler sa demande de façon « volontaire, réfléchie et répétée », être libre de toute contrainte, et enfin se trouver « dans une situation médicale sans issue et dans un état d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable, qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable » ;

-> les autres relatives à la procédure : la demande du patient doit être établie par écrit dans un document qu'il rédige, date et signe. S'il n'est pas en état d'écrire lui-même, la demande est faite, en présence du médecin traitant, par une personne majeure qu'il choisit et qui ne doit avoir aucun intérêt matériel au décès. La demande n'a aucune valeur contraignante : aucun médecin n'est tenu de participer à un acte d'euthanasie. Cette demande doit figurer dans le dossier médical, tout comme les documents relatifs aux démarches ultérieures du médecin. Le patient peut révoquer sa demande à tout moment. Dans cette hypothèse, le document est retiré du dossier médical.

LES DÉMARCHES DU MÉDECIN

Le médecin a l'obligation de s'entretenir avec le patient et d'évoquer avec lui son état de santé et son espérance de vie, les possibilités thérapeutiques, les soins palliatifs et leurs conséquences. Il doit ainsi acquérir « la conviction qu'il n'y a aucune autre solution raisonnable dans sa situation et que la demande du patient est entièrement volontaire ». Le médecin doit avoir plusieurs entretiens « espacés d'un délai raisonnable » avec l'intéressé, afin de « s'assurer de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée ».

Le médecin doit également consulter un autre médecin, indépendant, spécialiste de la pathologie concernée, qui rédige un rapport constatant que les conditions de fond relatives à l'état de santé du patient sont remplies, ainsi que l'équipe soignante et les proches que le patient a désignés, si tel est le souhait du patient.

Si le malade n'est pas en phase terminale, la loi impose au médecin de consulter en plus un second médecin indépendant, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée, qui rédige un rapport établissant que les conditions médicales sont remplies et que la volonté du patient présente les caractéristiques légales. Dans ce cas, un délai d'au moins un mois devra être respecté entre la demande d'euthanasie et l'acte.

EXEMPLES EUROPÉENS : BELGIQUE ET PAYS-BAS

En Belgique comme aux Pays-Bas, la loi institue une procédure de contrôle des euthanasies : tout médecin qui pratique un tel acte doit établir un rapport, qu'il transmet à une commission ad hoc. Celle-ci réunit des médecins, des juristes et des spécialistes des questions éthiques. La commission de contrôle vérifie que l'euthanasie a eu lieu dans les conditions fixées par la loi. Lorsque ce n'est pas le cas, elle informe le ministère public.

Les deux lois reconnaissent la validité des demandes anticipées d'euthanasie, permettant ainsi à des médecins de pratiquer des euthanasies sur des personnes qui ne sont plus en mesure d'exprimer leur volonté, mais qui l'ont fait par écrit lorsqu'elles le pouvaient encore.

La légalisation de l'euthanasie emporte la reconnaissance du droit de tuer son prochain. Dans le contexte sociologique qui est le nôtre, à savoir le refus de la maladie et de la souffrance, il peut parfois paraître difficile, voire impossible, à certains professionnels de santé de ne pas répondre à l'appel désespéré d'un malade dont les souffrances sont insupportables et la fin inéluctable.

Néanmoins, il est permis d'espérer que toutes ces législations aujourd'hui en vigueur répondent véritablement à un besoin de reconnaissance du droit de mourir dans la dignité, et non pas à des contraintes économiques, notamment pour enrayer en partie la crise de certains systèmes de santé européens.

LES LOIS INÉBRANLABLES DE LA CONSCIENCE

Le débat éthique sur l'euthanasie pose le problème fondamental du choix entre le respect des libertés individuelles et la protection des membres les plus vulnérables de la société. Le médecin ou l'infirmière, face à une demande d'euthanasie, est-il toujours en mesure de vérifier que le consentement est librement donné, c'est-à-dire que le malade n'est pas affecté dans son autonomie, ou bien que la maladie n'a pas affecté son consentement ?

Le fait de répondre à un appel désespéré peut s'avérer moralement acceptable au nom de ce que décrit le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son rapport sur "l'engagement solidaire et l'exception d'euthanasie" (avis CCNE du 27 janvier 2000).

Ce geste ne doit-il pas néanmoins rester inscrit dans les lois non écrites, les lois inébranlables et secrètes de la conscience, qui s'opposent à la raison d'État et à des lois politiques dénuées d'éthique individuelle ? La question intime et personnelle de la fin de vie n'appelle-t-elle pas une réponse éthique plutôt que juridique ?

Face aux tentations de l'euthanasie et aux contraintes économiques, l'urgence, aujourd'hui, consiste à généraliser les unités hospitalières de soins palliatifs et à développer une nouvelle discipline de soins d'accompagnement des mourants, discipline aujourd'hui pratiquement inexistante au sein des facultés de médecine et des Ifsi ou insuffisamment enseignée. Si, depuis la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, « toute personne malade dont l'état le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement », le nombre d'unités de soins palliatifs demeure aujourd'hui largement insuffisant. En développant le nombre d'unités de soins palliatifs, les demandes d'euthanasie diminueront d'autant et seront réduites à des cas très exceptionnels. Lorsqu'un médecin décide, en accord avec l'équipe soignante et les proches, d'augmenter la dose d'antalgiques pour soulager un patient, il sait qu'il va peut-être accélérer sa fin ; reste que son intention n'est pas de causer la mort, mais d'atténuer les souffrances du malade.

Notre expert vous répond

- Quelle est la législation en France en matière de suicide ?

Le suicide ne constitue plus en France une infraction depuis le lendemain de la Révolution française (1792), contrairement à d'autres États de l'Union européenne comme la Grande-Bretagne, où la tentative de suicide constituait une infraction jusque dans les années 1960. À partir du moment où la tentative de suicide ne constitue pas une infraction, l'aide au suicide ne saurait être réprimé. Face aux polémiques suscitées par la sortie de l'ouvrage Suicide mode d'emploi dans les années 1980, le Parlement a adopté en 1987 une loi punissant la provocation au suicide, tenté ou consommé, avec aggravation de la peine lorsque l'infraction concerne un mineur. Ainsi, tout article de presse, brochure, etc., faisant référence ou vantant l'efficacité de quelque moyen de suicide est dorénavant proscrit, de même que tout acte d'aide au suicide.

Évidemment, cette même qualification pénale est retenue en matière de suicide euthanasique, celui-ci pouvant être défini comme la tentative de suicide de celui ou celle pour lequel il n'y plus aucun espoir thérapeutique ou curatif. Dans ce cas, l'aide ou l'assistance au suicide euthanasique est constitutive du délit de provocation au suicide (nouvel article 318-1 du Code pénal). Cette qualification pénale laisse évidemment entière la question de l'autonomie de la personne et du respect de sa volonté, question que l'on retrouve dans le problème de l'euthanasie.