Surtout ne pas tarder - L'Infirmière Libérale Magazine n° 194 du 01/06/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 194 du 01/06/2004

 

Appareillage auditif

Formation continue

Prendre soin

En France, neuf millions d'individus sont malentendants. La plupart d'entre eux pourrait bénéficier d'une aide auditive, mais la population équipée reste marginale. Pourtant, des solutions efficaces et aussi discrètes que performantes existent, qu'il convient de connaître pour en parler et pour lever les obstacles qui s'opposent à l'appareillage. Une mission d'autant plus importante que la qualité de l'audition corrigée est directement liée à la précocité de l'appareillage.

Contrairement à la vue dont les performances subissent aussi l'érosion de l'âge, les troubles auditifs sont plus volontiers considérés comme un signe de vieillesse, voire une infirmité que l'on refuse et que l'on tente de cacher le plus longtemps possible. Si l'on ajoute à ce déni les freins esthétiques et financiers associés à l'appareillage, la résignation, la simple négligence (la moitié des Français n'a jamais fait contrôler son audition) et le manque d'information, on comprend que seulement 15 % des malentendants soient équipés d'une prothèse auditive.

Cette situation est d'autant plus regrettable que les troubles auditifs gâchent la vie de ceux qui en souffrent et sont à l'origine de mal-être, d'exclusion sociale, voire de retard scolaire pour les plus jeunes. Il est donc important de faire évoluer les pratiques et les mentalités : pour éviter l'aggravation des troubles et améliorer la qualité de vie des malentendants, mais aussi en raison de l'exposition précoce des nouvelles générations à des traumatismes sonores fréquents et durables (baladeurs, discothèques, concerts) qui risquent de les rendre précocement sourds et de les confronter beaucoup plus tôt à l'obligation de s'appareiller.

VITE RESTAURER L'AUDITION

Si la décision s'impose de restaurer rapidement une bonne qualité auditive lorsqu'une surdité appareillable est dépistée chez un enfant ou un adulte jeune, les sujets plus âgés sont en revanche enclins à minimiser le déficit auditif et à différer la prise en charge. « La difficulté chez le sujet âgé, indique le Pr Bernard Meyer, chef du service ORL de l'hôpital Saint-Antoine à Paris, tient au fait qu'en dehors de toute autre cause (lésion, traumatisme, toxicité médicamenteuse), la perte de l'acuité auditive liée au vieillissement de l'oreille interne et à l'usure naturelle des cellules ciliées (presbyacousie)(1) est un processus généralement lent et graduel qui n'altère d'abord que les fréquences aiguës (4 000 Hz) et n'entraîne qu'une gène limitée. De fait, les sons graves étant préservés, le sujet entend partiellement mais suffisamment pour arriver, à partir de ce qu'il perçoit et du contexte, à comprendre le sens de ce qu'il entend. »

La situation se dégrade ensuite lorsque la baisse d'acuité auditive gagne des fréquences plus graves, entraînant une incompréhension globale d'autant plus importante que les sonorités sont polluées par un écho, un bruit extérieur ou ambiant, ou l'intervention simultanée de plusieurs personnes.

« Ainsi, à trop attendre, les malentendants se pénalisent doublement, commente le Pr Meyer. Parce qu'ils finissent par se soustraire eux-mêmes à la vie sociale (peur des bévues et des moqueries), mais aussi parce qu'ils perdent des chances quant à la restauration de l'audition. En effet, lorsque le cerveau ne reçoit plus d'informations dans les fréquences aiguës, il se produit un changement dans la cartographie fréquentielle au niveau du cortex cérébral qui entraîne des pertes irrémédiables. Ainsi, plus le sujet attend, plus il sera difficile de normaliser la perception des aigus grâce à l'appareillage, car la stimulation des aigus va parvenir à un cerveau incapable de les capter. Il convient alors de "reprogrammer" une cartographie, ce qui représente un travail beaucoup plus complexe chez un sujet âgé, car un cerveau de 70 ans n'a pas la même plasticité qu'un cerveau jeune. » D'où l'intérêt d'expliquer qu'à partir d'un certain âge, il est important de faire contrôler régulièrement son audition et de s'appareiller, si nécessaire.

À CHACUN SA SOLUTION

Il existe une très grande diversité de prothèses auditives plus ou moins sophistiquées permettant d'apporter une solution personnalisée à chaque malentendant, en fonction de la sévérité et des retentissements de son atteinte auditive, mais aussi de son âge, de ses activités, de son style de vie et de ses souhaits. Toutes ces prothèses amplificatrices sont, à quelques variantes près, conçues sur le même principe. Non seulement elles amplifient le son, mais elles sont capables de faire le tri et le réglage des sons dans la plupart des situations sonores.

Au cours des dix dernières années, un grand pas a été fait sur le plan des performances et de la miniaturisation des appareils, grâce à la technologie numérique.

Véritables "mini-ordinateurs" embarqués, voire implantés, les prothèses auditives (qu'elles soient à conduction aérienne, osseuse, à ancrage osseux ou semi-implantées...) tentent toutes de concilier efficacité, performance et discrétion.

Seule ombre au tableau : le niveau de remboursement qui reste très bas en dépit des progrès récemment intervenus dans la prise en charge. En effet, depuis mai 2002(2), les pouvoirs publics ont pris conscience que l'être humain n'est pas seulement binoculaire mais aussi biauriculaire. Ils ont donc élargi la prise en charge à "l'appareillage simultané des deux oreilles pour les patients dont le déficit le nécessite sans restriction d'âge".

- Les prothèses à conduction aérienne

Ces prothèses "conventionnelles" sont les plus répandues. Schématiquement, leur transducteur écrête les sonorités intenses qui ne présentent pas d'intérêt sur le plan de l'information et amplifie les sons faibles de telle sorte que les patients puissent entendre ce qu'ils n'entendaient plus. Grâce à la technologie numérique, cette "compression" des sons, relativement lente et approximative avec les prothèses analogiques, est devenue quasi immédiate et beaucoup plus précise. Ceci est notamment lié au fait que les prothèses numériques à conduction aérienne disposent de multiples canaux indépendants (jusqu'à huit canaux) permettant d'amplifier de manière sélective les différentes tonalités (graves, médiums, aigus) de façon spécifique.

Elles se présentent sous deux formes : les contours d'oreilles ou prothèses rétro-auriculaires, et les intra-auriculaires.

-> Les contours d'oreille se placent derrière le pavillon de l'oreille et sont maintenus à cheval sur le haut de l'oreille par un tube en plastique creux qui conduit les sons issus du haut-parleur jusque dans le fond du conduit auditif, rendu étanche par un embout moulé. Bien que des efforts de miniaturisation aient été réalisés, ces appareils ne passent pas inaperçus. Néanmoins, ils restent la solution la plus courante (60 % des aides auditives) car leur volume permet de recevoir une électronique très sophistiquée, offrant une grande finesse de réglage et permettant d'améliorer constamment la qualité des résultats obtenus. D'une grande fiabilité, ils permettent d'appareiller des surdités légères à profondes.

-> Les intra-auriculaires, comme leur nom l'indique, se placent directement dans le creux de l'oreille. Confectionnés sur-mesure, ils nécessitent une prise d'empreinte pour fabriquer la coque renfermant les composants électroniques. Il en existe deux sortes : les intra-canal (ou intra-conduit) et les intra-conques. Les intra-canal, les plus discrets, permettent de corriger des surdités faibles à moyennes. Leurs performances sont limitées du fait de leur taille qui oblige à simplifier l'électronique. Par ailleurs l'amplification ne peut pas être très importante en raison de l'effet Larsen. Les intra-conques sont logés pour partie dans le canal et pour partie dans la conque du pavillon de l'oreille. Ils peuvent recevoir une électronique un peu plus importante et sont préconisés pour les surdités moyennes à sévères. Certains modèles se mettent en marche automatiquement au contact de la peau.

À mi-chemin entre les prothèses rétro et intra-auriculaires, une nouvelle génération de prothèse à conduction aérienne, combinant les avantages technologiques du contour et la discrétion de l'intra (ReSoundAIRTM), est récemment apparue sur le marché. Spécialement adaptée aux personnes souffrant d'une perte d'audition de 50 % ou moins dans les moyennes et hautes fréquences (premiers stigmates du temps entre 55 et 60 ans), cette prothèse associe un boîtier très discret (24 mm, soit 50 % plus petit que ceux des appareils traditionnels), très léger (1,5 g), et un tube souple en silicone très fin qui remplace l'embout traditionnel et s'insère dans le conduit auditif en toute discrétion. Lorsque les prothèses conventionnelles n'apportent pas un bénéfice suffisant ou ne sont pas utilisables pour des raisons anatomiques ou pathologiques, d'autres modalités de restauration de l'audition sont envisageables.

- Les prothèses à conduction osseuse

Ces prothèses transmettent l'information sonore par l'intermédiaire de vibreurs externes appliqués contre la mastoïde (arrière de l'oreille). Ces vibreurs sont généralement fixés à l'extrémité d'une branche de lunettes. Ce principe est utilisé en cas de surdité non appareillable par conduction aérienne en raison d'un écoulement important, généralement dû à une otite chronique responsable de la surdité. Toutefois leur efficacité suppose que l'oreille interne(3) du patient ne soit pas trop altérée et que la branche de lunettes applique correctement le vibreur sur la peau.

- Les prothèses à ancrage osseux

Elles utilisent la propriété des os du crâne à transmettre les vibrations osseuses directement à la cochlée. Elles sont constituées d'un support (pilier) en carbone titane dont la partie émergente permet de fixer la prothèse rétro-auriculaire et dont la partie interne (vibreur) est vissée chirurgicalement dans l'épaisseur de l'os mastoïdien. Les prothèses à conduction osseuse au sens propre du terme, par rapport aux prothèses à conduction osseuse posées sur la mastoïde, présentent donc l'avantage de supprimer la perte de puissance liée à l'effet "édredon" de la peau. La très bonne tolérance de ce matériau incrusté dans l'os explique la rareté des surinfections cutanées de voisinage.

Cette technique par ancrage osseux remplace aujourd'hui les prothèses à conduction osseuse externe. Indiquée, depuis peu, dans les surdités de perception unilatérales totales ou profondes acquises ou congénitales, elle apporte un grand confort auditif en rendant la notion d'espace aux sourds unilatéraux.

- Les prothèses d'oreille moyenne semi-implantées

L'idée consiste à transmettre directement les vibrations à l'un des osselets, l'enclume ou l'étrier, en supprimant l'écouteur qui restitue les vibrations sonores dans une prothèse conventionnelle. La partie implantée est constituée d'un transducteur électromagnétique placé chirurgicalement au niveau de la chaîne des osselets, et relié à un récepteur sous-cutané situé au niveau mastoïdien. La partie externe comprend le microphone, le processeur numérique et la source d'énergie. Les informations sont transmises par voie transcutanée vers le transducteur. Cette technique présente l'avantage de réaliser une véritable transmission haute-fidélité, évitant toutes les distorsions apportées par l'écouteur et l'air du conduit. Ces prothèses sont indiquées en cas de surdité de perception bilatérale moyenne à sévère avec oreille moyenne normale.

Cela étant, « si toutes ces prothèses permettent aux malentendants de retrouver des possibilités de communication satisfaisante, force est de reconnaître qu'aucun appareil, pas même l'implant cochléaire, ne peut remplacer une cochlée normale, conclut le Pr Meyer. Par conséquent, ce serait une erreur de présenter l'appareillage auditif comme un remède-miracle. S'il est important que les acteurs de santé encouragent les malentendants à s'appareiller précocement, ils ne doivent pas oublier de préciser qu'une prothèse auditive reste avant tout une aide qui apporte une amélioration auditive au prix d'une période d'adaptation et de réglage plus ou moins longue, qui doit être orchestrée par un spécialiste : l'audioprothésiste(4). Ainsi conseillés, les sujets appareillés accepteront plus volontiers les petites imperfections liées à la mise au point des réglages et deviendront eux-mêmes des ambassadeurs de choix pour l'appareillage des troubles auditifs. »

(1) La presbyacousie commence dès l'âge de 30 ans, de façon irrémédiable mais à des degrés variables. Elle peut devenir "socialement" gênante à partir d'une perte de 35 dB, soit vers l'âge de 65 ans environ.

(2) Journal officiel du 4 mai 2002.

(3) L'oreille interne ou labyrinthe est logée dans le rocher (os de la base du crâne) et comprend le vestibule (organe de l'équilibre) et la cochlée (organe de l'audition rempli de liquide). Les sons provoquent des vibrations des liquides cochléaires. Ces vibrations sont transformées en signaux électriques transférés par le nerf auditif au cerveau où ils sont analysés, interprétés et traduits.

(4) L'audioprothésiste propose, sur prescription médicale, les solutions techniques répondant aux besoins, aux attentes, aux conditions de vie et aux moyens des patients. Il assiste le patient dans son choix, assure l'adaptation, le contrôle d'efficacité immédiate et permanente de l'aide auditive et l'éducation prothétique du patient appareillé.

Principe de conception d'une prothèse auditive

- Les prothèses comprennent quatre éléments distincts :

-> l'alimentation : pile, voire batterie (implants cochléaires) rechargeable séparément sur le secteur. Cette alimentation est responsable des trois quarts du volume de l'appareil et de son poids. Son importance dépend de la durée d'autonomie et de la puissance de la prothèse : plus une surdité est sévère et complexe à corriger, plus la prothèse use d'énergie ;

-> le microphone, chargé de capter le signal sonore extérieur. Il est soit omnidirectionnel, soit directionnel. Les plus petits sont à peine plus gros qu'une tête d'allumette ;

-> le transducteur ou traducteur : il traite le signal sonore d'entrée et le transforme en un signal de sortie mieux adapté aux possibilités particulières de chaque patient ;

-> le haut-parleur : petite membrane qui crée des vibrations sous l'action du courant électrique transmis par le transducteur. Plus le haut-parleur est petit, moins il sera performant. D'où la difficulté de concilier l'esthétique et l'efficacité.

Prise en charge : des efforts insuffisants

- Pour donner lieu à un remboursement par la Sécurité sociale, les prothèses auditives doivent faire l'objet d'une prescription. Elles doivent également être homologuées et inscrites à la Liste des produits et prestations (anciennement Tips) remboursables par l'assurance maladie. Depuis l'arrêté du 23 avril 2002, l'appareillage auditif est pris en charge pour les deux oreilles, quel que soit l'âge du patient. Il est remboursé à 65 % sur la base des tarifs officiels fixés par la LPP. Ces tarifs sont variables en fonction du type d'appareil pour les patients ayant moins de 20 ans et pour ceux, quel que soit leur âge, qui cumulent une cécité et un déficit auditif. Pour les patients ayant plus de 20 ans, les prothèses sont remboursées à 65 % sur la base d'un tarif forfaitaire fixé à 199,71 Euro(s) par appareil, soit 399,42 Euro(s) si les deux oreilles sont appareillées : cela représente un remboursement de 259,62 Euro(s), auquel s'ajoute éventuellement le complément de la mutuelle. Ce tarif couvre l'achat de l'appareil et des accessoires nécessaires à son fonctionnement (jeu de piles, embout auriculaire, coque...), ainsi que le coût de son adaptation par l'audioprothésiste.

- Sur présentation des justificatifs des dépenses, les frais d'entretien des prothèses (piles ou accumulateurs, fourniture des pièces détachées et réparations, main d'oeuvre comprise) sont remboursés à 65 % sur la base d'une allocation forfaitaire annuelle fixée à 36,59 Euro(s) par an et par appareil. De plus, le remplacement des pièces suivantes est pris en charge sur présentation d'une facture acquittée : écouteur (5,32 Euro(s)), microphone (9,17 Euro(s)), potentiomètre (4,52 Euro(s)), vibrateur à conduction osseuse (10,63 Euro(s)), embout auriculaire (4,91 Euro(s) ou 53,36 Euro(s) pour les enfants).

- Cela dit, si l'on rapporte la part prise en charge par l'assurance maladie au prix de revient d'un appareil (entre 1 100 Euro(s) et 2 000 Euro(s) pour un contour et entre 1 200 et 2 000 Euro(s) pour un intra-auriculaire), on comprend que l'aspect financier reste encore un frein majeur à l'appareillage.

Fonctionnement de l'implant cochléaire

- L'implant cochléaire est une technique d'assistance auditive ayant pour but de pallier les déficiences de la cochlée dans les surdités profondes congénitales ou acquises, inapareillables autrement.

- Le matériel est pour partie implanté et pour partie externe. Il se compose d'électrodes de stimulation implantées chirurgicalement dans la cochlée (chaque électrode donne une sensation fréquentielle différente) et reliées par un porte-électrodes à un récepteur, lui-même positionné chirurgicalement sous le cuir chevelu. En externe, une antenne est fixée au regard du récepteur par un aimant. Cette antenne est reliée à un appareil rétro-auriculaire dans lequel sont situés le microphone, l'émetteur et les piles ou batteries.

- Le message sonore capté par le microphone est transmis par l'émetteur à l'antenne et transformé par le récepteur en signaux électriques. Ces signaux sont conduits jusqu'aux électrodes, qui se substituent à l'organe de Corti pour transmettre, via les fibres nerveuses restantes, les informations sonores au cerveau.

- Chez les personnes devenues sourdes mais ayant eu une audition satisfaisante jusque-là, le résultat est souvent spectaculaire avec de grandes performances de compréhension de la parole acquise en deux mois environ.

- Chez le jeune enfant, l'appareillage n'est qu'une étape car, si les bruits de la vie quotidienne sont reconnus après l'implantation, la compréhension du langage impose d'abord son apprentissage, comme c'est le cas pour tout enfant. En quelques années, l'enfant rattrape son retard. Ce rôle revient aux éducateurs spécialisés à la rééducation orthophonique, qui sera poursuivie à un rythme et sur une durée variables selon les patients.