Accompagnement en fin de vie : mieux reconnaître les droits des malades - L'Infirmière Libérale Magazine n° 197 du 01/10/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 197 du 01/10/2004

 

Perspectives et enjeux

Entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie, il y a place pour un meilleur accompagnement des malades en fin de vie, avec le développement des soins palliatifs, notamment à domicile.

Foin de tergiversations. Après des décennies d'attentisme, l'arrêt de traitements déraisonnables devrait être facilité et le choix des malades davantage respecté. Il est en effet prévu qu'une proposition de loi (d'origine parlementaire) soit déposée à l'Assemblée nationale avant la fin de l'année. Pour l'essentiel, ce texte devrait reprendre les propositions de la mission parlementaire présidée par le député Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes), qui avait rendu ses conclusions le 30 juin dernier.

Parallèlement, un grand débat national sur l'accompagnement des malades en fin de vie devrait être organisé cet automne, en complément de la discussion parlementaire. Cette démarche rejoint l'initiative de Dominique Perben, ministre de la Justice, qui avait ouvert un "espace de débat", avant l'été, sur cette question. « Ce sujet concerne chacun d'entre nous dans ses convictions les plus intimes. Le débat sur l'accompagnement de la fin de vie est un débat de société », estimait alors le garde des Sceaux.

LE MALAISE : "L'AFFAIRE HUMBERT"

L'an dernier, l'affaire Vincent Humbert avait relancé avec force le débat sur la fin de vie, l'accompagnement des malades et l'euthanasie. Tétraplégique, muet et presque aveugle à la suite d'un accident de la route, ce jeune pompier volontaire avait publiquement réclamé le droit de mourir. Le 24 septembre 2003, sa mère lui administre un barbiturique, mais sans parvenir à ses fins. Deux jours plus tard, c'est le Dr Frédéric Chaussoy qui injecte du chlorure de potassium dans la perfusion de Vincent Humbert, provoquant sa mort. Au final, sa mère risque cinq ans d'emprisonnement et le Dr Chaussoy la réclusion criminelle à perpétuité pour "empoisonnement avec préméditation".

PAS DE DÉPÉNALISATION DE L'EUTHANASIE

Le nouveau texte de loi ne devrait pas dépénaliser l'euthanasie. « Il n'est pas question de remettre en cause l'interdit du droit de tuer », précise Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé. Le Code Pénal ne sera donc pas changé. Seuls le Code de la Santé publique et le Code de Déontologie médicale (notamment les articles 37 et 38) devraient être modifiés. Avec cette loi, les malades incurables, en fin de vie, pourront davantage choisir l'orientation des soins qu'ils reçoivent. Et, s'ils sont inconscients, ce sont leurs proches ou leur "personne de confiance" (au sens de la loi du 4 mars 2002) qui seront explicitement consultés.

TROP DE CONFUSION ET DE DÉSARROI

Selon l'étymologie, l'euthanasie est "l'art de bien mourir". Dans une acception plus moderne, c'est "l'acte de donner la mort". Il existe de nombreuses définitions de ce mot, qui est à l'origine de grandes confusions. Chaque fois que possible, il faut donc éviter d'employer ce terme. Sur le plan juridique, l'euthanasie reste hors du champ du droit français. Ce mot est absent de la jurisprudence. En droit, il s'agit d'un crime, qualifié d'assassinat ou d'empoisonnement.

Pour le soignant qui y est confronté, la demande d'euthanasie entraîne toujours un grand désarroi. Que cette demande provienne du patient ou de la famille, voire d'un soignant, sa violence est telle qu'elle est quasi insupportable. De plus, la question posée est toujours plus complexe qu'il n'y paraît et il est impossible d'y répondre simplement, par oui ou par non, sans s'interroger sur ce que le patient demande vraiment : écoute, aide, lutte contre la douleur...

Entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie, il y a en effet place pour un meilleur accompagnement des malades en fin de vie, avec un renforcement de la lutte contre la douleur et le développement des soins palliatifs. « A priori, tout le monde est d'accord sur la nécessité de développer les soins palliatifs en France. Mais force est de constater une certaine inertie dans la mise en oeuvre de ces intentions », estime le Dr Régis Aubry, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

MIEUX ACCOMPAGNER LES MALADES EN FIN DE VIE

Selon le ministère, il y avait en France fin 2003 seulement 1 615 lits dédiés aux soins palliatifs, alors que les besoins sont estimés à près de 200 000 par an.

Tout le monde n'a donc pas accès aux soins palliatifs, loin s'en faut. Les inégalités géographiques sont flagrantes, ce qui pose un problème d'inégalité d'accès aux soins palliatifs et à l'accompagnement.

Concrètement, il convient de distinguer les "unités de soins palliatifs" (78 USP, de dix lits en moyenne, qui ont vocation à gérer les cas les plus lourds) et les "équipes mobiles de soins palliatifs" (226 EMSP, qui ont un rôle de "ressource" pour aider les équipes "classiques"). En 2003, trois régions n'avaient pas d'USP et onze départements pas d'EMSP. Il existait par ailleurs 93 réseaux de soins palliatifs et 175 associations formant des bénévoles à l'accompagnement en fin de vie.

L'INFIRMIÈRE LIBÉRALE, UN RÔLE ESSENTIEL

À domicile, le développement des soins palliatifs se heurte à de multiples obstacles :

-> peur des malades ou de leur entourage que la prise en charge médicale soit moins efficace ;

-> crainte d'être à la charge de la famille ou des proches, tant sur le plan matériel qu'émotionnel...

Pourtant, les infirmières libérales (comme d'ailleurs les médecins généralistes) ont un rôle essentiel à jouer auprès des personnes en fin de vie à domicile, tant dans la mise en oeuvre d'une prise en charge globale (prenant en compte l'ensemble des besoins médico-psycho-sociaux des malades) que dans le soutien apporté aux familles.

QUEL RÔLE PROPRE ?

Ce rôle se traduit par l'évaluation des besoins de la personne et de son entourage, ainsi que par la mise en oeuvre de réponses adaptées (soins de confort, soins d'hygiène et prévention d'escarre, soins de bouche, évaluation de la douleur, administration et surveillance des effets secondaires des traitements antalgiques, écoute et relations aidantes...). Après un entretien d'accueil, une "démarche de soins infirmiers" (DSI) est élaborée.

Pour ce faire, les infirmières libérales s'appuient sur leur rôle « en application d'une prescription médicale », mais aussi sur leur « rôle propre » (selon les termes du décret n° 2002-194 du 11 février 2002). On peut toutefois noter que, en exercice libéral, le rôle propre infirmier relève en fait jusqu'ici aussi du domaine de la prescription médicale, en lien avec le remboursement par les caisses.

« La grande difficulté qui persiste aujourd'hui en exercice libéral tient dans le fait que seul l'acte technique (sur prescription médicale) est valorisé, mais non la démarche globale qui est requise en soins palliatifs. De plus, par sa présence régulière au domicile du patient, l'infirmière joue souvent un rôle de lien avec les autres intervenants », précise Marie-Claude Daydé, infirmière libérale à Colomiers (Haute-Garonne).

PRIORITÉ AU DÉCLOISONNEMENT

À domicile, la coordination des soins est essentielle. Pour assurer la continuité de la prise en charge, un travail d'équipe interdisciplinaire est nécessaire. Il est important d'organiser des rencontres d'une partie de l'équipe (médecin, infirmière, kinésithérapeute...) "au lit" du malade. Cependant, le respect du libre choix du praticien par le malade fait que les équipes se renouvellent souvent. De ce fait, les différents professionnels de santé doivent en permanence s'adapter les uns aux autres afin de construire un projet de soins cohérent.

La tenue d'un dossier de soins permet d'améliorer la qualité de la prise en charge et la continuité des soins. « Hélas, l'ensemble de ce travail de coordination n'est pas reconnu aujourd'hui... Mais l'introduction des forfaits de coordination, prévus à l'avenant n° 6 à la convention nationale des infirmiers, devrait y remédier », note Marie-Claude Daydé

D'après elle, « des blocages persistent, notamment en ce qui concerne la communication et la circulation de l'information entre le domicile et l'hôpital (et inversement). Cependant, l'émergence de nouvelles modalités de fonctionnement, dans le cadre de réseaux ou d'équipes mobiles de soins palliatifs à domicile, va dans le sens d'un décloisonnement, qui est bénéfique à la mise en oeuvre de projets de soins partagés ».

Euthanasie : oser en parler

- « Euthanasie : en finir avec la langue de bois ! », tel est le titre de la conférence qui sera organisée au prochain Salon infirmier, Porte de Versailles à Paris, le jeudi 4 novembre 2004, de 16 h à 18 h. Informations et inscriptions au 01 41 29 77 51.

Définitions

- Euthanasie : « Acte d'un tiers qui met délibérément fin à la vie d'une personne dans l'intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable » (CCNE, avis n° 63 du 27 janvier 2000).

Il s'agit bien d'un acte, et cet acte est intentionnel. En toute logique, il faut donc éviter de parler d'euthanasie volontaire (consentie, réclamée) et d'euthanasie involontaire (subie, imposée). De même, il faut éviter de parler d'euthanasie active (c'est un pléonasme, car l'euthanasie est toujours un acte intentionnel) et d'euthanasie passive (car l'arrêt des traitements qui n'apportent aucun espoir réel d'amélioration n'est en aucun cas un acte d'euthanasie).

- Soins palliatifs : « Soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplnaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage » (art. L. 1110-10 du Code de la Santé publique, loi du 4 mars 2002).

- Traitements palliatifs : « Ensemble des mesures permettant de lutter contre l'inconfort, qu'il soit physique, émotionnel, spirituel ou social » (Société de réanimation de langue française).

- Traitements et soins de support : « Ensemble des moyens médicaux, infirmiers, psychosociaux et de réhabilitation dont les patients ont besoin depuis le début de leur maladie jusqu'à l'éventuelle issue fatale, en passant par toutes les phases thérapeutiques actives et potentiellement curatives » (d'après la Multinational association for supportive care in cancer).

Un CSP pour les soins palliatifs à domicile

Le contrat de santé publique (CSP) sur les soins palliatifs délivrés à domicile par une infirmière libérale devrait être prochainement opérationnel. Prévu par l'avenant n° 6 à la Convention nationale des infirmières (cf. ILM n° 192, p. 6), ce CSP pourra être signé individuellement par toutes les infirmières conventionnées.

Dans la limite de cinq infirmières maximum par contrat pour un même patient, la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), pour le compte des autres régimes, s'engage à verser aux infirmières contractantes, et pour chaque patient, les rémunérations présentées ci-après.

Rémunération des soins

Les soins sont rémunérés :

-> soit à l'acte, conformément aux dispositions de la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) et de la convention nationale,

-> soit sous la forme d'une rémunération mensuelle forfaitaire, qu'on appelle forfait de soins.

Afin de garantir la continuité des soins, l'ensemble des infirmières signataires du contrat s'entendent sur un même mode de rémunération.

Si les infirmières choisissent le paiement au forfait de soins, ce dernier est perçu par les infirmières une fois par mois.

Rémunération de la coordination

La coordination peut prendre deux aspects selon que le professionnel est coordonnateur de l'équipe de soins ou qu'il participe à la coordination.Coordination de l'équipe

Le forfait de coordination est perçu par le seul coordonnateur, quelle que soit sa profession (médecin ou bien infirmière).

Participation à la coordination

Le forfait mensuel de participation à la coordination est versé à chaque professionnel de santé intervenant dans l'équipe.

Cumul des rémunérations

Les forfaits de coordination (forfait du coordonnateur ou de participation à la coordination) s'ajoutent à la rémunération à l'acte des soins infirmiers ou au forfait de soins. En revanche, le forfait du coordonnateur de l'équipe ne se cumule pas avec le forfait mensuel de participation à la coordination.

L'indispensable accompagnement social

- À domicile, l'accompagnement social et le soutien social sont des dimensions importantes, qui doivent être parties intégrantes du projet de soins palliatifs. Elles doivent mobiliser chaque fois que possible les compétences d'un professionnel du secteur social. En effet, en soins palliatifs à domicile, les proches donnent beaucoup de leur temps et de leur énergie. Ils doivent donc pouvoir être aidés selon leurs besoins, et aussi selon les besoins du malade.

- Différents dispositifs permettent le financement de l'aide à domicile : l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour une personne âgée en perte d'autonomie, l'allocation compensatrice tierce personne (ACTP) pour une personne handicapée ou, encore plus spécifiquement pour les soins palliatifs, le Fonds national d'action sanitaire et sociale (Fnacs) pour les assurés du régime général (relevant de la Cnamts).

- Le Fnacs est mobilisable dans le cadre d'un service d'hospitalisation à domicile (HAD), d'une équipe mobile de soins palliatifs ou d'un réseau. Il permet de financer des prestations de gardes à domicile ou encore certaines fournitures ou dépenses de médicaments non remboursables (médicalement justifiées).

- À domicile, les professionnels de santé ont encore de la difficulté à faire appel aux bénévoles d'accompagnement. Pourtant, ceux-ci proposent une écoute attentive et un soutien pour la personne malade. Ils permettent souvent d'éviter le risque d'épuisement des proches, ce phénomène étant fréquemment une cause de ré-hospitalisation.

Pour en savoir plus

textes officiels

- Loi n° 1999-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.

- Décret n° 2002-793 du 3 mai 2002 relatif aux conditions d'exercice des professionnels de santé délivrant des soins palliatifs à domicile.

- Contrat de santé publique (CSP) sur la délivrance de soins palliatifs au domicile du patient, avenant n° 6 à la convention nationale des infirmiers, article 1 et son annexe (toujours en attente de la circulaire d'application de la Cnamts).

- Programme national de développement des soins palliatifs 2002-2005. Sites Internet à consulter

Sites Internet à consulter

- CDRN FXB (Centre de ressources national François-Xavier Bagnoud) : http://www.cdrnfxb.org

- EAPC (Association européenne de soins palliatifs) : http://www.eapcnet.org

- JALMALV (Jusqu'à la mort accompagner la vie) : http://www.jalmalv.org

- MASCC (Multinational association for supportive care in cancer) : http://www.mascc.org

- Plan cancer : http://www.plancancer.fr

- SFAP (Société française d'accompagnement et de soins palliatifs) : http://www.sfap.org

- UNASP (Union nationale des associations pour le développement des soins à domicile) : http://www.aspfondatrice.org

- Vivre son deuil : http://www.vivresondeuil.asso.fr

À lire

- Aveline Laurence, Euthanasie : faut-il légiférer ?, in ILM, 2004, n° 194, pp. 49-51.

- Beck Danielle, Démarche "qualité" en soins palliatifs : nécessité, limites et paradoxes, in InfoKara, 2004, n° 1, pp. 13-15.

- Credoc-Inpes, Les soins palliatifs vus par le public et les professionnels de santé, in Consommation et modes de vie, 2004, n° 174.

- Hirsch Emmanuel et coll., Médecine et justice face à la demande de mort, Éd. Espace éthique AP-HP, 2004.

- Plon Florence, Questions de vie et de mort. Soins palliatifs et accompagnement des familles, Champ social éditions, 2004.