Le suicide des jeunes - L'Infirmière Libérale Magazine n° 197 du 01/10/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 197 du 01/10/2004

 

La mobilisation s'impose

Formation continue

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En 50 ans, le suicide des jeunes a triplé. Encore trop souvent frappé du sceau du silence, le suicide représente un constat d'échec d'autant plus traumatisant pour l'entourage et les soignants qu'il s'agit de sujets jeunes dont le passage à l'acte aurait pu, dans de nombreux cas, être prévenu.

À la fin des années 1990, parmi les sujets relevés à l'occasion des Conférences nationales de santé, le suicide - et en particulier celui des jeunes - a été retenu comme l'une des dix priorités nationales de santé publique. La France est en effet l'un des pays les plus concernés par le suicide. Face à ce constat, les pouvoirs publics se sont mobilisés sur deux fronts :

-> d'une part, en mettant en place une stratégie nationale d'actions(1), visant à inciter l'ensemble des régions à se doter d'un programme de prévention du suicide, en particulier dans le cadre des Programmes régionaux de santé (PRS) ;

-> d'autre part, en élaborant un plan national de prévention du suicide, axé sur les adolescents et les jeunes adultes.

ÉTAT DES LIEUX PRÉOCCUPANT

Toutes les quatre minutes, un individu tente de se suicider dans notre pays. Cela représente 160 000 personnes qui intentent à leur vie chaque année, parmi lesquelles 12 000 au moins trouvent la mort, dont environ 1 000 sont âgées de 15 à 24 ans. Deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans après les accidents de la route, le suicide est aussi la première cause de décès des 25-34 ans. Si, globalement, le taux de tentatives de suicide et de suicides a tendance à diminuer légèrement depuis une dizaine d'années, à l'inverse, les chiffres relatifs au suicide des adolescents et les jeunes adultes sont en constante(1) augmentation. Une récente enquête Inserm/DGS, réalisée auprès de 1 000 élèves consultants de l'infirmerie scolaire âgés de 11 à 21 ans(2), montre que 8,7 % des garçons consultants et 19 % des filles déclarent avoir fait une tentative de suicide (TS) durant leur vie. Les suicidants (jeunes passés à l'acte) sont plus âgés que les non suicidants, avec une forte proportion de cas entre 16 et 18 ans. Ainsi, 20 % des lycéens consultants ont déjà fait une TS contre 9 % des collégiens. Cette enquête montre qu'il existe par ailleurs une corrélation entre les difficultés scolaires et les tentatives de suicide (63,7 % des suicidants ont redoublé au moins une fois au cours de leur scolarité) ; elle confirme également que les jeunes suicidants sont des sujets à haut risque de conduites dangereuses récurrentes (consommation d'alcool, cannabis, médicaments...), mais aussi de violences subies répétées et de signes dépressifs graves. « Si les adolescents et les jeunes adultes vont en majorité assez bien, force est d'admettre que 15 % d'entre eux (soit 1 sur 7) vont mal, voire très mal », commente le Dr Xavier Pommereau, psychiatre des hôpitaux, chef de service au pôle aquitain de l'adolescence. « La montée en puissance de l'idéation suicidaire et des TS traduit les difficultés qu'un nombre croissant de jeunes éprouvent à trouver une place supportable dans notre société par rapport à leur histoire, à leur entourage et aux diverses pressions sociales auxquelles ils sont soumis. Paradoxalement, le confort, l'opulence de nos sociétés modernes et les valeurs qu'elles privilégient entraînent plus de problèmes et de questionnements identitaires chez les jeunes. Par rapport aux générations passées, il leur est plus difficile de trouver leur place et de savoir qui ils sont. »

L'adolescence (elle démarre avant la puberté, et se poursuit bien au-delà de la fin de la période de croissance) est une période de profonde mutation qui confronte l'individu à des difficultés face auxquelles il doit mettre en oeuvre des mécanismes d'adaptation. Hors événements stressants et pathologie mentale avérée, ces mécanismes permettent de maintenir un état d'équilibre. Mais il peut arriver qu'une succession de difficultés existentielles viennent perturber cet équilibre et induisent une souffrance psychique telle, que les mécanismes habituels de régulation ne fonctionnent plus ou ne sont pas suffisants. Ces difficultés existentielles peuvent être variées : échec scolaire, conflits parentaux, climat de violence familiale, violences voire abus physiques ou moraux, deuil, difficultés relationnelles avec les parents, sentiment de rejet, problème d'identité sexuelle... Dès lors, tout prend des proportions insurmontables. L'incapacité à faire face aux événements de façon rationnelle et logique est alors vécu comme un échec qui augmente la tension interne et s'accompagne d'une perte de l'estime de soi. L'adolescent ou le jeune adulte entre alors dans une phase de désorganisation et de confusion émotive qui, en phase aiguë, peut engendrer des troubles du comportement, des conduites à risque, voire des idées suicidaires de plus en plus prégnantes et envahissantes, allant parfois jusqu'au passage à l'acte. Il est donc essentiel de repérer précocement ces états de crise et d'identifier les jeunes en souffrance psychique afin d'éviter ces passages à l'acte. Cela suppose en premier lieu de tordre le cou à un certain nombre d'idées reçues qui confinent les jeunes en souffrance psychique dans leur mal-être et retardent leur prise en charge.

Ainsi, contrairement à ce que l'on entend souvent dire, parler du suicide n'empêche pas de se suicider. De même, le jeune suicidaire n'est pas particulièrement différent des autres jeunes : malgré ses difficultés existentielles, il sort, vit, a accès au système de santé, mais son mal-être n'est pas perçu ou reconnu, justifiant de prendre en compte d'autres critères de repérage.

LE MAL-ÊTRE N'EST PAS SYNONYME D'ISOLEMENT

Contrairement à certains clichés communément admis, les jeunes qui ont un jour tenté de se suicider ne sont pas, dans leur grande majorité, des êtres isolés, paumés, désaxés ou marginaux. À en faire une généralité, on peut passer à côté d'un jeune en danger. Ainsi qu'en atteste l'enquête Inserm/DGS, il existe peu de différence entre la vie sociale des suicidants et celle des autres jeunes. De multiples activités culturelles et de loisirs (concerts, cinéma, sorties entre copains) occupent les deux catégories d'adolescents dans des proportions comparables. « Les jeunes suicidants ne se caractérisent donc pas par leur isolement social et leur manque d'activité », concluent les auteurs. Pas plus d'ailleurs que par leur exclusion du système de santé.

Loin de rejeter le système médical, les suicidants sont au contraire "sur-consommateurs" de soins. Dans 66 % des cas, ceux que l'infirmière scolaire oriente vers le médecin scolaire sont déjà suivis par lui, et l'était avant de passer à l'acte. Plus globalement, 79,6 % des 12-25 ans ont consulté au moins une fois dans l'année un généraliste(4). Un constat qui laisse à penser que si les jeunes consultent au prétexte de troubles somatiques, ceux-ci masquent bien souvent un mal-être qui n'est ni abordé, ni perçu. Probablement parce que les idées et les actes suicidaires sont peu reconnus par les adultes et sont souvent minimisés ou banalisés, y compris parfois par les professionnels de santé. « Si prêter attention aux propos explicites traduisant l'envie de se suicider est indispensable, commente le Dr Pommereau, l'absence d'allusions directes n'est pas pour autant synonyme d'un moindre risque. Il convient donc de prendre en compte d'autres critères de repérage permettant d'orienter le jeune et sa famille vers le dispositif d'accueil et de prise en charge. » Ce repérage est d'autant plus important que 60 % des primo-suicidants récidivent (dans l'année qui suit la première tentative) et que la répétition du geste conduit à une inflation dans les moyens utilisés et à un risque plus important de décès.

REPÉRER LES SIGNES ANNONCIATEURS

Si le moment du passage à l'acte est totalement imprévisible, indiquent tous les spécialistes, il existe en revanche toujours des signes précurseurs identifiables. Ceux-ci sont rarement perçus par l'entourage immédiat, soit par manque de lucidité et d'objectivité, soit encore par refus de se rendre à l'évidence qu'ils sont partie prenante dans la genèse de ce mal-être. D'où le rôle important des tiers représentés par les professionnels de l'éducation, de la santé (infirmières scolaires, du travail, à domicile, médecins scolaires, médecins de famille...), du social, de l'insertion, de l'animation et de la justice.

« Tous sont en effet en mesure de constater qu'un adolescent multiplie les conduites de rupture pour se couper des réalités, ne plus penser, fuir ce qui les fait souffrir », confirme le Dr Pommereau. Cette rupture peut se décliner différemment d'un ado à l'autre. Certains vont l'obtenir dans l'ivresse cannabique ou alcoolique, ou dans les médicaments qui "amortissent" la pensée ; pour d'autres, ce sera la fugue, les crises de spasmophilie ou les malaises à répétition qui conduisent régulièrement à l'infirmerie scolaire ou chez le médecin. Ce peut être encore l'incapacité de se rendre en classe (phobie scolaire), la rupture alimentaire par excès ou par défaut, la rupture dans la violence contre soi-même ou envers les autres en se livrant à des dépradations gratuites...

À travers ces conduites de rupture, le jeune exprime, d'une part, qu'il souhaite échapper à ses difficultés, et, d'autre part, qu'il agit ainsi pour qu'on remarque qu'il existe et qu'on prenne conscience de son mal-être. Il y a donc une attente secrète de reconnaissance de la souffrance qu'il faut savoir interpréter comme telle, et face à laquelle il attend surtout qu'on lui témoigne de l'intérêt en lui exprimant l'inquiétude qu'il suscite et en lui proposant de l'aider. « Parmi tous les acteurs susceptibles d'effectuer ce repérage précoce dans un esprit bienveillant, les infirmiers ne sont pas toujours conscients du rôle important qu'ils peuvent jouer », ajoute le Dr Pommereau.

À l'heure où l'on parle de créer une "maison des adolescents" dans chaque département (projet discuté à l'occasion de la Conférence sur la famille, le 29 juin dernier), il est regrettable en effet que tous les collèges et lycées de France ne disposent pas d'une infirmière et d'une infirmerie, véritable observatoire de la santé des jeunes et outil incontournable pour la prévention en santé de cette population. Les infirmières pourraient également être très utiles dans les Points écoute jeunes et dans les Points accueil jeunes et parents. De même, elles pourraient très utilement assurer des permanences dans les centres d'information jeunesse, qui sont très fréquentés par les jeunes.

À domicile, leur présence en tant qu'observateur et éducateur en santé est aussi tout à fait indispensable. Non seulement pour repérer les situations à risque, mais aussi pour orienter les jeunes et leur famille vers les structures du dispositif les mieux adaptées. Un rôle d'autant plus important que ce dispositif, constitué d'un côté des filières sociales et, de l'autre, des filières de soins, fonctionne souvent sans réelle coordination et reste mal connu des jeunes. « Si l'offre de prise en charge sanitaire et sociale existe, conclut le Dr Pommereau, elle manque effectivement de lisibilité et n'est pas toujours bien adaptée à la population jeune. Certaines grandes villes, voire régions, ne disposent pas encore d'unités d'hospitalisation de court séjour permettant d'accueillir de façon spécifique les jeunes en état de mal-être. Résultat, ils sont pris en charge dans des services de psychiatrie adultes qui ne sont pas adaptés à leurs troubles et qui peuvent même s'avérer "toxiques", eu égard aux types de malades et de pathologies rencontrés. Il faut donc encourager, notamment dans le cadre des programmes régionaux de prévention suicide, l'ouverture de lits et de petites unités spécialisées pour l'accueil des adolescents en souffrance et la mise en place de réseaux permettant d'articuler et de coordonner entre elles les structures d'accueil, d'écoute et de prise en charge des jeunes en difficulté. »

Autant dire qu'il y a encore à faire pour améliorer la prévention du suicide des jeunes. En comblant le vide qui existe au niveau des structures de pédo-psychiatrie, mais aussi en mobilisant tous les acteurs qui peuvent participer au repérage et à l'orientation des jeunes en souffrance. Aux infirmiers d'en prendre acte et d'apporter leur contribution active à cette démarche porteuse d'espoir et d'avenir.

(1) Circulaire n° 2001-318 du 5 juillet 2001 relative à la stratégie nationale d'action face au suicide (2000-2005).

(2) Les élèves à l'infirmerie scolaire : enquête auprès de 21 établissements scolaires du département de la Gironde, Marie Choquet, Xavier Pommereau, Christophe Lagadic.

(3) Arènes J., Janvrin M.-P., Baudier F., Baromètre santé 97/98 jeunes. Éditions Cfes.

(4) Source : Les 5 exigences d'une médecine pour les adolescents, IMH n° 85, 25 juin 2004.

Des sujets à haut risque

- Les suicidants sont des sujets à haut risque de conduites dangereuses. Ils sont nombreux à avoir été victimes de violences. De même, fuguer, partir sans prévenir, se faire mal volontairement sont des comportements plus fréquents chez les suicidants. Ainsi :

-> 53,3 % des suicidants consomment des médicaments contre la nervosité, contre 24,9 % des non suicidants ;

-> 36,6 % des suicidants prennent des médicaments contre l'insomnie, contre 12,3 % des autres adolescents ;

-> 32,3 % des suicidants affirment "boire régulièrement" et 66,1 % "fumer quotidiennement" (contre respectivement 16,9 % et 32,4 % des non suicidants) ;

-> 33,1 % des adolescents suicidants ont fugué au cours de l'année écoulée (contre 9,7 % des autres jeunes) ;

-> 72,6 % avouent se faire mal volontairement (ce qui n'est le cas que de 15,9 % des non suicidants) ;

-> 69,3 % partent sans prévenir (contre 37,7 % chez les non suicidants) ;

-> plus d'un suicidant sur trois (36,6 %) a été victime de violence physique et plus d'un sur quatre (23 %) de violences sexuelles.

Source : Les élèves à l'infirmerie scolaire : enquête auprès de 21 établissements scolaires du département de la Gironde, Marie Choquet, Xavier Pommereau, Christophe Lagadic.

Prendre en compte l'idéation suicidaire

- Lorsqu'un jeune parle de suicide, son entourage se réfugie souvent dans l'idée que le fait d'en parler désamorce le passage à l'acte. Cette interprétation réductrice évite d'entendre la plainte sous-jacente et rassure l'entourage. « Or, insiste le Dr Pommereau, des évocations fréquentes de suicide peuvent tout à fait être annonciatrices du geste. Les banaliser revient à se désintéresser de la souffrance sous-jacente et à enfermer l'adolescent dans son mal-être. Ces évocations doivent donc être considérées comme un signe d'appel tout à fait sérieux. »

- Les études épidémiologiques montrent en effet qu'il existe une corrélation entre l'idéation suicidaire et le passage à l'acte. Ainsi, parmi les adolescents scolarisés qui pensent souvent au suicide, 41 % ont déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie contre seulement 1 % de ceux qui déclarent n'y avoir jamais pensé.

Des passerelles à connaître et à faire connaître

- Il existe en France un grand nombre d'initiatives à l'échelon national, régional ou local, permettant aux jeunes en état de souffrance psychique et de mal-être d'exprimer cette souffrance et de se sentir respectés et compris.

- Lignes téléphoniques pour l'information, le soutien et l'orientation :

-> Fil santé jeunes : 0 800 23 52 36 ; numéro vert anonyme et gratuit pour les jeunes de 11 à 25 ans. Accessible de 8 h à minuit, 7 j/7. Le mal-être représente 12,2 % des motifs d'appel et 3 jeunes sur 4 sont orientés vers les centres de soins publics, Centres médico-psychologiques (CMP) ou Centres médico-psychopédagogiques (CMPP).

-> SOS Amitié, 24 h/24, 7 j/7 : 0 820 06 60 66.

-> Urgences psychiatrie (Paris et sa banlieue) 24 h/24, 7 j/7 : 01 40 47 04 47 ; écoute téléphonique assurée par des psychologues et des psychiatres qui proposent également des consultations d'urgence psychiatrique à domicile ou au centre d'urgence.

-> SOS dépression 24 h/24, 7 j/7 : 01 40 47 95 95 ; entretien clinique et orientation vers les structures de prise en charge : centres sociaux, CMP, CMPP...

-> Suicide écoute, 24 h/24, 7 j/7 : 01 45 39 40 00.

- Dispositifs d'écoute pour les jeunes :

-> Points écoute jeunes et Points accueil jeunes et parents : mis en place au cours des dernières années à l'échelon local, ces Points d'écoute et d'accueil sont destinés aux jeunes de 10 à 25 ans en souffrance, suite à un conflit familial, une fugue, un échec scolaire ou une situation de mal-être. Ils proposent un lieu neutre de parole, facilitent l'orientation des jeunes en difficulté vers des structures de soins, d'hébergement, voire d'insertion, proposent le cas échéant des séances de médiation-conseil avec les parents. C'est une structure-relais qui reçoit les jeunes pour un à trois entretiens maximum.

- Réseaux Santé Jeunes

Il s'agit de structures régionales d'écoute mises en place dans le cadre des Programmes régionaux de santé (PRS) et qui, à l'instar du réseau Santé Jeunes de Franche-Comté*, sont dédiées aux jeunes, aux familles et aux professionnels au contact des jeunes en difficulté. Créés à l'initiative de professionnels de la santé, du social, de l'éducation, de l'insertion, de l'animation et de la justice, les réseaux Santé Jeunes ont pour but de créer une interface active départementale et interdépartementale entre les services professionnels et les usagers, de faciliter l'accès de l'usager à l'information et de l'orienter vers le bon service. Ces structures complètent les numéros verts nationaux grâce aux relations directes qu'elles entretiennent avec les réseaux professionnels locaux.

*Réseau Santé Jeunes FC, Suicide et prévention du suicide en Franche-Comté : 03 81 53 48 02.