Le point de vue de l'expert - L'Infirmière Libérale Magazine n° 201 du 01/02/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 201 du 01/02/2005

 

PSYCHIATRIE EN CRISE

Actualités

L'Événement

Peu de temps après les deux assassinats perpétrés à Pau, le Pr Jean-Pierre Olié, psychiatre, chef de service hospitalo-universitaire de l'hôpital Sainte-Anne (Paris) et médecin expert auprès de la Cour d'appel de Paris, a tenu à faire partager son indignation sur l'état de la psychiatrie dans notre pays.

Le Pr Olié connaissait un patient psychotique qui avait tué sa femme. Reconnu responsable de ses actes par le médecin expert des tribunaux, il passe devant la justice pour être sanctionné. Les jurés, conscients pour leur part de l'incapacité mentale de l'accusé, ne veulent pas le charger encore plus et lui infligent cinq ans, dont trois avec sursis... Moralité, cet homme malade sort de prison au bout de deux ans, ayant perdu toute possibilité de se réinsérer (il était enseignant à l'Éducation nationale) et sans suivi médical. Celui-là s'est, pour son malheur mais dans l'indifférence générale, suicidé. Combien d'autres se trouvent dans la même situation ? Selon le Pr Olié, le nombre de personnes à qui, après un acte violent, on propose des soins plutôt que la prison, a été divisé par dix durant la dernière décennie. Des victimes de l'absence d'alternatives à l'hospitalisation, de la pénurie galopante des psychiatres (qui vont passer de 12 000 à 7 000) et des infirmiers, de la suppression des lits en psychiatrie, et parfois de la "position idéologique" de certains spécialistes qui veulent "responsabiliser" les patients. Mais, précise le Pr Olié, responsabiliser n'est pas punir. La prison, « comme lieu de soins, je vous laisse imaginer... Quand il va sortir, on aura perdu du temps : il ressort après cinq ou dix ans, toujours schizophrène et toujours pas soigné ».

Pour le Pr Olié, les pouvoirs publics ne cherchent pas à connaître les besoins réels de la population en psychiatrie, alors que, selon les études internationales, dans une population moyenne, environ un tiers des personnes y aura recours à un moment de sa vie. Donc, conclut-il, « les psychiatres ne peuvent plus continuer à s'éparpiller et à s'occuper de tout et n'importe quoi ». Si les patients doivent être pris en charge au lieu de croupir en prison ou "sous les ponts", en revanche les psychiatres ne peuvent rien, selon lui et dans l'état actuel des connaissances, pour les délinquants sexuels qu'on leur confie « pour des raisons émotionnelles ». De même, inutile de demander à un psychiatre son « avis sur l'éducation ou sur les problèmes d'équilibre dans l'entreprise » : il y a de très bon psychologues pour cela. « Il y a une urgence à ce qu'on provoque une réflexion sur le partage des compétences », demande le professeur. À l'heure actuelle, en effet, les services hospitaliers tournent avec des généralistes ou des médecins étrangers qui n'ont pas la formation des psychiatres. Quant aux infirmiers, le Pr Olié assure que si les hôpitaux arrivaient à pourvoir tous leurs postes budgétaires, ils feraient faillite ! Enfin, les structures ouvertes sur la ville n'arrivent pas à gérer la demande et les patients n'ont pas de place dans les structures alternatives : « Moi, j'ai au moins dix patients dans des lieux de vie en Belgique. J'avais une mère qui refusait de signer les papiers pour envoyer son fils en Belgique : je la comprends ! C'est scandaleux, en France, en 2004 ! » s'indigne Jean-Pierre Olié.

Le chef de service de Sainte-Anne propose donc une concertation entre les différents professionnels de santé qui permettrait de mieux répartir les psychiatres sur le territoire et de partager les tâches non purement médicales. Il évoque la possibilité de confier les psychothérapies à des psychologues formés et évalués, et souhaite promouvoir les consultations infirmières dans les structures d'accueil. « Si on délimite mieux le temps spécialisé, je pense qu'avec le même argent, on fera mieux », assure-t-il.

À propos des antidépresseurs

- Aux gens qui fustigent la consommation importante d'antidépresseurs en France, Jean-Pierre Olié répond qu'elle est liée à l'offre de soins et correspond à un besoin réel. « On voit la même chose pour l'opération de la prostate », explique-t-il. D'ailleurs, les pays qui en consomment moins « sont en train de nous rattraper » (comme la Grande-Bretagne). Dans d'autre pays, la moindre consommation est liée à des spécificités locales, comme l'Allemagne où il existe une forte tradition d'homéopathie et d'herboristerie (millepertuis) « qui a sa pertinence », et où les psychothérapies sont encadrée, évaluées et prises en charge. « En France, nous faisons comme si nous traitions la cause de la maladie et non les symptômes, alors que c'est l'inverse - la cause on ne la connaît pas... », explique-t-il. Le Pr Olié reproche d'ailleurs à la France de refuser de réaliser des études de morbidité en psychiatrie, ce qui éviterait les annonces intempestives comme celle de l'interdiction des antidépresseurs pour les mineurs : selon lui, un meilleur encadrement des prescriptions serait beaucoup plus indiqué...