Les cancers colorectaux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 201 du 01/02/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 201 du 01/02/2005

 

Du dépistage aux traitements

Formation continue

Prendre soin

Avec environ 36 000 nouveaux cas et 16 000 décès annuels, les cancers du côlon et du rectum sont parmi les tumeurs malignes les plus fréquentes, mais aussi les plus graves. L'amélioration de leur prise en charge passe par un dépistage et un traitement précoces.

Les cancers colorectaux (CCR) constituent la seconde cause de mortalité par cancer après celui du poumon. Leur fréquence augmente de plus de 20 % tous les dix ans. Ils sont ainsi passés de 24 000 à 36 000 nouveaux cas par an en l'espace des 20 dernières années, ce qui signifie qu'un Français sur vingt-cinq sera atteint d'un cancer colorectal au cours de sa vie. Environ deux tiers d'entre eux sont des cancers du côlon et un tiers des cancers du rectum(1). Si les cancers colorectaux sont rares avant 50 ans (moins de 6 % des cas), leur incidence augmente rapidement à partir de cet âge avec une légère prédominance masculine, le "sex ratio" variant de 1 à 2 en fonction de la localisation du cancer. Dans la majorité des cas (de 60 à 80 %), les cancers colorectaux résultent de la transformation maligne d'un adénome (tumeur épithéliale bénigne couramment appelée polype). D'après les séries autopsiques des pays occidentaux, au moins un tiers des hommes et un quart des femmes sont porteurs d'un adénome à l'âge de 65 ans. Pour ces sujets, le risque de cancérisation dépend de la structure histologique de l'adénome, mais aussi de sa taille. Exceptionnel pour les adénomes de moins d'un centimètre de diamètre, ce risque atteint 30 à 50 % au-delà de cette taille. Globalement, un quart des adénomes ayant atteint 1 cm de diamètre se transformeront en cancers.

Malgré les progrès récents de la chirurgie du cancer du rectum et de la chimiothérapie adjuvante, le pronostic de ces cancers reste médiocre(2), en raison notamment d'un diagnostic tardif (70 ans en moyenne) généralement associé à un envahissement ganglionnaire locorégional ou à des métastases à distance.

RENFORCER LE DÉPISTAGE

Il est donc nécessaire d'intensifier le dépistage précoce et d'informer les patients à risque spécifique qu'ils peuvent bénéficier d'une surveillance personnalisée et les patients à risque standard qu'ils doivent s'en préoccuper vers l'âge de 50 ans. Plusieurs études contrôlées et randomisées ont en effet montré qu'un programme de dépistage, réalisé chez des personnes de 45 à 74 ans et basé sur la recherche d'un saignement occulte dans les selles par test Hemoccult II(3) répété tous les deux ans et suivi d'une coloscopie en cas de positivité, permet de diminuer la mortalité par CCR de 15 à 18 %, 8 à 10 ans après sa mise en place. Raison pour laquelle sa généralisation est en cours sur le territoire français.

« Une vingtaine de campagnes de dépistage ont déjà été conduites principalement en zone rurale, et d'autres devraient voir le jour en zones urbaines dans le cadre du plan cancer 2007, afin de vérifier l'intérêt d'un dépistage de masse généralisé sur l'ensemble du territoire », explique le Dr Stéphane Benoist, chirurgien viscéral, service de chirurgie digestive du Pr Nordlinger, hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt (AP-HP).

SIGNES D'APPEL ET CONFIRMATION DIAGNOSTIQUE

Pour l'heure, la majorité des patients sont encore diagnostiqués à un stade relativement avancé de la maladie sur des arguments cliniques confirmés par les examens complémentaires endoscopiques et radiologiques. Les signes d'appel du cancer colorectal sont dominés par des troubles du transit (constipation, diarrhées prolongées ou alternant avec des phases de constipation, syndrome rectal(4)), des saignements pas toujours visibles et des douleurs à type de coliques évoluant par crises et signant un syndrome d'occlusion incomplète.

Ces signes peuvent être associés à une atteinte de l'état général, une anémie, une fièvre prolongée inexpliquée. Le toucher rectal permet de palper les cancers du bas rectum situés jusqu'à 8 à 10 cm de la marge anale, et l'examen de l'abdomen de détecter une tumeur palpable (cancer du côlon droit notamment), une ascite (épanchement liquidien de la cavité péritonéale) ou un foie métastatique. En cas de suspicion sérieuse de cancer, la coloscopie constitue l'examen de choix pour situer précisément la lésion, sa circonférence, sa hauteur et rechercher des lésions associées. Elle nécessite une préparation du côlon réalisée par l'administration per os de 3 litres de laxatif osmotique (Colopeg®, Fortran®...) la veille de l'examen. Cette purge hyperosmotique permet de nettoyer le côlon et doit être associée à une diète sans résidu(5) les 3 à 4 jours précédant la coloscopie. Contre-indiquée dans les syndromes occlusifs aigus, la coloscopie est parfois difficile à réaliser complètement chez certains patients (sujets âgés, patients multipathologiques, tumeur sténosante). Elle peut alors être remplacée par un lavement baryté ou associée à celui-ci pour parfaire l'investigation. « Une fois la lésion identifiée, un bilan d'extension locorégionale et générale doit être réalisé afin d'orienter la prise en charge chirurgicale, ajoute le Dr Benoist. Il a pour but de déterminer le niveau d'envahissement aux organes de voisinage (duodénum, urtère droit ou gauche, vessie, vagin, prostate) et de rechercher la présence de métastases hépatiques (biologie hépatique, échographie ou TDM) et pulmonaires (scanner ou radiographie). De même, une échographie endorectale permet de préciser l'extension locale du cancer du rectum et son stade, et ainsi de poser l'indication d'un traitement pré-opératoire par radiothérapie plus ou moins associée à une chimiothérapie. »

CHIRURGIE : LE TRAITEMENT D'ÉLECTION

La chirurgie reste l'élément essentiel du traitement des cancers colorectaux. Elle est réalisée à visée curative dans 80 à 90 % des cas. Le choix de la technique utilisée dépend surtout de la localisation du cancer.

- Chirurgie du cancer du côlon

Elle repose, quelle que soit la localisation de la tumeur, sur une résection "monobloc" du segment colique contenant la tumeur (pour éviter toute effraction tumorale) avec des marges de sécurité sur l'intestin d'au moins 5 cm. « Cette ablation est associée à un curage ganglionnaire large (il faut au moins 12 ganglions drainant le segment colique pour apprécier correctement l'envahissement ganglionnaire) et à la résection des organes de voisinages éventuellement envahis par la lésion tumorale », précise le Dr Benoist.

- Chirurgie du cancer du rectum

La chirurgie du cancer du rectum a bénéficié d'importantes améliorations liées notamment à une meilleure connaissance de l'extension loco-régionale de ces cancers au tissu graisseux péri-rectal (mésorectum) et à l'évolution des techniques chirurgicales (développement des pinces automatiques pour la réalisation d'anastomoses très basses, par exemple). Ces progrès ont notamment permis de faire passer le taux de récidives loco-régionales de 25 à 10 %. L'évolution des techniques chirurgicales s'est également traduite par la réduction des interventions mutilantes entraînant la suppression du sphincter anal et la mise en place d'une colostomie définitive. « Dans les années 1970-1980, l'amputation abdomino-périnéale avec colostomie définitive était réalisée dans environ 30 à 50 % des cas, explique le Dr Benoist. Actuellement, dans le service de chirurgie de l'hôpital Ambroise-Paré, cette intervention s'impose dans moins de 10 % des cas. » Majeur pour la qualité de vie des patients, ce progrès s'est également accompagné d'une diminution des séquelles fonctionnelles sexuelles et intestinales liées à l'exérèse du rectum. « Une technique chirurgicale méticuleuse, qui s'applique à repérer et à préserver les plexus nerveux, permet l'obtention d'excellents résultats fonctionnels post-opératoires avec seulement 10 à 15 % de répercussions sexuelles (troubles de l'érection, éjaculation rétrograde) et 10 % de séquelles digestives (fuites fécales, mauvaise discrimination entre les gaz et les selles, impériosités fécales), justifiant parfois de transformer l'opération en opération mutilante avec colostomie définitive », confirme le Dr Benoist.

TRAITEMENTS ADJUVANTS

Parallèlement au traitement chirurgical, les patients opérés d'un cancer du côlon de stade III ou classé C selon Dukes bénéficient d'une chimiothérapie adjuvante. Ce traitement améliore le contrôle de la progression tumorale et accroît de manière significative mais modeste la survie des patients. Il est discuté dans les stades II ou B, les résultats d'une récente méta-analyse ne montrant qu'une amélioration non significative de survie de 2 % à 5 ans pour le groupe recevant une chimiothérapie. Concernant le cancer du rectum, bien que la démonstration évidente du bénéfice ne soit pas faite, la tendance actuelle consiste à discuter au cas par cas l'indication d'une chimiothérapie lorsque des ganglions envahissent la graisse péri-rectale. Dans certains cas, notamment lorsque le cancer envahit des organes de voisinage interdisant d'emblée toute intervention (cancer du côlon envahissant le duodénum par exemple), il est possible d'instaurer une chimiothérapie pré-opératoire pour réduire la tumeur et autoriser le geste chirurgical. De même, une chimiothérapie peut être associée à une radiothérapie pour faire fondre une lésion cancéreuse du rectum et permettre une intervention. Dans ce cas, la "chimio" est utilisée pour potentialiser l'efficacité de la radiothérapie. La mise en oeuvre de ce protocole pré-opératoire augmente de manière indiscutable le contrôle local. En outre, mieux tolérée qu'en post-opératoire, y compris à doses élevées, la radiothérapie pré-opératoire permet, dans certains cas, de transformer une indication d'amputation en chirurgie conservatrice. Globalement, elle n'améliore pas la survie, mais diminue significativement le risque de récidive locale du cancer du rectum dans les deux premières années consécutives à la chirurgie, période durant laquelle ce risque est très important. Elle peut enfin être utilisée à visée palliative chez des sujets inopérables car elle a, dans ce cas, des effets symptomatiques indiscutables.

SURVEILLANCE À DISTANCE

« Bien que très discutée quant à son intérêt à long terme, indique le Dr Benoist, une surveillance régulière des patients opérés est systématiquement mise en place. Elle comprend un examen clinique régulier (tous les 3 à 4 mois) pendant les 2 premières années, puis tous les 6 mois pendant 3 ans si tout va bien. » Cette visite destinée à repérer d'éventuelles récidives locales est associée à différents examens complémentaires(6) :

-> échographie abdominale tous les 3 à 4 mois pendant les 2 premières années, puis tous les 6 mois pendant 3 ans ;

-> radio du thorax annuelle pendant 5 ans ;

-> coloscopie un an après l'intervention, puis tous les 3-4 ans si elle est normale afin de surveiller l'apparition de polypes.

« Certaines équipes ajoutent à cette surveillance un dosage des marqueurs tumoraux auquel nous ne nous livrons pas dans notre service, car l'élévation des marqueurs survient avant que la récidive ne soit identifiable par les examens d'imagerie, explique le Dr Benoist. Il nous paraît donc inutile d'inquiéter prématurément les patients dans la mesure où, sans récidive décelable, nous ne pouvons pas intervenir thérapeutiquement. » Appréciées à partir du registre bourguignon des cancers digestifs, les récidives loco-régionales ou métastatiques surviennent dans 3 % des cas à 5 ans pour les cancers coliques, et dans 43 % des cas pour les cancers du rectum. Deux tiers des récidives sont observées dans les deux premières années. Leur fréquence est directement liée à l'extension initiale du cancer : 12 % à 5 ans pour les cancers coliques Dukes A, contre 55 % pour les cancers Dukes C, et respectivement 19 % et 79 % pour les cancers du rectum. Cela dit, quel que soit le risque de récidive, la surveillance et la périodicité des examens doivent être adaptées en fonction de l'état clinique du patient, de sa capacité à supporter une éventuelle réintervention et de son espérance de vie. « Il est important d'adopter une stratégie respectueuse avant tout de la qualité de vie des patients, car, pour l'heure, tous stades confondus, 1 malade sur deux sera décédé 5 ans après la découverte du cancer, conclut le Dr Benoist. Raison pour laquelle nous espérons beaucoup du dépistage systématique. Sachant que les malades atteints d'un cancer colorectal limité à l'épithélium ont la même espérance de vie que les sujets de leur génération, un diagnostic beaucoup plus précoce des lésions cancéreuses permettrait incontestablement d'améliorer la survie, voire le taux de guérison des patients. »

(1) Curieusement, alors que la prévalence des adénomes du rectum est très faible, le risque de cancérisation dans ce segment d'intestin est beaucoup plus important que pour un adénome du côlon.

(2) La survie à 5 ans tous stades confondus varie de 5 % à 100 % en fonction du stade tumoral.

(3) Méthode de référence validée par la Société nationale française de gastro-entérologie en 2000.

(4) Ce syndrome se caractérise par des faux besoins d'aller à la selle (ténesmes, épreintes), ou des émissions glaireuses sanguinolentes.

(5) La diète sans résidu est basée sur des aliments (pâtes, pommes de terre) qui sont absorbés en grande majorité au niveau de l'intestin grêle. Tous les aliments riches en fibres doivent être supprimés.

(6) Source : recommandations de l'Anaes, conférence de consensus, janvier 1998.

Trois niveaux de risque de développer un CCR

- Les sujets à risque moyen ou standard

Il s'agit de toute personne ne présentant pas un risque spécifique. Ce risque moyen est estimé à 3,5 % avant l'âge de 74 ans.

- Les sujets à risque élevé

Ce groupe comprend plusieurs catégories de patients.

-> Les patients ayant des antécédents personnels d'adénome ou de cancer colorectal. Dans ce cas, une coloscopie est effectuée à 3 ans, puis tous les 5 ans si elle est normale.

-> Les patients atteints de maladie inflammatoire chronique de l'intestin évoluant depuis plus de 15 ans (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn).

-> Les patients ayant des antécédents familiaux de cancer colique, soit chez un apparenté au premier degré avant 60 ans, soit chez deux parents au premier degré, quel que soit l'âge du diagnostic. Dans ce cas, une coloscopie doit être effectuée à partir de 45 ans ou 5 ans avant l'âge du diagnostic du cas familial.

- Les sujets à risque très élevé

Sujets appartenant à une famille atteinte de cancers à transmission héréditaire autosomale dominante (polypose adénomateuse familiale). Dans ce cas, l'enfant présente un risque de développer la maladie dans 50 % des cas si un des parents est atteint et dans 75 % des cas si les deux parents sont atteints. Un peu moins de 1 % des CCR sont dus à la polypose adénomateuse familiale.

Classification de Dukes

- Stade A : tumeur ne dépassant pas la musculeuse et sans atteinte ganglionnaire.

- Stade B : tumeur dépassant la musculeuse et pouvant atteindre la séreuse en cas de cancer colique et la graisse périrectale en cas de cancer du rectum, mais sans atteinte ganglionnaire.

- Stade C : envahissement ganglionnaire, quel que soit le degré d'extension pariétale.

- Stade D : présence de métastases.

Source : IMH, les dossiers du praticien, n° 223.

Colostomie : l'accompagnement est indispensable

- Même si les interventions mutilantes justifiant une colostomie définitive sont moins fréquentes qu'auparavant, elles provoquent toujours le même choc pour les patients qui en relèvent, et elles nécessitent un accompagnement personnalisé prenant en compte la dimension psychologique (atteinte du schéma corporel) et pratique de la colostomie. Au-delà de l'aide précieuse apportée par les stomathérapeutes (connaissance du matériel, apprentissage, conseils d'utilisation, réponses aux questions..), les patients ont souvent besoin de rentrer en contact avec d'autres malades. « À ce titre, les associations de stomisés* jouent un rôle très important d'aide à l'acceptation de la colostomie, explique le Dr Benoist. Par ailleurs, l'irrigation colique aujourd'hui accessible à tous les patients colostomisés dispense, lorsqu'elle est fonctionnelle, du port et des inconvénients de la poche. » Cette méthode, dont l'apprentissage est assuré par les stomathérapeutes, permet au patient de vider son côlon toutes les 24 à 48 heures en injectant de l'eau tiède par le biais de la stomie, ce qui déclenche le péristaltisme et l'évacuation des matières fécales. Dans l'intervalle, l'orifice de la stomie est masqué par un petit pansement et il n'y a aucun risque de fuite, ni de matières, ni de gaz. « Si le principe est séduisant et améliore considérablement la qualité de vie des malades qui parviennent à maîtriser parfaitement l'utilisation du dispositif, en pratique, beaucoup abandonnent faute d'y arriver, explique le Dr Benoist. La collaboration des infirmiers libéraux peut donc être nécessaire pour relayer les stomathérapeutes à domicile et aider à l'éducation de ces patients. »

* Il existe de nombreuses associations de malades stomisés dont les coordonnées peuvent être fournies par la Fédération des stomisés de France (tél. : 01 45 57 40 02 ; fax : 01 45 57 29 26 ; Internet : http://www.fsf.asso.fr). D'autres sites peuvent être consultés sur Internet en recherchant via Google à "associations de stomisés".