Hépatite B : vaccinons ! - L'Infirmière Libérale Magazine n° 202 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 202 du 01/03/2005

 

La mobilisation s'impose

Formation continue

Prévenir

Commercialisé en France depuis 1982, le vaccin contre l'hépatite B a connu tour à tour le plébiscite et la reconnaissance, puis les affres de la controverse et du doute suite à sa mise en cause dans la survenue de cas de sclérose en plaques. Pourtant, il constitue le seul rempart efficace contre la transmission de l'hépatite B. Qu'en est-il à ce jour du rapport bénéfice/risque de ce vaccin ? Que dire aux patients ? Quand la prévention bat de l'aile, la mobilisation s'impose. Éclairage.

En 1992, un an après que la France ait rendu obligatoire la vaccination des personnels de santé contre l'hépatite B, l'OMS recommandait d'intégrer ce vaccin dans les programmes d'immunisation nationaux. « À cette époque, commente le Pr Didier Samuel, hépatologue (Centre hépato-biliaire, hôpital Paul-Brousse, Villejuif), la stratégie vaccinale de la France se limite exclusivement aux populations à risque (hémodialysés, personnels de santé médicaux et paramédicaux, transplantés rénaux, toxicomanes). Autant dire qu'elle est totalement insuffisante pour infléchir la prévalence de cette maladie grave. » Les hépatologues font alors pression pour développer sa prévention vaccinale. Cette action conduit le ministère de la Santé à mettre en place, en 1994, une stratégie de vaccination générale des enfants à l'entrée en 6e, période particulièrement à risque compte tenu des modes de transmission de cette maladie. D'emblée, les taux de couverture de la vaccination progressent régulièrement, passant de 3 % en 1993 à 18 % en 1997. Mais, en 1998, coup de théâtre : des cas de scléroses en plaques, survenus plus ou moins rapidement après une injection vaccinale, sont rapportés aux autorités sanitaires, suggérant un lien possible entre la vaccination et l'apparition de la sclérose en plaques (SEP). Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, cède à la pression médiatique et associative et opte pour le principe de précaution. Bien que les hépatologues français et l'OMS affirment que le vaccin est sûr et efficace, il suspend la vaccination systématique des enfants, déléguant "courageusement" aux médecins traitants le soin de la proposer au cas par cas... Déjà bien ébranlée, la vaccination vacille définitivement lorsque la DGS, reconnaissant implicitement l'existence d'un lien de causalité entre le vaccin et l'apparition de scléroses en plaques, ouvre droit à l'indemnisation de plusieurs patients.

UN PHÉNOMÈNE ISOLÉ

« Dans les faits, rapporte le Pr François Denis , l'attitude des pouvoirs publics se traduit par un rejet massif du vaccin, une chute du nombre de nouveaux vaccinés, un taux de couverture vaccinal global (21,7 %) parmi les plus bas d'Europe et des taux de couverture très insuffisants pour les vaccinations complètes (trois doses) : 19,8 % chez les nourrissons de deux ans, 23,3 % chez les enfants et 46,2 % chez les adolescents. » Par comparaison, la couverture vaccinale des nourrissons atteint 97 % en Italie, 88 % en Grèce, 60 % en Belgique, 90 % au Canada et aux États-Unis ! Il faut dire que ces pays ont choisi la vaccination néonatale et qu'aucun cas de SEP susceptible de semer le trouble n'a jamais été rapporté chez les très jeunes enfants. La cabale contre le vaccin reste donc très franco-française et, tandis que des pays comme le Mali, le Sénégal, le Cambodge ou le Laos désespèrent de ne pouvoir vacciner leur population faute d'argent pour financer les campagnes vaccinales, la France, "seule au monde", continue à boycotter le vaccin, au grand dam des hépatologues, des experts et des sociétés savantes. « Aujourd'hui, la situation française est préoccupante, confirme le Pr Samuel. D'autant que, contrairement à une idée souvent répandue, notre pays est très proche des pays à endémie intermédiaire comme l'Italie ou l'Espagne, en raison de l'importance de la population migrante. Toutefois, contrairement à ces pays, les taux de couverture auxquels nous parvenons ne permettent ni d'envisager l'éradication de l'hépatite B en France, ni même de protéger correctement les futures générations des conséquences de cette maladie grave. » Lorsqu'on sait que, faute d'un dépistage pourtant obligatoire, les nouveaux-nés de mères porteuses du VHB ne bénéficient pas tous d'une protection effective par sérovaccination spécifique dans les 12 à 24 heures qui suivent la naissance, on comprend l'inquiétude de ce spécialiste. Les autorités sanitaires auraient-elles démissionnées ou notre pays manquerait-il singulièrement de discernement et de bon sens ? Car, en refusant de vacciner leurs enfants contre l'hépatite B pour les soustraire à un risque très hypothétique, les Français semblent ignorer qu'ils exposent la jeunesse à un risque réel, connu, bien documenté et potentiellement grave, voire mortel.

REMETTRE LES PENDULES À L'HEURE

Sans vouloir nier l'évidence, l'innocuité totale des vaccins n'existant pas, il faut admettre que, jusqu'à présent, aucune étude n'a montré d'association significative entre l'injection du vaccin contre l'hépatite B et la SEP. « Parmi la dizaine d'études publiées à ce jour, trois ont porté sur des cohortes de plusieurs centaines de milliers de patients, et aucune d'entre elles n'a permis d'établir un lien entre vaccin et SEP, y compris lorsque la population étudiée avait des antécédents familiaux, indique le Pr Samuel. Qui plus est, dans l'enquête française plus particulièrement ciblée sur les jeunes, la prévalence de SEP s'est avérée conforme à la prévalence attendue hors vaccination. » Conforté par ces résultats rassurants et par les recommandations de la conférence de consensus de septembre 2003, le corps médical reprend confiance lorsqu'un an plus tard, une enquête anglaise publiée dans Neurology ébranle à nouveau les esprits et relance la controverse. En substance, cette étude montre un risque relatif trois fois plus important de développer des signes de SEP dans les 3 années qui suivent la vaccination chez les adultes. À peine publiée, Philippe Douste-Blazy demande à l'Afssaps, l'Anaes et l'Inserm de réunir une commission d'experts afin d'analyser ces nouvelles données et d'actualiser, le cas échéant, les recommandations de la conférence de consensus. Compte tenu du contexte, cette commission ne tarde pas à rendre ses conclusions dans un rapport d'orientation publié le 24 novembre 2004. Elle affirme notamment que « les données présentées au cours de l'audition ne sont pas de nature à remettre en cause le rapport positif entre le bénéfice et le risque de la vaccination contre le VHB chez les nourrissons, les enfants et les préadolescents. » Elle indique par ailleurs que « chez les adultes, bien qu'à la limite de la significativité, le risque n'est pas exclu et qu'il n'y a pas de bénéfices suffisants pour justifier la promotion de la vaccination chez les adultes ne faisant pas partie des groupes à risque. » En revanche, elle confirme que, pour ces derniers, « le bénéfice de la vaccination reste supérieur au risque, même en considérant un risque possiblement supérieur à trois ». La commission réaffirme donc la pertinence des stratégies d'action recommandées en septembre 2003, dans la mesure où « les résultats présentés ne sont pas de nature à remettre ce programme en question ». De nombreux observateurs remarquent en effet que cette étude présente des imperfections méthodologiques. Ils relèvent, entre autres, un biais de sélection lié à la population étudiée (population à risque) et un biais lié au faible nombre de cas rapportés. De fait, les auteurs de l'étude soulignent eux-mêmes que « 152 des 163 cas de SEP qu'ils ont analysés dans leur étude n'avaient jamais été vaccinés, et que la corrélation n'est donc discutée que pour les 11 patients restants, ce qui ne permet pas d'établir des conclusions significatives ». Celles-ci n'ont d'ailleurs pas convaincu le Comité consultatif mondial sur la sécurité des vaccins (GACVS) de l'OMS, pour lequel rien ne justifie actuellement de remettre en question la vaccination universelle contre le VHB, car son rapport bénéfice/risque reste largement en faveur de la vaccination systématique, en particulier des nourrissons et des enfants.

Actuellement dans le monde, 350 millions de personnes sont atteintes d'hépatite B chronique, auxquelles s'ajoutent chaque année 5,5 millions de nouveaux cas. Dans certains pays d'Afrique (Mali, par exemple), 100 % de la population est contaminée. L'hépatite B est par ailleurs responsable de 500 000 décès par an consécutifs à la survenue d'une hépatite fulminante, d'une cirrhose ou d'un cancer primitif du foie. À l'échelon de la France, les porteurs chroniques du virus de l'hépatite B sont environ 300 000 et on estime qu'environ 150 000 personnes sont infectées chaque année, ce qui signifie qu'un individu sur vingt rencontrera le virus au cours de sa vie. Si la plupart d'entre eux guériront spontanément de cette maladie, entre 10 et 20 % deviendront "porteurs chroniques" et potentiellement dangereux pour tous les sujets non vaccinés, compte tenu de la contagiosité de ce virus. D'où l'intérêt du vaccin qui permet non seulement de se soustraire à ce risque, mais aussi de protéger les autres.

CIBLER LE VRAI RISQUE

Toutes les études d'impact de la vaccination montrent qu'une politique vaccinale efficace engendre une baisse très forte de la prévalence de l'infection. Ainsi, en Italie, entre 1985 et 1996, la prévalence de l'hépatite B chronique a chuté de 3,4 à 0,9 %, tandis qu'on enregistrait entre 1992 et 1996 une baisse de 50 % des cas d'hépatite B aiguë. À Taïwan, où l'endémie est forte et la vaccination de masse généralisée, la prévalence de l'antigène HBs chez les enfants de moins de 15 ans est passée de 9,8 % en 1984 à 0,7 % en 1999. « En France, indiquait le Dr Françoise Degos lors du Medec 2003, la vaccination contre l'hépatite B éviterait des milliers d'infections par an, des centaines d'hépatites chroniques, des dizaines de cancers et entre 5 à 8 transplantations pour hépatites fulminantes. » Autant dire qu'il serait temps de cibler le vrai risque et de sortir la France de la position dans laquelle elle s'isole au risque de compromettre sa santé publique

COMMENT INVERSER LA TENDANCE ?

« Stratégiquement en France, commente le Pr Samuel, on ne pourra réhabiliter le vaccin et inverser la tendance actuelle qu'au prix d'une forte mobilisation des acteurs de santé en général et des pédiatres en particulier. Ceux-ci peuvent en effet s'appuyer sur le fait qu'aucun cas d'affection démyélinisante n'a jamais été observé avant l'âge de trois ans, ce qui constitue un argument majeur pour rassurer les parents et favoriser la vaccination néonatale. » Cela dit, les parents s'interrogent parfois quant à l'utilité de vacciner un enfant aussi jeune contre un risque de contamination principalement sexuel auquel, en toute logique, il n'est pas exposé. Une attitude face à laquelle il convient d'expliquer que, bien que rare, la transmission horizontale non sexuelle de l'hépatite B à l'enfant reste possible et conduit plus fréquemment (90 % des cas) que chez l'adulte (10 % des cas) au portage chronique. On peut également préciser qu'en vaccinant le nourrisson, on le protège sans risque pour toute sa vie, sans avoir à faire de rappel et sans multiplier les injections, puisque le vaccin contre l'hépatite B peut être associé aux autres vaccinations de l'enfance. Enfin, on peut ajouter que la tolérance et l'immunogénicité des vaccins sont excellentes à cet âge.

Depuis que le vaccin contre l'hépatite B a été mis sur le marché (plus de 20 ans), moins de mille cas de SEP ont été rapportés alors que quelque 27 millions de personnes ont été vaccinées, ce qui représente moins de 1 cas pour 27 000 vaccinations. « Si quelques cas survenus très près de la vaccination sont troublants et justifient de s'interroger quant à une possible relation de cause à effet, la plupart ont été déclarés à distance, plusieurs années après, et ne permettent pas d'exclure qu'il puisse s'agir d'une simple coïncidence, voire d'une réaction à un stimulus antigénique sur un terrain prédisposé », explique le Pr Samuel. Sur le plan immunologique, les spécialistes s'accordent en effet à dire qu'il est tout à fait concevable qu'un vaccin puisse activer ou stimuler une maladie auto-immune et augmenter chez des sujets prédisposés le risque qu'ils révèlent précocement une maladie potentielle ou latente. Mais ils précisent aussi que ce mécanisme concerne tous les vaccins quels qu'ils soient ! Par conséquent, y a-t-il une justification à boycotter plus particulièrement celui de l'hépatite B aujourd'hui mondialement reconnu par les autorités sanitaires comme un vaccin efficace et bien toléré par l'immense majorité des personnes vaccinées ? Si, en toute logique, la réponse s'impose, il reste manifestement un grand pas à faire pour redorer le blason de ce vaccin dans notre pays. « Face au malaise français, les soignants peuvent être très utiles pour restaurer la confiance vis-à-vis de cette vaccination, conclut le Pr Samuel. Parce qu'ils font la démonstration vivante de son intérêt. Avant la vaccination obligatoire, 10 % d'entre eux contractaient l'hépatite B... Aujourd'hui, ils sont tous vaccinés, protégés contre cette maladie potentiellement grave et globalement en bonne santé. » Autant dire qu'ils disposent d'arguments tangibles pour faire la part des choses et être de bon conseil sur cette question majeure de santé publique.

Comment se transmet l'hépatite B ?

- Le VHB est un virus extrêmement résistant et beaucoup plus contagieux que celui du sida ou de l'hépatite C. Il se transmet surtout par voie sexuelle, mais également par voie sanguine (piqûre d'aiguille contaminée, tatouages, piercing, personnes blessées ou soignées), ou encore de la mère à l'enfant lors de l'accouchement. La transmission verticale mère/enfant s'opère essentiellement pendant l'accouchement au passage de la filière génitale, par contact avec le sang(1). « La contamination horizontale non sexuelle par la salive ou le partage d'objets personnels (rasoirs, brosse à dents...) est possible mais plus rare dans nos pays, explique le Pr Didier Samuel. Elle est beaucoup plus fréquente dans les régions de forte endémie, comme c'est le cas de certains pays d'Asie ou d'Afrique. Toutefois, si la source est très contaminante (réplication très forte)(2) et si l'environnement est propice (conduites à risque), cette forme de contamination non sexuelle est possible et ne doit pas être négligée. » La période d'incubation est asymptomatique et dure de 2 à 6 mois. Dans la phase aiguë, la maladie peut prendre l'aspect d'une jaunisse associée à de la fièvre et à une grande fatigue. Toutefois, elle reste le plus souvent silencieuse. Dans ce cas, le malade est contagieux sans le savoir et présente un risque accru de contamination pour ses partenaires sexuels, voire son entourage familial.

(1) Un nourrisson contaminé par sa mère a 90 % de risque de rester porteur chronique du VHB. La vaccination prophylactique protège 95 % des nourrissons sans effets secondaires.

(2) Le VHB se réplique jusqu'à 1 milliard de copies. Par comparaison, celui du VHC atteint entre 1 à 2 millions de copies.

Des conséquences potentiellement graves

- Environ 10 % des sujets sains qui rencontrent le virus de l'hépatite B développent une forme chronique qui, dans 30 % des cas, évoluera vers des complications potentiellement graves, voire mortelles : cirrhose, cancer du foie. Les personnes âgées ou immunodéprimées ont un risque beaucoup plus élevé (30 à 40 %) d'évoluer vers la chronicité s'ils rencontrent le virus de l'hépatite B. Pour l'ensemble de la population contaminée, il existe un risque de 1 % d'hépatite fulminante mortelle. Cette forme touche plus particulièrement les adultes jeunes en bonne santé et très immunocompétents. Dans ce cas, en effet, la réaction immunitaire contre le virus s'attaque à toutes les cellules hépatiques sans distinction, entraînant une nécrose massive du foie. À l'inverse, lorsque l'immunité est faible, les patients évoluent vers la chronicité, leur immunité n'étant pas capable d'éliminer le virus. Le virus de l'hépatite B est un virus oncogène. Contrairement à l'hépatite C, le virus de l'hépatite B peut donner un cancer du foie d'emblée, sans passer par la cirrhose. Enfin, lorsqu'il a été en contact avec le VHB, un individu peut, même lorsqu'il n'est plus porteur du virus, développer un cancer du foie parce que son organisme a intégré l'ADN du virus dans son génome cellulaire.

Les sujets à risque

- Certaines catégories de personnes sont, du fait de leur situation ou de leurs comportements, particulièrement exposées à la contamination par le VHB. Sont concernées :

-> les usagers de drogue par voie IV ou per-nasale,

-> les adeptes des tatouages ou du piercing,

-> les personnes en contact avec un sujet porteur de l'Ag HBs. Dans ce cas, la vaccination est recommandée au sein de la famille concernée et de la collectivité de proximité, après vérification du statut individuel d'immunisation vis-à-vis du VHB,

-> les personnes infectées par le VIH ou le VHC,

-> les patients hémodialysés chroniques,

-> les patients transfusés chroniques,

-> les patients et personnels des structures accueillant des handicapés mentaux,

-> les personnes hétérosexuelles ou homosexuelles ayant des partenaires sexuels multiples et/ou une maladie sexuellement transmissible récente,

-> les voyageurs en pays de forte endémie,

-> les détenus,

-> les candidats à une greffe.

Source : Rapport d'orientation de la commission d'audition publique, novembre 2004.