Pénurie en 3 D... - L'Infirmière Libérale Magazine n° 202 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 202 du 01/03/2005

 

Japon

Sur le terrain

Estampillée 3 D - pour dure, dégueulasse, dangereuse - , la profession infirmière japonaise doit faire face au vieillissement de la population, à une image sociale dévalorisée et à une pénurie généralisée... Dur, dur !

Au pays du Soleil-Levant, les démographes tirent la sonnette d'alarme : l'Archipel est en passe de devenir le pays industrialisé le plus vieux du monde. En 2006, 20 % de sa population aura plus de 65 ans. En comparaison, en France, il faudra attendre 2020 pour arriver à ce chiffre, et 2028 aux États-Unis... Or, pour faire face à ce bouleversement, le Japon manque cruellement d'infirmières. Il faut dire que, malgré les efforts de celles-ci pour l'amélioration de leur situation, la profession ne jouit pas d'une image idyllique. « Pour beaucoup de jeunes japonais, elle est estampillée 3 K », affirme Claude Leblanc, écrivain, fin connaisseur du Japon. 3 K, c'est-à-dire Kitsui, Kitanai, Kiken : dur, dégueulasse, dangereux... Bref, pas glorieux ! « Voire pire si l'on y ajoute la faiblesse des salaires, les règlements tatillon » ou « l'interdiction du maquillage », ajoute-t-il. Rien de très attirant pour les enfants gâtés des baby-boomer. « Sans compter que cette profession, majoritairement féminine, subit les mêmes contraintes que toutes les femmes qui travaillent dans ce pays », souligne Yoshiko Hkoma, auteur d'articles sur le sujet. Difficile, voire impossible en effet de concilier vie professionnelle et maternité au Japon. À moins, comme le font beaucoup d'infirmières japonaises, de délaisser les hôpitaux et leurs contraintes horaires pour se consacrer aux soins des personnes âgées à domicile. « C'est la formule que j'ai choisie après la naissance de mon premier enfant, affirme Yumiko Esawa, 28 ans, domiciliée à Chiba, ville-dortoir située à une heure de Tokyo. Comme je savais que la demande était très forte dans mon domaine d'activité, je suis allée proposer mes services à la mairie. » Pourtant, les Japonais ne manquent pas d'imagination pour résoudre cet épineux problème. Les entreprises, qui ont flairé là un formidable marché, ont déjà conçu plusieurs appareils permettant de réduire les besoins en main d'oeuvre.

Des robots pour les soins !

Mais ce n'est pas tout : les champions de la robotique nipponne inventent de drôles d'engins, des sortes de "robots-infirmiers". Matsushita, par exemple, a mis au point un robot dans lequel se cache un assistant médical qui fonctionne avec un système d'autodiagnostic. Lorsque son propriétaire mesure sa tension et qu'elle est, par exemple, plus élevée que celle enregistrée dans son dossier médical, le robot peut appeler l'hôpital. Magique ! La firme Sanyo Electric Company's, autre fleuron de la robotique, basée à Osaka, s'est aussi enfournée dans le créneau en concevant une sorte de grosse baignoire savante programmée pour effectuer toilettes et massages. Elle a aussi créé un petit robot parlant, équipé de deux caméras en guise d'yeux, très prisés par les couples actifs désireux de veiller à distance sur leur vieux parents. L'idée de voir les infirmières remplacées par une armée de robots vous fait froid dans le dos ? Tranquillisez-vous, ce n'est pas pour demain. « Certaines personnes dans l'industrie disent que les Japonais ne sont pas prêts pour avoir un robot comme infirmière, qu'ils attachent de l'importance à l'aspect humain, reconnaît Hiroaki Otsubo, directeur général pour le développement à Sanyo. Nous sommes coincés entre des préoccupations d'efficacité, des préoccupations de coût et un souci de soin humain. Car si vous prêtez attention à l'aspect humain, vous aurez inévitablement besoin de force de travail. »

La force de travail, c'est à l'étranger que le gouvernement est allé la chercher. Depuis un accord commercial conclu en décembre 2004 entre le Japon et les Philippines, l'Archipel, traditionnellement très fermé aux travailleurs étrangers, a ouvert ses portes à plusieurs milliers d'infirmières et d'aides-soignantes philippines, qui ont dû suivre 130 heures de formation linguistique pour accéder à l'emploi. Cette mesure, aussi peu populaire dans la profession (qui a fait pression sur le gouvernement pour bloquer le processus d'admission) que dans la population, n'en était pas moins urgente : selon le ministère de la Santé, le Japon, qui compte environ deux millions d'infirmières et d'aides-soignantes, aurait encore besoin de 700 000 candidatures pour une demande qui ne cesse de croître.

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