Asthme et sport - L'Infirmière Libérale Magazine n° 205 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 205 du 01/06/2005

 

Formation continue

Prévenir

Longtemps déconseillée aux asthmatiques, la pratique du sport fait désormais partie de l'arsenal thérapeutique. Loin d'être entrée dans les moeurs, cette approche doit encore franchir de nombreux obstacles car l'asthme d'effort continue de faire peur. Pourtant, il peut être prévenu et maîtrisé en observant quelques règles et peut même devenir un atout pour améliorer la qualité de vie des asthmatiques.

De la natation avec Marc Spitz et ses sept médailles d'or aux JO de Munich (1972), au triathlon ultra distance avec Pascal Pitch, champion du monde de cette discipline, de nombreux athlètes de très haut niveau démontrent de façon éclatante qu'il est possible d'être à la fois asthmatique et sportif. Des performances qui ont probablement contribué à faire évoluer l'attitude du corps médical vis-à-vis du sport. « Il y a une vingtaine d'années, les crises d'asthme à l'effort étaient redoutées et le sport médicalement déconseillé aux asthmatiques, commente le Dr Chantal Karila, responsable du centre de réentraînement à l'effort de l'hôpital Necker-Enfants malades (Paris). Depuis, les pneumologues ont opéré un revirement radical. Aujourd'hui, ils considèrent que la pratique d'une activité physique fait partie de l'arsenal thérapeutique au même titre que le traitement de fond car elle permet de lutter contre la spirale du déconditionnement et l'altération de la qualité de vie des patients. »

LE SPORT, UN VÉRITABLE OUTIL DE SOIN

L'enfant asthmatique non entraîné à l'effort s'essouffle vite et se détourne naturellement de l'effort par peur de la crise. Plus il évite l'effort, plus ses capacités physiques, (musculaires et ventilatoires), se détériorent et plus il s'enferme dans la spirale du déconditionnement physique, véritable maladie secondaire de l'asthme. Résultat : sa tolérance à l'effort diminue et le seuil d'apparition de l'asthme d'effort baisse, l'exposant à la crise au moindre exercice physique. « Toute diminution importante d'activité aggrave l'essoufflement (dyspnée) et la fréquence de l'asthme d'effort, explique le Dr Karila. À l'inverse, un asthmatique bien entraîné physiquement fait beaucoup moins d'asthme d'effort. » Cela s'explique de la manière suivante : en pratiquant régulièrement une activité physique, l'asthmatique augmente la capacité à dilater ses bronches. Cette bronchodilatation préventive limite par anticipation les effets de la bronchoconstriction à l'arrêt de l'effort et recule le seuil de déclenchement de l'asthme d'effort vers des exercices plus intenses et/ou prolongés. Par ailleurs, lorsqu'il fait un effort, l'asthmatique non entraîné ventile naturellement beaucoup plus que tout autre individu non malade. Grâce à l'entraînement physique, l'hyperventilation diminue et se rapproche de celle des autres sportifs. Dès lors qu'ils sont entretenus par un entraînement régulier et bien contrôlé, ces deux mécanismes physiologiques (bronchodilatation préventive et diminution de l'hyperventilation), liés à l'entraînement physique, font reculer le seuil d'apparition de l'asthme d'effort qui peut ainsi être parfaitement contrôlé. Le savoir devrait donc inciter les asthmatiques à pratiquer une activité physique régulière.

Pourtant, au quotidien, l'asthme est loin de rimer avec sport. La plupart des enfants asthmatiques sujets à un asthme d'effort (cela concerne près de 90 % d'entre eux) sont dispensés d'éducation physique ou s'autolimitent dans leurs activités sportives par crainte des crises ou par complexe vis-à-vis de leurs camarades plus performants. Surprotection, peur, ignorance font encore trop souvent le lit d'un rejet sans appel du sport. « Il faut donc rappeler à l'envi que le sport est un moyen de lutter contre les crises d'asthme d'effort et qu'il est accessible et conseillé à la majorité des asthmatiques* pour que les parents d'enfants asthmatiques et les asthmatiques eux-mêmes dès leur plus jeune âge modifient leur approche du sport », insiste le Dr Karila.

COMMENT DEVENIR UN ASTHMATIQUE... SPORTIF ?

Si un changement radical s'impose, la pratique d'une activité physique oblige l'asthmatique à respecter certaines règles et à adopter certains réflexes permettant de prévenir ou de maîtriser les crises d'asthme induites par l'effort :

- Équilibrer son asthme

« Avoir un asthme stable est un pré-requis indispensable pour pouvoir pratiquer un sport régulièrement, voire intensivement (compétition) », expliquent les spécialistes. Cet équilibre repose sur un traitement de fond bien adapté et un suivi régulier de la mesure du souffle (exploration fonctionnelle respiratoire).

- Choisir un sport motivant

En pratique, exception faite de la plongée sous-marine avec bouteille, aucun sport n'est particulièrement déconseillé ou contre-indiqué. « Certains sont naturellement plus asthmogènes que d'autres, indique le Dr Karila, mais j'évite d'intervenir dans le choix du sport car l'objectif est d'amener l'enfant à pratiquer une activité physique durable qui aura, in fine, une véritable vertu thérapeutique. Il est donc important de privilégier le désir de l'enfant, quitte à devoir adapter son traitement en prescrivant par exemple un médicament préventif avant l'effort. » Ce postulat posé, il est nécessaire de savoir que les sports d'endurance dits "cardio-vasculaires" (vélo, natation...) sont ceux qui favorisent le plus l'entraînement à l'effort et sont les plus efficaces sur le recul de l'asthme d'effort. À l'inverse, les sports qui génèrent une ventilation brutale importante et sont pratiqués en air froid et sec sont plus asthmogènes que les sports nécessitant une ventilation régulière en milieu chaud et humide ou en salle. Ainsi, théoriquement, la marche et le vélo, pratiqués de façon progressive, provoqueront globalement moins de crises que la course de vitesse. De même, la natation, pratiquée en atmosphère chaude et humide, donnera moins de réactions des bronches, sauf si celles-ci sont sensibles aux émanations de chlore. Les sports séquentiels faisant alterner des périodes d'activité et d'arrêt comme les sports de ballon sont également bien tolérés par les asthmatiques, au même titre que la lutte, le judo, l'escrime ou le tennis, par exemple. L'équitation reste le seul sport à aborder avec réserve en cas de terrain allergique car elle expose le cavalier à de nombreux allergènes liés aux chevaux et à leur environnement. « En tout état de cause, commente le Dr Karila, peu importe le sport pourvu qu'il plaise à l'enfant et soit suffisamment motivant pour lui faire prendre conscience de l'importance qu'il doit accorder au respect de son traitement de fond et aux mesures préventives (échauffement, ventilation, hydratation, traitement) qu'il doit mettre en oeuvre lorsqu'il va s'entraîner. »

- S'échauffer avant l'exercice

Le sujet asthmatique doit réaliser un échauffement lent et progressif pour que les variations de température, d'hydratation et de ventilation s'opèrent graduellement. Quel que soit le sport, il ne doit jamais démarrer à froid ni violemment.

- Contrôler la ventilation

En général, les asthmatiques ont tendance à ne respirer qu'en utilisant une petite partie de leurs volumes pulmonaires. « Il est donc important de leur apprendre à respirer avec le ventre car la respiration abdominale leur permet de ventiler l'ensemble du poumon, d'activer le diaphragme et d'optimiser la capacité respiratoire, commente le Dr Karila. Cette étape franchie, ils doivent également apprendre à rythmer leur respiration sur l'effort pour ne pas s'essouffler trop rapidement. » Par ailleurs, pour éviter le refroidissement trop rapide des voies aériennes (générateur de bronchospasme), l'asthmatique doit "climatiser" l'air inspiré, c'est-à-dire le réchauffer et l'humidifier en respirant par le nez. Dans le même but, il peut, lorsqu'il fait froid, pratiquer ses activités sportives en se couvrant le nez et la bouche d'un foulard de soie. L'expiration doit de préférence s'effectuer lentement par la bouche en maintenant les lèvres peu ouvertes. Cette technique permet de maintenir les voies aériennes sous pression et d'éviter le collapsus des bronches.

- Bien s'hydrater

L'hydratation recommandée à tout sportif, en particulier pour éviter les crampes, permet de "compenser en partie" la déshydratation des voies aériennes qui favorise le bronchospasme.

- Prendre son médicament préventif lorsqu'il est prescrit

Une prévention médicamenteuse ponctuelle en plus du traitement de fond est parfois nécessaire. Elle repose principalement sur les bronchodilatateurs de courte durée d'action : Salbutamol (Ventoline®, Spreor®, Ventodisk®), terbutaline (Bricanyl®)... Une double bouffée, 15 minutes avant l'effort, assure une protection supérieure à 90 % pendant deux à six heures selon les enfants. Dans certains cas, ce traitement d'appoint peut être remplacé par un bronchodilatateur de longue durée d'action (Serevent®, Foradil®) qui, pris matin et soir en traitement de fond, assure également une protection contre l'asthme d'effort durant douze heures. Il est particulièrement intéressant pour les enfants scolarisés. Les antileucotriènes (Singulair®) présentent le même avantage. Généralement utilisés en traitement de fond pour leur action anti-inflammatoire, ils peuvent également s'utiliser pour prévenir les crises d'asthme d'effort. Ils présentent l'intérêt d'une prise unique par jour (le soir), assurant une protection de 24 heures.

- Tenir compte du seuil ventilatoire

Lorsqu'il produit un effort, tout individu, asthmatique ou non, atteint à un moment donné un seuil ventilatoire, c'est-à-dire une cassure marquant une augmentation nette de la ventilation. Ce seuil, équivalant au seuil lactique ou anaérobie, représente le stade à partir duquel se produit l'essoufflement. « L'enfant ou l'adulte asthmatique pratiquant un sport d'endurance doit toujours rester au niveau de ce seuil pour éviter d'être trop essoufflé », commente le Dr Karila. En fait, l'endurance n'est pas asthmogène en soi, c'est le niveau ventilatoire auquel on la pratique qui la rend asthmogène. « Raison pour laquelle, ajoute le Dr Karila, je recommande aux enfants asthmatiques de pratiquer leur sport à leur rythme et, lorsqu'ils se sentent essoufflés, de ralentir plutôt que de s'arrêter et d'écouter leur respiration pour rester à un niveau d'essoufflement correct. Au début, ils ont l'impression d'être toujours à la traîne et peuvent en concevoir une gêne vis-à-vis de leurs camarades. Il est donc important que les parents, les enseignants et les entraîneurs de club sportifs soient informés pour mettre l'enfant à l'aise et l'encourager dans ses progrès. » De fait, lorsque l'activité physique est régulièrement pratiquée autour du seuil ventilatoire, celui-ci recule progressivement pour des efforts de plus en plus importants permettant à l'asthmatique de rivaliser avec ses partenaires, voire de concourir en compétition.

- Avoir toujours à portée de main un bronchodilatateur de courte durée d'action à inhaler en cas de gêne respiratoire.

« En principe, commente le Dr Karila, la crise d'asthme d'effort cède spontanément. Toutefois, il y a souvent d'autres co-facteurs (pollen, pollution...) qui compliquent la situation. Personnellement, je préfère ne pas mettre de freins en rapport avec ces co-facteurs environnementaux et trouver avec la famille et l'enfant les adaptations nécessaires à la pratique du sport dans toutes les conditions ou presque. Notamment si, à l'arrêt de l'exercice, l'enfant est gêné, tousse ou se trouve essoufflé anormalement, il doit avoir le réflexe d'inhaler une à deux bouffées de médicament sans attendre. » Ce geste lui apporte un confort immédiat et évite d'alarmer son entourage en normalisant rapidement son souffle.

- Se ménager une récupération lente et progressive

La récupération comme l'échauffement est importante pour éviter un contraste trop brutal de ventilation, d'hydratation et de température au niveau des bronches. Ainsi tout effort physique doit être suivi d'un retour au calme progressif qui permet à la fonction respiratoire de se normaliser tranquillement et sans risque.

RÉENTRAÎNEMENT À L'EFFORT

Lorsque l'enfant veut faire du sport mais ne parvient pas à gérer lui-même la pratique d'une activité physique ou lorsqu'il est souvent gêné mais souhaite poursuivre ses activités ou optimiser ses performances pour faire de la compétition, il peut bénéficier d'un réentraînement à l'effort. Généralement proposés dans le cadre de séjours en maisons d'enfants, les programmes de réhabilitation à l'effort font également l'objet d'expériences pilotes proposant, comme à l'hôpital Necker-Enfants malades, une prise en charge ambulatoire. Ces programmes associent le réentraînement à l'effort et l'éducation thérapeutique. Leur objectif consiste à montrer à l'enfant asthmatique qu'il peut pratiquer une activité physique sans nécessairement déclencher une crise mais, surtout, affronter sa maladie en améliorant sa tolérance à l'effort et sa qualité de vie. Le réentraînement va permettre de diminuer l'hyperventilation excessive à l'effort, d'améliorer la capacité aérobie et la force musculaire périphérique et d'inverser la spirale du déconditionnement. L'enfant parvient ainsi à éviter l'apparition de la dyspnée à l'effort et prend conscience qu'il est capable de maîtriser lui-même l'asthme d'effort. Avant d'engager ce travail, il bénéficie d'un diagnostic éducatif réalisé par une équipe pluridisciplinaire (médecin, professeur d'EPS, kinésithérapeute, infirmière, psychologue). Ce diagnostic permet de définir le niveau de sévérité de l'asthme, les objectifs de l'enfant, les problèmes qu'il rencontre pour les atteindre et les moyens à mettre en oeuvre. « Dans notre centre, explique le Dr Karila, un contrat thérapeutique est conclu avec l'enfant par lequel il s'engage à participer aux séances hebdomadaires avec assiduité et à s'inscrire, au terme de la prise en charge, à une activité physique régulière pour consolider les apprentissages et optimiser le reconditionnement à l'effort dans le temps. » Pilotés par un professeur d'EPS spécialisé, les enfants reçoivent une information sur l'asthme et ses traitements, apprennent la respiration abdominale, réalisent des exercices physiques en endurance leur permettant d'acquérir les bons réflexes en matière d'échauffement, de respect du seuil ventilatoire et de gestion globale de l'effort. Conduites de façon ludiques en variant les activités et l'intensité des exercices, ces séances s'échelonnent en général sur une année scolaire, au terme de laquelle les résultats sont évalués afin de vérifier que les objectifs sont atteints et l'enfant en mesure de gérer correctement ses activités sportives.

ENCOURAGER LA PRATIQUE DU SPORT

Si la pratique du sport ne soigne pas directement l'asthme, elle y contribue, en améliorant la tolérance à l'effort, en diminuant l'essoufflement et en rendant l'enfant moins tributaire de son asthme. Par ailleurs, l'enfant qui sait contrôler et rythmer sa ventilation saura mieux gérer une crise et évitera qu'elle ne s'aggrave du fait du stress, voire de la panique. « Globalement, conclut le Dr Karila, la pratique du sport régulière permet à l'asthmatique de se réconcilier avec son corps, de mieux le connaître et de mieux le maîtriser en toutes circonstances. En ce sens, c'est un outil de prévention secondaire dont il faut encourager l'utilisation. » Sans compter que faire du sport (à l'école ou comme loisir personnel) facilite l'intégration sociale, favorise un développement physique harmonieux et permet à l'enfant asthmatique, comme à tous les autres, de cultiver le goût de l'effort, d'apprendre l'humilité et de développer des qualités de résistance mentale et physique. Autrement dit, c'est un facteur d'épanouissement auquel il est important de ne pas soustraire arbitrairement l'enfant. D'où l'intérêt de se donner les moyens de concilier asthme et sport. Un message que les infirmiers doivent relayer auprès des familles pour lever interdits et restrictions et aider les enfants asthmatiques à mieux grandir grâce au sport.

* Hormis les cas où l'asthme est temporairement instable et mal équilibré, tout asthmatique bien traité et observant peut faire du sport.

L'asthme d'effort : comment, pourquoi ?

- L'asthme induit par l'effort est un syndrome clinique (toux, sifflements, dyspnée) survenant à l'arrêt d'un exercice physique et traduisant une obstruction bronchique transitoire (quelques minutes). Cette bronchoconstriction fait suite à la bronchodilatation physiologique présente durant l'effort.

- Pendant l'effort, l'air inspiré produit un refroidissement et une déshydratation des voies aériennes qui, à l'arrêt de l'effort, se réchauffent et se réhumidifient. Chez l'asthmatique, ces fortes variations de température et d'humidité des bronches provoquent un oedème local et la libération de médiateurs inflammatoires bronchoconstricteurs (dont les leucotriènes) qui entraînent une bronchoconstriction à l'origine de la crise d'asthme d'effort. Celle-ci est favorisée par différents facteurs : l'intensité élevée et la durée de l'effort (plus de 5 à 6 minutes), la respiration buccale rendue obligatoire par l'intensité de l'effort ; la température de l'air et son degré d'humidité ; la pollution atmosphérique et la concentration de substances allergisantes (pollens par exemple) dans l'air.

Plongée sous-marine : la seule contre-indication

- La plongée sous-marine avec bouteille* est le seul sport légalement interdit aux asthmatiques. Plusieurs raisons expliquent cette exclusion. D'une part, l'environnement très asthmogène lié au froid, à l'hyperventilation, au stress, à l'exposition à l'hyperoxie et à la ventilation de gaz secs (ces facteurs peuvent déclencher un spasme bronchique). Par ailleurs, la remontée peut provoquer une libération de bulles éliminées par les poumons. Lorsqu'il existe une obstruction et une inflammation des plus petites voies aériennes, ces bulles ne peuvent être éliminées et sont donc renvoyées dans la circulation. Dans ce cas, il peut arriver qu'elles se coincent dans les petits vaisseaux et qu'elles entraînent des accidents graves, notamment lorsqu'il s'agit de vaisseaux du système nerveux central. Ces accidents de décompression sont plus fréquents chez l'asthmatique dont les bronches sont inflammatoires. Enfin, en cas de besoin, il est techniquement impossible d'inhaler un médicament d'action rapide au fond de l'eau.

* La plongée en apnée est possible.