Concertation, réflexion, action : trois clefs pour un réseau - L'Infirmière Libérale Magazine n° 205 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 205 du 01/06/2005

 

Initiatives en réseau

À Poitiers, les professionnels en difficulté avec le suivi d'une personne âgée peuvent faire appel au réseau gérontologique, spécialiste en démêlage de noeuds sanitaires et sociaux.

Madame X, malgré son âge vénérable, vit seule chez elle de façon relativement autonome. Elle refuse les aides à domicile de toutes sortes, ménagères ou autres, jusqu'au jour où une chute la conduit aux urgences. La sortie de l'hôpital s'avère alors très difficile pour cette personne en perte d'autonomie, ce qui laisse les professionnels de santé désemparés : s'ils peuvent faire des recommandations pour les soins, ils ne savent pas forcément à qui l'adresser et encore moins comment régler les problèmes de tous ordres qui vont se poser au niveau social.

C'est dans ce genre de contexte que le réseau mis en place par des professionnels poitevins trouve tout son intérêt. Centré sur la gérontologie, il regroupe de manière originale des structures de différentes sortes, libérales, hospitalières ou sociales, afin de dénouer les situations de crise. Les personnes visées sont les « personnes âgées en situation fragile, complexe et/ou conflictuelle », explique-t-on au sein du réseau. S'il est reconnu "Clic labellisé de niveau 3", le réseau poitevin dépasse la simple coordination gérontologique, fût-elle sanitaire et sociale.

UNE STRUCTURE PARTENARIALE

Au départ, on dirait plutôt un réseau informel : pas de structure centralisatrice, pas d'association fédérant les différents partenaires. En réalité, le réseau est tout à fait formalisé autour d'une convention de partenariat qui réunit ses principaux acteurs : le CHU, l'hôpital psychiatrique local, la ville de Poitiers via le CCAS (centre communal d'action sociale) et l'association Santé Libéraux 86 qui regroupe des professionnels libéraux du département de la Vienne. Le président de cette dernière, le Dr Daniel Hofnung, explique que le projet était déjà engagé depuis la fin des années 1990 grâce à « des discussions sur le réseau pendant deux ans avec les deux hôpitaux ». Pour éviter une structure trop lourde, les libéraux, au départ principalement des militants syndicaux de MG France, de la FNI ou d'autres professions, décident de créer une association qui signera une convention avec les établissements et la commune. Il faut également noter qu'à cette époque la dotation régionale (DRDR) n'existe pas encore et que le Faqsv ne finance que les initiatives libérales.

« Aujourd'hui, explique le Dr Hofnung, on a une quinzaine d'idels membres actifs auxquels s'ajoutent tous ceux qui utilisent le réseau. » Leurs maîtres-mots : décloisonnement, cohérence et non rupture dans la prise en charge.

RESPONSABILISER LES ACTEURS

« On est dans une démarche de prévention », explique Danielle Métais, cadre de santé et coordinatrice du réseau. Si le Clic assure la coordination en incluant un volet sanitaire, les membres du réseau tentent au maximum de miser sur la formation, l'amélioration des pratiques et la réflexion en amont afin d'anticiper les situations de crise plutôt que d'avoir à les gérer. En pratique, « près de 800 dossiers patients ont été ouverts depuis fin 2000, avec une file active de 380 à 400 dossiers », explique Danielle Métais qui précise que le réseau cible son intervention sur les situations problématiques, les autres relevant de la prise en charge classique d'un Clic. « La majorité des prises en charge, ce sont des pertes d'autonomie liées à des démences », complète le Dr Hofnung qui note l'intérêt de travailler en partenariat avec un hôpital psychiatrique, ce qui offre « toujours la possibilité d'une expertise rapide par un psychiatre ». Si le système de convention de partenariat demande beaucoup de travail et d'énergie, au final, il paraît plus responsabilisant pour ses acteurs. Ainsi, conclut le Dr Hofnung, « la convention, c'est un système qui est bien car tout le monde se sent impliqué à parts égales en droits et devoirs, alors que, dans les associations, c'est souvent des droits pour certains et des devoirs pour d'autres... ».

LE NERF DE LA GUERRE

Comme dans tout réseau qui se respecte, la question du financement est cruciale pour la bonne marche des opérations. Là aussi, le réseau gérontologie de Poitiers a trouvé des solutions intéressantes. L'association des professionnels libéraux a bénéficié, non sans peine, de financements par le Faqsv pour les années 2001 à 2003, à hauteur de 10 000 puis d'un peu moins de 35 000 euros annuels (chiffres du rapport 2003 du Faqsv régional), tandis que les subventions des hospitaliers relevaient de l'ARH. Depuis 2004, la dotation régionale (DRDR) a pris le relais. Elle est versée par convention au "banquier" du réseau, à savoir le CCAS de Poitiers, qui reverse ensuite aux différents partenaires en fonction de ce qui a été convenu, tandis que le Clic reçoit une subvention du Conseil général. Les salaires de la coordinatrice, de l'aide-coordinatrice et des secrétaires « sont payés par l'hôpital ou le CCAS puis imputés sur le budget du réseau, ce qui permet aux salariés d'être protégés, quoiqu'il arrive », explique le Dr Hofnung. Cela dit, à terme, les membres du réseau n'excluent pas, selon Danielle Métais, de « s'orienter vers un groupement de coopération sanitaire ». Le financement sert notamment à rémunérer les réunions de concertation du réseau (« 91 l'année dernière », selon la coordinatrice). Plus généralement, explique le Dr Hofunung, « les libéraux qui participent aux réunions de coordination, aux groupes de travail et à la gestion du réseau sont indemnisés à hauteur de 3 C de l'heure, soit 60 euros, quelle que soit la profession » (médecin généraliste, spécialiste, infirmière, kinésithérapeute, etc.). « Dès lors qu'un libéral intervient missionné par le réseau, il est indemnisé. »

TROIS INSTANCES DE FONCTIONNEMENT

Pour arriver à mettre à pied d'oeuvre des structures aussi différentes qu'un centre hospitalier, un CCAS ou une association de libéraux, le réseau dispose de trois instances juridiquement informelles, mais néanmoins essentielles :

-> un "organe opérationnel" sous la forme d'un Comité de suivi composé à parité de représentants de chaque partenaire (CHU, CHL, CCAS, association de libéraux) ;

-> un "organe de réflexion" matérialisé par un groupe de travail et d'évaluation, qui réunit l'ensemble des intervenants actifs ;

-> un "organe technique", en réalité une unité de coordination gérontologique animée par l'équipe permanente de coordination.

Le comité de suivi prend les décisions et valide les actions, le groupe de travail engage des actions de communication, de prévention et d'innovation, et l'unité de coordination assure la coordination des actions autour de la personne âgée. Un professionnel de santé confronté à un problème spécifique peut contacter la permanence téléphonique cinq jours sur sept, un répondeur permettant une prise en charge relativement rapide le reste du temps. « Je pense que ça fonctionne bien, les libéraux sont contents, car c'est un réseau d'aide aux patients mais aussi aux professionnels », explique le Dr Hofnung. Le principe est que « toute prise en charge à domicile l'est en priorité par les aides habituels » et que les professionnels ne sont pas obligés d'adhérer pour utiliser le réseau. Du côté des familles, les retours sont également positifs puisque la demande augmente régulièrement et que les proches se rendent aux réunions de concertation : « ils sentent une cohérence, c'est très sécurisant pour eux », explique Danielle Métais qui estime que les familles « s'impliquent beaucoup et viennent parfois de très loin ».

Lorsque le réseau est appelé, une expertise est réalisée pour évaluer la situation du patient. Danielle Métais donne quelques exemples : « Cela peut être une personne âgée qui commence à avoir des troubles cognitifs... L'infirmière libérale voit que le traitement ne suffit pas, la personne est en danger, il y a un isolement social et familial. » Ou encore, « un médecin traitant se trouve face à une pathologie aiguë chez une personne âgée, il faut mettre en place des aides à domicile, peut-être prévoir une hospitalisation en gériatrie aiguë ».

POUR DES PRISES EN CHARGE COMPLEXES

Comment se fait la prise en charge ? En premier lieu, la coordinatrice vient évaluer les lieux, les besoins, quels professionnels sont nécessaires (assistante sociale, médecin, etc.). « Puis, explique le Dr Hofnung, souvent nous faisons ensuite une réunion de coordination au lit du malade ou dans le réseau avec la famille, parfois le patient, et tous ceux qui sont impliqués : professionnels de santé, travailleurs sociaux, directeur de la maison de retraite éventuellement... » La réunion donne lieu à un plan d'aide formalisé sur papier et envoyé à tous les intervenants. Deux ou trois mois plus tard, la situation est réévaluée pour un maintien, un allègement, une modification ou une intensification des aides. « Souvent, les soucis viennent de relations conflictuelles », constate , qu'il s'agisse de conflits entre aides à domiciles et patient, entre patient et soignant, entre soignant et famille, etc. « Le réseau joue alors le rôle de tiers. »

ÉVITER LE RECOURS AUX URGENCES

Dans tous les cas, l'objectif est de proposer une prise en charge à domicile le plus longtemps possible « tant que c'est réalisable » compte tenu de l'entourage, des finances et de l'état de santé notamment. Ainsi, explique Daniel Hofnung, « quand ça devient dangereux - risque de chute, pas de possibilité de surveillance assez étendue sur 24 heures, etc. - on propose une institutionnalisation avec l'accord de la famille ».

La multidisciplinarité de la prise en charge permet de dénouer des situations apparemment insolubles : Danielle Métais raconte le cas de cette personne « âgée de 90 ans, expulsée de son logement, les services sociaux étaient épuisés au bout de 5 ans, elle avait un endettement énorme ». Une réunion de concertation met autour d'une même table le médecin traitant, un gériatre et toute une série de professionnels. Elle permet d'orienter la personne vers une consultation en gériatrie et des troubles du jugement seront diagnostiqués. Le réseau proposera une « mise sous protection judiciaire avec suivi psychogériatrique ». Souvent ces réunions en amont permettent d'éviter un recours aux urgences, au point que certains médecins contactent le réseau pour anticiper une situation de crise. Enfin, lorsque la situation semble réglée, le dossier est mis "en sommeil", c'est-à-dire conservé en vue d'une réouverture éventuelle.

DES OUTILS ORIGINAUX

Parallèlement à son travail de coordination, le réseau tente de développer des outils spécifiques autour des besoins en gérontologie. Un DMP (dossier médical partagé) est en cours d'étude et devra être mutualisé avec les autres réseaux régionaux, ce qui n'a rien d'exceptionnel. En revanche, plus original, un "groupe d'alerte" a été mis en place pour agir au plus vite. « On a beaucoup travaillé sur la prévention de la maltraitance, raconte Danielle Métais. On pense qu'un signalement entraîne une enquête qui peut parfois être pire pour la personne. »

Pour limiter à la fois la maltraitance et les enquêtes non nécessaires, le groupe Alerte a été constitué, incluant gériatre, psychiatre, membre d'Alma (association de lutte contre la maltraitance), procureur, juge des tutelles, médecin généraliste, représentante du médico-social, représentant du social et la coordinatrice. Il est destiné à détecter les situations problématiques et anticiper les risques.

Autre initiative intéressante, des groupes de soutien sont mis en place pour les aidants professionnels, en particulier les aides à domicile. Ils prennent la forme de groupes de parole animés par un psychiatre en fonction de la demande. Les problématiques abordées concernent « la confrontation à la grande dépendance physique et intellectuelle, à l'agressivité, aux difficultés de prise en charge d'un syndrome de Diogène ».

Au final, les membres du réseau sont arrivés à créer un consensus autour de valeurs, malgré la diversité des cultures, que ce soit en termes de structures (hôpital, ville), de domaine d'action (sanitaire, social) ou de profession (médecins, aides à domicile, etc.). « Pour avoir ce consensus, commente la coordinatrice, ça demande des débats et du temps, que toutes ces peurs de la perte de sa légitimité tombent. Il faut travailler beaucoup sur la chasse aux idées reçues. » Surtout, ajoute-t-elle, « il faut que tout le monde s'y retrouve ».

Clic et coordination gérontologique

- Les Centres locaux d'information et de coordination (Clic) permettent d'accueillir et d'orienter les personnes âgées nécessitant une prise en charge complexe. Ils interviennent au niveau du département et sont labellisés selon trois niveaux :

-> niveau 1 : accueil, écoute, information et soutien aux familles,

-> niveau 2 : idem + évaluation des besoins et élaboration d'un plan d'aide personnalisé ,

-> niveau 3 : idem + suivi et évaluation de situations plus complexes, articulation médico-sociale, coordination des acteurs de santé, accompagnement social et aide à l'amélioration de l'habitat.

Une population âgée, à risque de suicide

- La région Poitou-Charentes compte 43 infirmiers libéraux pour 5 000 habitants de plus de 75 ans (en France : 67). Le vieillissement de la population est nettement marqué dans cette région : on compte 88 personnes de plus 65 ans et plus pour 100 jeunes de moins de 20 ans pour la région - en France, l'indice est de 64 tandis que, pour le département de la Vienne (86), il atteint les 77.

- Les personnes âgées font partie des populations à risque de suicide : si 1 % "seulement" des décès des plus de 65 ans sont des suicides, 36 % des décès par suicide dans la région concerne les plus de 65 ans. Les principaux facteurs de risque sont l'isolement, les événements négatifs récents, et surtout le fait de ne pas avoir bénéficié d'un bon suivi médical après une tentative de suicide ou un état dépressif.

Réseau gérontologique ville-hôpital

- Adresse : 15, rue Saint-Cyprien, 86000 Poitiers

- Tél. : 05 49 44 43 92

- Fax : 05 49 44 45 58

- Mél : reseau.geronto@chu-poitiers.fr