Dans l'Eure, des infirmières en campagne - L'Infirmière Libérale Magazine n° 207 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 207 du 01/09/2005

 

Exercice particulier

À Amfreville-la-Campagne, à une petite dizaine de kilomètres d'Elbeuf, dans l'Eure, Soizic Forni est infirmière libérale depuis une dizaine d'années. Avec son associée, Catherine Dard, arrivée il y a six ans, elle assure les soins des patients résidant sur plusieurs communes, avec des journées bien remplies.

« Travaille ou ne travaille pas ? » Alors que, ce jour-là, une partie de l'Hexagone est en grève et que l'autre travaille, Soizic Forni et Catherine Dard ne se sont même pas posé la question. Dès potron-minet, elles sont déjà à l'oeuvre.

Car, pour ces deux anciennes infirmières hospitalières, la journée commence souvent tôt. Il est 7 h 45 et, dans les rues endormies de Amfreville-la-Campagne, Soizic Forni roule à vive allure pour rejoindre son premier rendez-vous matutinal : « Ma visite se fait à la Poste, entre les colis et les paquets », explique-t-elle l'air amusé. Quelques minutes d'absence, le temps de procéder à l'injection, la jeune femme revient pour reprendre le volant de son véhicule et se diriger vers un deuxième patient, un diabétique qui a besoin de ses doses journalières d'insuline. « Sur une tournée quotidienne, nous avons cinq patients diabétiques qui nécessitent des injections d'insuline deux fois par jour, et aussi quelques soins divers, surtout des pansements », explique-t-elle. Des pansements d'ulcères, mais aussi des soins post-opératoires. Ce faisant, Soizic Forni apporte aussi un peu de réconfort chez certains patients, qui ne verront que la jeune femme de toute la journée. La vie à la campagne a ses avantages, mais aussi ses inconvénients, souvent celui d'une solitude qui masque aussi une détresse humaine induite par cette réalité.

Le restant de sa tournée englobe une vingtaine de patients dont les soins s'étendent du pansement, aux prélèvements sanguins ou aux injections d'anticoagulants. Une injection d'insuline bien dosée, elle termine aussi le pansement d'un patient amputé de quelques orteils. Le diabète est un mal insidieux qui ronge le corps de ceux qui en sont malheureusement atteints. « Cette maladie abîme les vaisseaux, les nerfs, les reins... Certains patients sont dialysés. Elle atteint aussi la vue, en rendant parfois la personne mal-voyante, un handicap de plus parmi toutes les autres complications induites par ce mal très répandu de nos jours », souligne-t-elle. Pour les diabétiques, le matériel est déjà prêt. Cette infirmière qui connaît bien ses patients n'effectue que des gestes simples : mesurer les doses et injecter l'insuline. Parfois, elle conseille aussi : « Trois cuillerées d'huile pour se faire une salade du soir, c'est trop ! », lance-t-elle à un patient dont le test de glycémie est trop élevé. « Nous éduquons aussi les gens, témoigne-t-elle. On leur apprend à se soigner, à suivre leur régime alimentaire. »

D'anciennes infirmières hospitalières

Comme son nom l'indique, Amfreville-la-Campagne est situé à la campagne ! Un petit coin champêtre cerné par la verdure des jeunes pousses qui n'ont pas atteint leur maturité, ce village rural de l'Eure est situé à une dizaine de kilomètres d'Elbeuf, une ancienne manufacture royale du lin dominée par les falaises de calcaire. Avec ses maisons à colombages, ses pavillons tout simples et ses quelques commerces, Amfreville-la-Campagne est un gros bourg, auquel sont rattachés quelques hameaux.

Dans leur tournée quotidienne Soizic Forni et Catherine Dard ont une majorité de personnes âgées dont il faut s'occuper, mais aussi des actifs qui travaillent dans les entreprises alentours. Les employeurs de la région sont l'usine Renault de Cléon qui reste le premier employeur de la région, ainsi que le CHU de Rouen. D'ailleurs, c'est au CHU Charles-Nicole de Rouen que Soizic Forni a commencé sa carrière d'infirmière, après avoir fait ses études dans la capitale normande. « Je suis originaire de Bretagne, de Rennes pour être précise, et nous sommes venus dans la région car mon père travaillait dans le secteur », raconte-t-elle. La mère de Soizic Forni a travaillé comme secrétaire dans l'unique cabinet médical d'Amfreville-la-Campagne monté par son oncle médecin. « C'est ainsi que je suis arrivée ici, raconte la jeune femme. L'une des infirmières du cabinet quittait la région et mon oncle m'a proposé de racheter sa clientèle. ça me disait bien de vivre en campagne ; d'ailleurs, avec mon mari, nous cherchions aussi une maison à acheter ; voilà comment je me suis installée ici ! »

Visiblement épanouie, cette maman attentive ne regrette pas son choix ! Un coup de fil auprès de ses filles pour savoir si tout se passe bien à la maison : « En ce lundi de Pentecôte, mon mari travaille aussi et mes filles sont seules, explique-t-elle. Théoriquement, l'aînée devrait s'occuper de sa soeur cadette. » Soizic Forni rejoint le cabinet. Il est 9 h 30 et elle tourne depuis bientôt plus d'une heure avec un rythme soutenu. C'est une jeune femme qui a rendez-vous pour une prise de sang. Le temps de vérifier la prescription et d'écouter attentivement les propos de sa patiente, Soizic Forni s'exécute. Le prélèvement terminé, elle reprend la route pour terminer sa tournée. « C'était la seule patiente de la journée pour le cabinet, nous n'y venons que sur rendez-vous », souffle-t-elle. D'ailleurs, en ce lundi de Pentecôte tant décrié, le cabinet médical est fermé. Une affichette renvoie aux numéros d'urgences à composer en cas de nécessité.

La tournée en campagne s'étend sur 80 kilomètres, parfois presque le double, tout dépend de l'éventail du travail sur Amfreville-la-Campagne et sa dizaine de villages visités aux alentours. « Nous travaillons toutes les deux et nous nous partageons des secteurs bien distincts, explique la jeune femme. On intervertit chaque semaine et, le soir, il y a une seule infirmière qui tourne sur le secteur. » Les deux infirmières travaillent ensemble et se font remplacer par une autre infirmière lors des congés annuels et lorsque le besoin s'en fait sentir. « La remplaçante qui travaille avec nous souhaitait une activité réduite. Elle travaille au coup par coup et nous remplace très régulièrement dès que nous le souhaitons », poursuit Soizic Forni. Des poses nécessaires qui permettent à ces deux mères de famille de s'occuper de leurs enfants, mais également de s'accorder un peu de temps pour elles-même : concerts et piano pour la famille de Soizic Forni, dont les filles prennent des cours de solfège. Quant à Catherine Dard, la pratique du sport est chez elle une activité régulière.

Peu de toilettes dans leur tournée

Dans l'exercice de leur profession au quotidien, ces deux infirmières libérales ont peu de toilettes à réaliser. La mairie a mis en place un service d'aide à domicile, avec une équipe d'auxiliaires de vie qui réalisent ce service chez les personnes âgées. Le service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), qui dépend de l'hôpital du Neubourg, a mis aussi sur pied un service de toilettes auprès des personnes dépendantes. « Ce qui d'une certaine façon nous arrange, explique-t-elle, car nous n'avons pas le temps d'effectuer ce genre d'acte. » La matinée défile et, pour l'infirmière libérale, il est grand temps de rejoindre la pharmacie du village. Pour le cabinet, cette officine est un point stratégique dans l'exercice de leur métier au quotidien. Soizic Forni et Catherine Dard viennent y déposer leurs prélèvements : « un laboratoire d'Elbeuf et un autre situé à Saint-Étienne du Rouvray viennent chercher chaque jour les prélèvements. Au même moment, ils déposent les résultats des examens de sang réalisés la veille. Ils sont ainsi transmis au médecin et aux patients », explique cette infirmière. Un système bien rodé qui a fait ses preuves depuis des années et qui soulage les deux infirmières de tout va-et-vient entre les deux communes où sont installés ces laboratoires.

Il est 11 h 30, et Soizic Forni court toujours après le temps. Un rapide coup d'oeil sur la liste de ces patients. La jeune femme aura réalisé une petite vingtaine de visites dans le courant de cette matinée. Encore quelques malades à visiter avant de passer les transmissions à son associée. Dans une ferme isolée, elle rend visite à une femme âgée.

Une présence réconfortante

Quelques chats au regard fixe, quelques oies qui imposent une distance respectable et une chèvre vaquent dans un lieu clos. La propriétaire des lieux précise : « C'est la campagne, ici, et une ancienne épicerie ! » La vieille dame n'aura pour seule et unique visite de la journée que celle de l'infirmière qui vient lui faire son pansement. Un magazine de cuisine passe des mains de Soizic Forni à sa patiente, une lecture qui lui fera oublier la solitude et le poste de télévision omniprésent qui remplit un vide palpable.

L'un des derniers patients de la matinée est aussi l'un des plus attachants, si l'on en croit Soizic Forni et Catherine Dard. L'homme est né au début du siècle dernier et, malgré son grand âge, il a conservé une impressionnante vivacité d'esprit. En témoigne son humour avec lequel il accueille l'infirmière qui pénètre chez lui. Un vieux poêle à bois et une table de ferme composent l'univers de ce vieux monsieur dont la maison juxtapose un pré où un jeune cheval apaloosa fait les "cent sabots". Un jeune labrador vient chercher quelques caresses pendant que Soizic Forni s'exécute. Un acte paramédical précis, quelques mots échangés, et la jeune femme introduit la carte Vitale de son patient dans un petit boîtier qui va lui permettre de télétransmettre la facture du soin qu'elle vient d'effectuer. Cette visite, chez ce patient qu'elle connaît bien, n'aura duré que quelques minutes. L'infirmière a conscience de la solitude de certains de ces patients, et elle reconnaît que sa présence et celle de Catherine Dard sont d'une grande importance pour les gens. Un coup d'oeil rapide sur sa fiche, la matinée touche à sa fin. Le temps de passer les transmissions à sa collègue et associée Catherine Dard, et sa journée professionnelle est terminée. « Nous ne nous voyons que très rarement, explique Soizic Forni. Les transmissions, nous nous les faisons par téléphone. » Une façon de travailler bien orchestrée qui va permettre à Catherine Dard de prendre le relais pour la tournée du soir.

L'organisation nécessaire du tandem

Dans son véhicule, une petite liste permet à Soizic Forni de vérifier les quelques patients qu'elle doit visiter. « Ce sont surtout des diabétiques que nous voyons deux fois par jour, ils ont besoin d'une deuxième injection d'insuline, indispensable à l'équilibre de leur glycémie », raconte-elle. Cinq patients à visiter, la tournée de Catherine Dard sera courte pour cette infirmière qui vient aussi de l'univers hospitalier. « J'ai travaillé vingt ans au CHU d'Amiens, où j'ai tourné dans pas mal de service et je ne regrette pas d'être passée au libéral ! », raconte-elle d'une voix douce qui la caractérise. Catherine Dard travaille avec Soizic Forni depuis bientôt six ans. Une équipe bien organisée qui leur permet d'effectuer leur travail dans d'excellentes conditions. Pour les malades insulinodépendants, le matériel est déjà prêt lorsque Catherine Dard pénètre chez ses patients qui ont besoin de leur injection. Un petit mot avant de repartir, il est parfois dur de s'en aller de chez un patient que l'on connaît depuis des années où, au fil des visites, d'étroits liens se sont noués. « Nous avons besoin de nous parler, fait remarquer une patiente diabétique. C'est comme des amies, on se confie, poursuit cette femme qui reconnaît que le diabète lui fait perdre la vue. Ce n'est pas évident tous les jours, alors, cela fait du bien d'échanger quelques mots, même s'il s'agit de recettes de cuisine ! On s'entraide, voyez-vous ! »

Catherine Dard poursuit sa tournée du soir. Elle conserve un oeil sur sa montre : « J'essaie d'anticiper sur le temps, fait-elle remarquer. Je n'aime pas finir tard. » Demain, Catherine Dard prendra la tournée du matin. La tournée ordinaire d'une infirmière libérale qui aime son métier et qui n'en changerait pour rien au monde !