Don du vivant - L'Infirmière Libérale Magazine n° 207 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 207 du 01/09/2005

 

Formation continue

Prendre soin

Chaque année, en France, entre 6 000 et 7 000 personnes restent en attente de greffe et plus de 200 meurent faute de greffon... Les aménagements de la nouvelle loi de bioéthique permettent d'espérer, à terme, un infléchissement de ces chiffres. Au-delà des modifications apportées à la règle de prélèvement sur donneurs décédés, ces nouvelles mesures élargissent également l'accès aux greffons sur donneurs vivants. Une alternative encore marginale en France, mais qui constitue une arme efficace contre la pénurie d'organes et mérite d'être mieux connue. Explications.

En 2004, sur les 11 433 personnes ayant besoin d'une greffe, 6 744 restaient en liste d'attente au 31 décembre et 248 sont décédées faute d'avoir pu bénéficier d'un don d'organe(1). Chaque année, les besoins d'organes augmentent. Les patients en attente de rein sont, de loin, les plus nombreux. Ils étaient 5 625 inscrits sur liste d'attente au 31 décembre 2004, soit 3,8 % de plus qu'au 31 décembre de l'année précédente. À la même époque, 474 patients étaient en attente d'un foie, 277 d'un coeur, 144 d'un poumon et 181 d'un pancréas. Si l'on considère qu'en moyenne chaque année entre 2 200 et 2 500 sujets en état de mort encéphalique sont recensés, dont seulement 50 % sont prélevés à raison de 3 à 5 organes par prélèvement en moyenne, le calcul est vite fait et le constat de pénurie aussi. « Avec les moyens matériels, médicamenteux (traitements anti-rejet) et humains dont nous disposons aujourd'hui pour sauver ces vies, indique le Pr Christian Cabrol, président du groupe de travail "Transplantation" de l'académie de Médecine(2), il est particulièrement intolérable de penser que des individus peuvent mourir par manque d'organe alors que tout n'est pas mis en oeuvre pour élargir l'accès aux greffons. Raison pour laquelle notre groupe de travail a conduit en 2004 une action pour que la nouvelle loi de bioéthique prenne en compte un certain nombre de propositions visant, entre autres, à faciliter l'accès à de nouvelles sources de greffons. Nous réclamions en particulier la possibilité d'avoir plus largement recours aux donneurs vivants pour les greffes (rein, foie, poumons) accessibles à un partage d'organe. »

UNE ÉTAPE DÉCISIVE ?

Bien qu'elle n'ait pas retenu l'ensemble de ces propositions, la loi de bioéthique du 6 août 2004 (loi n° 2004-800) a néanmoins franchi un pas, en simplifiant la règle du prélèvement chez l'adulte décédé(3) et en élargissant le champ des donneurs vivants jusqu'alors limité aux personnes directement apparentées par le sang au receveur (père, mère, frères et soeurs). Désormais, la loi autorise également le conjoint, le fils ou la fille, les grands-parents, les oncles ou tantes, les cousins germains et cousines germaines ainsi que le conjoint du père ou de la mère à se prêter à un prélèvement d'organe dans l'intérêt thérapeutique direct du receveur (art. L. 1231-1). Le donneur peut également être toute personne apportant la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans avec le receveur. Bien qu'assujettie à l'avis préalable d'un comité d'experts, ce qui, en soi, complique et alourdit la procédure d'agrément pour le donneur(4), cette disposition présente l'avantage de multiplier significativement le nombre de donneurs vivants potentiels pour un même receveur. « Cependant, en pratique, cette mesure n'a, pour l'heure, pas eu d'effet significatif, constate le Pr Bitker, responsable d'un des programmes les plus actifs de transplantation à partir de donneurs vivants (150 greffes à son actif). Les transplanteurs craignent que les contraintes administratives désormais imposées aux donneurs (y compris aux frères et soeurs) écartent ou dissuadent beaucoup d'entre eux. Cela dit, il faut espérer qu'à terme cette mesure portera ses fruits et que nous pourrons, au moins en partie, combler le retard français dans ce domaine. »

Une lueur d'optimisme à laquelle s'associe le Pr Cabrol : « Les changements ne sont peut être pas aussi importants que nous l'aurions souhaité, mais la bioéthique est un sujet hypersensible et le législateur préfère s'entourer de toutes les précautions, explique-t-il. Celles-ci nous paraissent souvent excessives, mais mieux vaut avancer à petits pas que pas du tout. En l'occurrence, je reste convaincu que le pas franchi aujourd'hui nous permettra d'améliorer nos résultats. » Avec seulement 5,3 % des transplantations réalisées à partir de don du vivant en 2004, la France se trouve en effet loin derrière la plupart des pays européens et des États-Unis. Par exemple, le Royaume-Uni et la Belgique atteignent 15 %, les pays scandinaves et les États-Unis plus de 50 %. Développer le don du vivant paraît donc être une nécessité si l'on souhaite vraiment faire reculer la mortalité liée au manque de greffon. À ce titre, l'expérience norvégienne est exemplaire puisqu'en additionnant les transplantations d'organes prélevés sur cadavres et les greffes réalisées grâce aux donneurs vivants, ce pays couvre la quasi-totalité de ses besoins en greffons(5). Un exemple qui apporte la preuve que le rapport bénéfice/risque incline très nettement en faveur de cette pratique. D'où l'intérêt de mieux connaître cette alternative, car se prononcer par rapport au prélèvement d'organe implique aujourd'hui d'inclure cette nouvelle dimension du don.

QUALITÉ DU GREFFON : UN ARGUMENT CLÉ

« Sans compter la qualité de vie gagnée pour le receveur, il ne fait plus aucun doute qu'aujourd'hui, assure le Pr Bismuth(6), un organe prélevé chez un donneur vivant est de meilleure qualité et donne de meilleurs résultats en termes de survie à long terme qu'un organe prélevé sur cadavre. » En outre, il réduit considérablement les délais d'attente pour le receveur, ce qui permet de programmer la greffe avant que l'état du patient ne s'aggrave et ne rende la tolérance de l'intervention plus aléatoire. « C'est particulièrement vrai pour les greffes de foie justifiées par des maladies mortelles dans pratiquement tous les cas », ajoute le Pr Bismuth. Enfin, le don du vivant permet d'éviter aux malades de longues années de traitements lourds et coûteux (dialyse, par exemple). Pour le receveur, disposer d'un organe de cette qualité est donc considérable. « Il faut savoir, insiste le Pr Bitker, qu'un rein provenant d'un sujet en état de mort encéphalique a une durée de demi-vie (période durant laquelle 50 % des organes greffés sont encore fonctionnels) de 12 ans. Lorsqu'on prélève un rein sur donneur vivant, cette durée est supérieure à 20 ans, et si, par chance, le donneur est un frère ou une soeur HLA identique (il y en a 1 sur 4 dans la fratrie), elle atteint 36 ans ! » Cela tient à deux raisons majeures : d'une part, l'organe vit et reste naturellement fonctionnel jusqu'au prélèvement ; d'autre part, la durée d'ischémie froide est considérablement réduite dans la mesure où les interventions de prélèvement et de greffe sont réalisées simultanément dans le même établissement. Actuellement, expliquent les transplanteurs, « l'efficacité des traitements immunosuppresseurs est telle que ce qui compte avant tout pour nous, ce n'est plus la compatibilité tissulaire (HLA), mais la qualité de l'organe ». « En dehors du HLA identique, le groupage HLA a perdu beaucoup de son intérêt, confirme le Pr Bitker. Si l'on prend l'ensemble des transplantations rénales répertoriées par l'Agence de la biomédecine, en dehors des reins à double identité HLA, les résultats à 10 ans de la transplantation rénale sont les mêmes, qu'il y ait une ou plusieurs compatibilités ou incompatibilités HLA. De même, les résultats de la transplantation au sein du couple, soit de mari à femme ou plus encore de femme à mari, sont aujourd'hui meilleurs qu'entre frère et soeur. Il est donc aujourd'hui admis qu'il vaut mieux diminuer l'ischémie d'un rein en réalisant une transplantation à partir d'un donneur vivant plutôt que de rechercher à tout prix la meilleure compatibilité HLA. »

LES RISQUES POUR LE DONNEUR

Un prélèvement d'organe sur donneur vivant porte atteinte à l'intégrité corporelle sans contrepartie thérapeutique pour l'opéré. Comme tout acte chirurgical, le prélèvement comporte des risques opératoires. Ces risques doivent être parfaitement connus et maîtrisés, car plus encore que pour le receveur, il est impératif de préserver le pronostic vital du donneur. La morbi-mortalité associée aux prélèvements sur donneurs vivants est différente d'un organe à l'autre. Concernant le don de rein, l'étude réalisée par John S. Najarian de l'équipe de Minneapolis sur 20 000 donneurs a montré l'absence d'effet délétère sur l'avenir du donneur. Les équipes norvégiennes (Fehrman-Ehlkom) particulièrement rompues aux greffes à partir de donneurs vivants ont même montré qu'au sein de la fratrie, les donneurs vivaient plus longtemps et mieux que ceux qui n'avaient pas donné. Même si on considère comme un biais le fait que les individus prélevés sont en excellente santé et promis à une longue vie, ce résultat est particulièrement rassurant quant à l'absence d'impact sur l'avenir des sujets ayant un rein ou une partie de foie en moins. « Les études que nous avons conduites à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière sont parvenues aux mêmes conclusions, commente le Pr Bitker. Il n'y a aucune incidence sur le fonctionnement rénal ou sur la survenue d'infection chez les donneurs de rein vivants. Le seul risque pour le donneur est le risque immédiat de mortalité et de complications péri-opératoires. » Le risque de décès est de 3 pour 10 000 donneurs et, bien que très faible, doit toujours être communiqué au donneur et commenté. Il faut notamment insister sur le fait que le prélèvement coelioscopique du rein, souvent plus "séduisant" pour le donneur, expose celui-ci à un risque majoré, tant en terme de mortalité que de complications. Ceci a notamment été montré par une méta-analyse réalisée sur 10 800 dons par l'équipe de Matas entre 1999 et 2001. Sur l'ensemble de la population étudiée, 3 décès ont été enregistrés et ils concernaient tous des prélèvements sous coelioscopie. De même, les complications enregistrées étaient significativement plus élevées dans le groupe des donneurs sous coelioscopie. Il s'agit principalement de complications locales (abcès de paroi, retard de cicatrisation), de complications respiratoires, de douleurs persistantes au niveau de la cicatrice et d'éventrations. Cela dit, en général, ces complications ne présentent pas un risque vital. Elles prolongent la durée du séjour hospitalier du donneur qui, une fois ce cap franchi, vit normalement et n'a aucune précaution particulière à prendre au quotidien car le rein restant prend le relais et assure correctement la fonction rénale à moyen et long terme. Pour preuve, prélevé en 1967, le doyen des donneurs du Pr Bitker vit toujours et mène une vie active à plus de 85 ans aujourd'hui !

Concernant le foie, les risques associés au don du vivant sont plus importants. « L'hépatectomie partielle est grevée d'une mortalité estimée à 1 %, confirme le Pr Bismuth(6). Toutefois, lorsqu'on analyse les séries, les résultats sont très disparates. » Par exemple, au Japon où près de 100 % des greffes sont réalisées avec donneur vivant apparenté (jusqu'à très récemment la loi interdisait pour de raisons culturelles le prélèvement sur cadavre), aucun décès n'a été enregistré sur plus de 1 000 prélèvements. En Europe, on dénombre 4 décès sur environ 700 transplantations et en France 1 décès survenu en 2000 (180 donneurs vivants ont fait don d'une partie de leur foie depuis). « Il faut donc, tout en le relativisant, impérativement tenir compte de ce risque et être particulièrement vigilant sur les critères médicaux permettant de retenir ou non le donneur, poursuit le Pr Bismuth. Actuellement, nous refusons 70 à 80 % des candidats au don. Il faut aussi des équipes expertes capables de maîtriser parfaitement l'ensemble des problèmes techniques per-opératoires et de prévenir les risques de complications inhérents à cette chirurgie délicate (thrombose, embolie...). »(7) Quant aux greffes de poumons à partir de donneur vivant, les risques sont difficiles à évaluer car elles requièrent généralement deux donneurs pour un receveur et sont excessivement rares (5 depuis 2000).

Au total, comme en attestent les expériences scandinaves et américaines, le rapport bénéfice/risque du don du vivant reste très largement positif. Reste néanmoins un problème de taille en ce sens que le receveur profite de tous les avantages, tandis que le donneur ne supporte que des risques. Cela fait peser une lourde responsabilité sur les épaules des équipes qui imposent que la recevabilité du donneur soit indiscutable, que l'expertise des équipes chirurgicales soit incontestable et que la décision du donneur soit parfaitement éclairée et révocable à tout moment.

(1) Source : Établissement français des greffes, Synthèse nationale 2004 mise à jour le 21 avril 2005 (à noter : l'EFG est également intégrée à l'Agence de la biomédecine).

(2) Ce groupe est constitué de MM. Y. Chapuis, I. Gandjbachch, R. Küss (président d'honneur), B. Launois, Y. Logeais, D. Loisance (secrétaire), J.D. Sraer et J. Traeger.

(3) Désormais, selon les termes de l'article L. 1232-1 de la loi, le prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne majeure n'a pas fait connaître son refus, oralement ou par écrit, de son vivant. Les proches sont informés de leur droit à connaître les prélèvements effectués, mais ne sont plus confrontés au dilemme de se prononcer sur les intentions du défunt, lorsque celui-ci ne les a pas clairement exprimées de son vivant. Pour les individus mineurs ou majeurs sous tutelle, la loi ne change pas : le prélèvement ne peut avoir lieu qu'à la condition que chacun des titulaires de l'autorité parentale ou le tuteur y consente par écrit.

(4) Actuellement, à l'exception du père et de la mère, l'ensemble des donneurs doit non seulement faire part de son consentement au président du tribunal de grande instance (ou le magistrat désigné par lui), mais aussi recueillir l'avis favorable d'un comité d'experts (art. L. 1231-3) chargé d'apprécier la justification médicale de l'opération, les risques que celle-ci est susceptible d'entraîner pour le donneur ainsi que ses conséquences prévisibles sur les plans physique et psychologique.

(5) Source : Conférence organisée par le Comité national de l'enfance sur les greffes chez l'enfant et le recours aux donneurs vivants, décembre 2000.

(6) Source : Conférence de presse sur les greffes d'organes, Académie de Médecine, 25 mai 2004.

(7) Des complications sont constatées dans 20 % des cas, dont certaines imposent une réintervention dans 1 à 3% des cas.

Propositions pour réduire la pénurie d'organes

- Réduire la pénurie d'organes est possible. Tous les experts réunis au sein du groupe de travail "Transplantation" de l'Académie de médecine en sont convaincus. Au-delà des mesures retenues par la nouvelle loi de bioéthique, ils proposent également d'assouplir les règles de sélection des donneurs. « Actuellement, explique le Pr Cabrol, le décret relatif à la sécurité sanitaire du greffon contre-indique sa transplantation au receveur en présence de certaines infections. Le médecin a néanmoins la possibilité de déroger à certaines contre-indications et d'accepter le greffon quand le risque de contamination encouru par le receveur est jugé secondaire et curable en regard du risque vital dont le receveur est menacé par sa propre maladie. » Cette dérogation ne concerne ni la syphilis ni les hépatites B et C. Or, estiment les experts, « l'existence de ces maladies chez le donneur ne devrait pas constituer un critère d'exclusion dans la mesure où la syphilis est aujourd'hui facile à traiter et où le receveur est immunisé contre les hépatites B et C avant la greffe ». Lorsque le pronostic vital est en jeu, conclut le groupe de travail, « il est scientifiquement et humainement justifié d'assouplir les règles de sélection des donneurs en levant l'exclusion qui pèse sur ces maladies, ce qui a motivé notre requête ». Celle-ci a d'ailleurs été entendue puisque le décret de 1997 vient de faire l'objet de modifications en cours de validation par le Conseil d'État. Le groupe de travail poursuit également une réflexion sur l'éligibilité des donneurs à coeur non battant. Il s'agirait d'autoriser un prélèvement d'organes chez des sujets en arrêt cardiaque irréversible, dès lors qu'il est possible de mettre en place, sans délai, une sonde de refroidissement capable d'entretenir une hypothermie permettant aux organes de se conserver le temps d'effectuer les démarches préalables au prélèvement. « Nous travaillons aussi sur l'âge des donneurs, poursuit le Pr Cabrol, afin de déterminer si l'âge constitue un critère permettant d'optimiser le don, et nous réfléchissons sur l'organisation des prélèvements pour améliorer les délais et les conditions de réalisation de la transplantation. »