Étudier à distance : prêts à vous lancer ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 207 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 207 du 01/09/2005

 

Perspectives et enjeux

Préparer en douceur une possible reconversion ou tout simplement compléter sa formation... L'enseignement à distance permet tout cela, tout en continuant de travailler. Mais attention : les exigences seront au moins équivalentes à celles d'un enseignement "en présence"...

« Toute ma vie, j'ai rêvé... » Eh oui, même si nombre d'entre vous ont choisi le métier d'infirmière par vocation, certaines se sont lancées sans grande conviction, ou bien ont changé d'idée en cours de route. D'autres peuvent aussi se lasser, après une dizaine d'années dans le métier, et commencer à regarder vers d'autres horizons. D'autres, enfin, voudraient tout simplement compléter leurs compétences actuelles pour se spécialiser ou faire évoluer leur pratique. Lorsque le moteur fatigue, on cherche des moyens de le relancer, sans pour autant tout plaquer. Parfois, ce sera même l'occasion de renouer avec ses rêves de jeunesse : « C'est vrai que j'ai toujours voulu faire cela, mais je ne pouvais pas me payer mes études, je n'avais pas le diplôme, etc. »

On commence alors à feuilleter avec un peu plus d'attention les programmes de formation, on se prend à lorgner sur les livrets de fac de nos enfants, on tend l'oreille lorsque l'on découvre que tel professionnel avait une toute autre carrière dans une vie antérieure... Puis viennent les questions qui fâchent : comment faire quand on travaille à plein temps et que l'on ne veut pas - que l'on ne peut pas - faire une croix sur ses revenus ? Comment gérer la vie à la maison, la prise en charge des enfants, un emploi surchargé... et des études ? N'a-t-on vraiment "que ça" à faire ? D'autres paramètres peuvent intervenir, par exemple si l'université que l'on vise est à une centaine de kilomètres de chez soi. Toutes ces questions mènent à une réponse : l'enseignement à distance (EAD), autrement appelé le e-learning. Ce choix n'est pourtant pas le plus facile, comme nous le verrons, mais il permet tellement de possibilités qu'il ne faut pas hésiter, à condition de se sentir les épaules suffisamment solides - et surtout d'avoir une bonne dose de motivation - à s'y lancer.

ABORDER LES ÉTUDES D'UNE NOUVELLE FAÇON

Le professeur Jean Clénet, directeur du département des sciences de l'éducation à l'université Lille 1, expliquait, lors des 60e Journées nationales du Cefiec en mai dernier, que les étudiants manifestaient une « grande envie d'apprendre », mais aussi un « sentiment de grande insécurité », auxquels venaient s'ajouter la lassitude, la fatigue et le stress. Selon lui, les formateurs devaient se replonger dans la littérature des grands pédagogues dont les méthodes étaient « centrées sur l'activité » - Freinet, Decroly, Montessori... - avec une solution idéale : la formation en alternance. En effet, cette dernière permet d'associer à la fois les savoirs théoriques et la pratique de terrain, tout en bénéficiant d'un accompagnement continu. Rapportée à l'enseignement à distance, cette conception est très intéressante : pour peu que l'on aborde un domaine auquel on s'est déjà un peu "frotté" lors de sa pratique - et c'est souvent le cas - on aborde les études d'une manière tout à fait différente de ce que l'on a pu connaître dans sa jeunesse. Au lieu d'ingurgiter des pages et des pages de théorie, on a plutôt tendance à chercher des réponses à des questions surgies lors de la pratique professionnelle. On prend plus de recul, on est en général mieux armé pour l'analyse critique des textes, on va au coeur du sujet, on sait mieux lire entre les lignes.

Reste à savoir si l'on a l'étoffe pour suivre un enseignement à distance. Il ne s'agit pas là d'évaluer ses compétences - par définition, on cherche à en acquérir - mais plutôt sa motivation et sa capacité à gérer soi-même un projet de formation. Premier point positif : du fait de leur statut, les infirmières libérales ont déjà une grande capacité à l'autogestion. Revers de la médaille : elles croulent sous le travail et il est difficile de dégager de véritables plages de disponibilité. C'est pourtant ce qu'il faudra faire, car une première année de Deug peut demander environ 600 heures de travail. De plus, ces heures devront être réparties régulièrement tout au long de l'année, si possible sans être fractionnées en micro-plages de travail : il est difficile de se plonger dans un polycopié de statistiques lorsqu'on a une demi-heure entre deux rendez-vous...

ÊTRE SON PROPRE MAÎTRE

Le groupe de recherche sur l'autoformation (le Graf) a été fondé en 1992 au laboratoire des sciences de l'université de Tours. Lors de l'un de ses séminaires, en mars 2001, les différents modes d'autoformation étaient abordés. Cela allait de l'autoformation "intégrale" totalement autodidacte, « en dehors de tout lien avec les institutions et les agents éducatifs formels » à l'autoformation éducative, en passant par le développement de soi. Lorsqu'on cherche à se former, il faut savoir exactement ce que l'on recherche : avoir un nouveau diplôme, compléter des connaissances personnelles, sortir de son isolement, suivre un cursus bien balisé, ou au contraire sortir des sentiers battus ?

En fonction de la réponse, on s'orientera vers une autoformation plus ou moins encadrée. Tout en gardant à l'esprit qu'en France, en l'absence de diplôme, votre formation ne sera reconnue que par vous-mêmes et, dans le meilleur des cas, par vos proches... Au Canada, l'enseignement à distance s'est beaucoup développé du fait d'une population dispersée et de distances démesurées. Une enquête québécoise, réalisée en 1982 par la Cefa, commission d'enquête sur la formation des adultes, cherchait à définir les motivations des personnes qui veulent s'autoformer. Il en ressortait notamment la possibilité de respecter sa « nature indépendante », son autonomie et sa créativité, ainsi qu'une volonté de « se prouver que l'on est son propre maître ». Les chercheurs qui travaillent sur le sujet évoquent cependant quelques bémols.

Ils mettent en garde contre « l'illusion technologique », en rappelant que les moyens de communication ne sont pas une fin en soi et ne compensent pas les faiblesses éventuelles d'un enseignement. Ils constatent cependant que, malgré la crainte de l'isolement, l'utilisation d'outils tels qu'Internet a permis la création de communautés virtuelles d'étudiants - ces derniers sont en général des adultes - et des échanges parfois beaucoup plus personnalisés que lors d'un enseignement en présence. Il s'agit donc de se faire à l'idée d'un mode d'apprentissage totalement différent de celui que l'on a connu jusque-là, où, loin d'être un étudiant passif qui reçoit la connaissance d'un expert, on s'inscrit dans un partenariat actif avec l'enseignant.

BALISER LE TERRAIN

Avant de se lancer, il faut recenser les différentes formations disponibles, et surtout bien déterminer son projet. Il peut être utile de faire un bilan personnel : noter sur une feuille de papier les différentes étapes de son cursus, les compétences que l'on possède déjà, ses "spécialités" (dans le domaine des soins ou dans un autre). Puis lister les raisons de son choix de formation : se lancer dans tel métier, voir du nouveau, compléter son cursus...

Si l'on souhaite débuter dans un nouveau métier, il est recommandé de bien étudier la question pour ne pas avoir de mauvaise surprise à l'arrivée : consulter les fiches de l'Onisep, rencontrer des gens qui pratiquent ce métier, voir quelle a été leur évolution professionnelle, les questionner sur leur pratique quotidienne (souvent source de désillusions) et sur leurs revenus (cela a aussi son importance !). Par la suite, on recensera les formations qui peuvent répondre à sa demande et on contactera la plus adaptée. Divers organismes proposent de l'enseignement à distance, en particulier le Cned (Centre national d'enseignement à distance) qui fédère de nombreuses offres de formation sur son site. Pour sa part, l'association de recherche en soins infirmiers (Arsi) propose sur son site Internet des liens vers un certain nombre de sites de formation à distance, centrés ou non sur les disciplines infirmières.

Une fois que l'on a fait son choix, il faut se renseigner sur les possibilités d'équivalence. En effet, dans certaines formations, vous aurez la possibilité d'être dispensé de certains modules du fait de vos diplômes et/ou de votre pratique. La dispense passe en général par une commission spéciale qui étudie votre dossier et décide si vous êtes apte ou non à valider telle ou telle matière sans passer par le processus d'enseignement prévu. Revers de la médaille : un module validé est considéré comme acquis, mais ne pourra pas vous apporter de "points d'avance" pour compenser des matières où vous seriez plus faible... à vous donc de faire vos calculs et de voir si vous ne préférez pas passer l'examen pour les matières sur lesquelles vous avez déjà de l'avance.

POSSIBILITÉS DE FINANCEMENT

Le choix de la formation peut également être en lien avec vos possibilités de financement. Dans le cas d'une formation dispensée par un organisme public (une université via le Cned, par exemple), vous payerez des droits à l'université et un forfait pour le matériel pédagogique qui vous sera envoyé. En revanche, des organismes privés risquent de vous faire payer beaucoup plus cher. Vous pouvez bien sûr vous renseigner sur les possibilités de financement par le FIF-PL. Pour ce dernier, les formations prioritaires (pour les infirmiers) sont celles qui « concourent à l'amélioration de la pratique clinique en soins généraux » (par exemple, les soins et la prévention des escarres), celles qui « aident les professionnels à mieux se situer dans leur environnement » (par exemple, hygiène de l'environnement et gestion des déchets d'activité de soins), ou celles qui « répondent à un problème de santé publique » (par exemple la iatrogénie). En revanche, ne sont pas retenues les « formations débouchant sur une activité autre que celle d'infirmier libéral ». À bon entendeur...

UNE VIE D'ÉTUDIANT À PLANIFIER

Une fois le processus lancé, il faut savoir s'organiser pour pouvoir être efficace au maximum. Pour cela, il faut avant tout planifier son travail en bloquant des plages horaires spécifiquement dédiées et en prévoyant une marge en fin d'année pour d'éventuelles révisions d'examen. Il faudra faire face à l'absence d'enseignant ou de pairs (à moins que vous ne débutiez une formation à plusieurs, ce qui peut être une aide).

Selon Kamila Eimeri, enseignante à l'institut d'enseignement à distance (IED) de Paris 8, l'enseignement à distance présente un certain nombre de spécificités. Avant tout, il modifie le rapport à la distance (il y a une déconnection entre l'apprentissage et le lieu), à l'acte d'enseignement (l'enseignant a un rôle d'intermédiaire et non plus de source de savoir) et à l'acte d'apprentissage (on est dans une double approche universitaire classique et autodidacte). Selon elle, même si l'enseignement à distance modifie profondément la conception des cours, le contenu correspond au moins au même niveau d'exigence que l'enseignement en présence et de toutes façons, la « virtualité complète » d'interactions n'est « pas envisageable ». En effet, ajoute-t-elle, « tout enseignement génère une exigence de relations humaines réelles, indépendamment du fait qu'elles peuvent être avantageusement médiatisées par les nouvelles technologies de l'information et de la communication ».

PÉDAGOGIE PERSONNALISÉE

Ainsi, parallèlement à un enseignement de masse rendu possible par les nouvelles technologies, l'encadrement pédagogique devient au contraire de plus en plus personnalisé. Les élèves peuvent poser leurs questions directement à l'enseignant concerné et parfois bénéficier d'une formule de tutorat. Dans certains cas, l'enseignement à distance propose de courtes périodes de regroupement sous forme de travaux pratiques, qui permettent également aux étudiants d'échanger entre eux. Enfin, l'enseignement à distance ne dispense pas des stages qui sont également un lieu d'échange, notamment via la supervision. En réalité, deux formes d'apprentissages apparaissent de façon complémentaire : l'une concernant des notions complexes, qui se réalise idéalement lors de la confrontation d'idées, l'autre concernant des tâches plus simples qui peuvent se réaliser de façon isolée (lecture, exercices, révision) et pour lesquels le travail en groupe n'est pas plus efficace que le travail individuel. « Prendre une distance critique après une analyse de points de vue différents s'avère être un objectif de formation essentiel, le plus difficile à transmettre », estime Kamila Eimeri.

PERSÉVÉRANCE ET HUMILITÉ

L'institut d'enseignement à distance a étudié sa propre population d'étudiants, ce qui lui a permis de mettre en avant un certain nombre de problèmes auxquels ces derniers sont confrontés. En particulier, lorsqu'on est en plein dans la vie professionnelle, il est parfois difficile de se mettre dans la peau de l'étudiant. Non seulement parce qu'il faut redevenir un "petit scarabée", mais aussi parce qu'il faut éviter de focaliser ses apprentissages sur ce que l'on croit être les seules matières réellement utiles (au vu de notre projet professionnel) en délaissant le reste (par exemple, privilégier la psychopathologie clinique si l'on étudie la psychologie dans le but de devenir thérapeute praticien).

Par ailleurs, comme dans tout processus de changement, l'engagement dans une formation peut bouleverser la vie d'une personne : on va découvrir un nouveau monde, transformer son "système de significations et de valeurs", ce qui va parfois entraîner une véritable crise. Les étudiants ne supportent alors plus la remise en cause, parce qu'ils estiment "mériter" leur diplôme au regard des efforts fournis, sans penser que les notes sont là pour garantir un certain niveau de connaissance. Les enseignants sont ainsi souvent confrontés à des plaintes du style « j'ai 40 ans, je travaille à plein temps, j'ai des enfants, j'ai lu des livres sur le sujet, j'en fait suffisamment comme cela ! ». Il s'agit de se préparer à avoir les épaules assez solides pour supporter la surcharge de travail, les critiques éventuelles de l'entourage (« à ton âge !») et les possibles échecs. Dans ce dernier cas, il faudra savoir choisir entre la persévérance - l'augmentation du temps alloué aux études - et la difficile décision d'arrêter. Enfin, si l'on est prêt à toutes ces éventualités, il n'y aucune raison pour que l'on n'arrive pas, in fine, à décrocher le diplôme espéré.

Quel est votre profil ?

- L'association générale des étudiants et des étudiantes de la faculté de formation permanente (Ageefep) de l'université de Montréal définit différents profils d'étudiants à distance :

-> "auditif" : vous retenez mieux en écoutant, vous aimez parler, vous n'avez pas besoin du regard de votre interlocuteur pour poursuivre la conversation, vous êtes plus attiré par le texte d'une chanson que par la musique ;

-> "visuel" : vous devez écrire pour retenir, vous devez relire un texte entendu pour bien le comprendre, vous avez besoin que votre interlocuteur vous regarde, vous êtes attentifs aux détails ;

-> "pragmatique" : vous apprenez par l'expérience, décrochez rapidement, tirez des conclusions hâtives, êtes mal à l'aise avec les concepts abstraits, êtes créatif, agité ;

-> "investigateur" : vous adorez lire, vous faites un schéma avant de donner des explications, vous aimez raconter des anecdotes, vous êtes méticuleux.

Quelques e-adresses

- Association de recherche en soins infirmiers (Arsi) :

http://www.arsi.asso.fr (aller dans la rubrique "Liens", puis sur "Enseignement infirmier à distance" - e-learning infirmier.

- Centre national d'enseignement à distance (Cned) :

http://www.cned.fr (site officiel proposant un catalogue complet de formations et de nombreuses informations utiles sur l'enseignement à distance).

- University surf : http://eunomie.u-bourgogne.fr/elearning/ (portail e-learning pluridisciplinaire en accès libre, avec une sélection de cours en ligne et de liens).