Hypertrophie bénigne de la prostate - L'Infirmière Libérale Magazine n° 207 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 207 du 01/09/2005

 

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L'hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) est la cause la plus fréquente de troubles urinaires du bas appareil chez l'homme de plus de 50 ans. Pourtant, la mauvaise réputation des traitements conduit souvent à un retard de prise en charge préjudiciable à la qualité de vie et au dépistage précoce du cancer de la prostate. Il y a donc urgence à convaincre les hommes de ne pas négliger ces troubles.

La prostate, les hommes en ont longtemps souffert en silence, vivant comme une fatalité de l'âge leurs troubles urinaires, leurs réveils nocturnes et leurs angoisses... Pourtant, de mieux en mieux informés, la plupart d'entre eux savent aujourd'hui qu'ils doivent régulièrement consulter à partir de 50 ans pour vérifier l'état de leur prostate. Toutefois, comparé au suivi gynécologique des femmes, beaucoup reste à faire en matière d'information et d'éducation ; car, dans la réalité, rares sont ceux qui bénéficient d'un suivi préventif.

« Souvent, les hommes tardent à consulter. Ils se décident seulement lorsque les troubles sont installés et pénibles à vivre, constate le Dr Sophie Conquy, praticien hospitalier au service d'urologie de l'hôpital Cochin (Paris, AP-HP). Ils attendent la dernière limite par peur d'affronter le diagnostic (beaucoup associant encore hypertrophie bénigne de la prostate à cancer...) ou de s'exposer à un traitement dont ils redoutent les séquelles, en particulier sexuelles. »

Contre les idées reçues, il convient donc de rappeler quelques informations... En premier lieu, il est important d'insister sur le fait qu'une HBP ne dégénère jamais en cancer. En revanche, comme l'a rappelé le 5e congrès de l'ESU (European school of urology), en mars 2004, un cancer de la prostate asymptomatique peut se développer parallèlement à une HBP et être dépisté à l'occasion d'une consultation motivée par des troubles urinaires. Ceci doit encourager à consulter préventivement car il est aujourd'hui clairement admis que plus le cancer de la prostate est diagnostiqué tôt, meilleur est le pronostic vital et sexuel. « Face à un cancer débutant très localisé, il est en effet possible de préserver les nerfs érecteurs et la continence dans la majorité des cas », confirment les spécialistes.

Par ailleurs, il est également établi que, si un lien existe entre HBP et troubles de la sexualité quel que soit l'âge du patient ou l'existence de pathologies associées comme l'HTA ou le diabète (étude Masm-7)(1), une prise en charge thérapeutique précoce de l'HBP permet d'atténuer les symptômes et d'améliorer les érections et la qualité des éjaculations. Les patients ont donc tout à gagner à consulter dès l'apparition des troubles. D'où la nécessité de mieux les informer sur l'HBP.

HBP : UN ÉTAT NATUREL... PLUS QU'UNE MALADIE

La prostate est une glande formée d'un noyau central entouré d'une enveloppe complètement distincte, tant sur le plan anatomique qu'évolutif. C'est cette enveloppe qui peut dégénérer en cancer, y compris après exérèse du noyau. Être opéré de la prostate n'écarte donc pas le risque de cancer. Le noyau augmente de volume durant toute la vie. Il passe de quelques grammes à la naissance, à 25 g vers l'âge de 40 ans et peut atteindre 50, 60 voire 100 g et plus, au-delà de soixante ans. Cette augmentation de volume se traduit par une hyperplasie bénigne (adénome) de la zone au contact de l'urètre.

L'HBP est donc un état physiologique naturel qui concerne près de 50 % des hommes après 50 ans et plus de 90 % d'entre eux après 85 ans, soit environ 1,5 million d'hommes dans notre pays. Toutefois, elle ne s'accompagne pas systématiquement de troubles fonctionnels. « En fait, précise le Pr Emmanuel Chartier-Kastler (service d'urologie du groupe hospitalier Pitié-Salpétrière, Paris, AP-HP), l'HBP n'est considérée "pathologique" que lorsqu'elle est associée à des troubles urinaires du bas appareil (TUBA) gênants pour le patient, ce qui survient dans environ 2/3 des cas. »

SYMPTÔMES ET VOLUME : AUCUN LIEN

Contrairement à l'idée répandue, ces troubles ne résultent pas de la compression de l'urètre. L'augmentation de la prostate modifie la mécanique des fluides et empêche le col vésical de s'épanouir pour laisser couler l'urine. Ainsi, l'urine tourbillonne avant de s'écouler, ce qui altère le débit et provoque des troubles mictionnels obstructifs et irritatifs symptomatiques mais non spécifiques de l'HBP. Par ailleurs, il faut savoir que l'importance des symptômes n'est pas proportionnelle à l'augmentation du volume de la prostate. Si certaines prostates volumineuses mais souples sont peu gênantes, à l'inverse, des prostates peu hypertrophiées mais fibreuses peuvent engendrer une gêne fonctionnelle dont les retentissements peuvent être importants. La détérioration de la qualité de vie est souvent ce qui décide les patients à consulter. Il faut donc insister pour qu'ils fassent cette démarche le plus tôt possible. D'une part, pour écarter ou dépister précocement un éventuel cancer ; d'autre part, pour confirmer l'HBP, évaluer ses retentissements, prévenir ses complications et définir la stratégie thérapeutique la mieux adaptée.

ÉCARTER LE CANCER

« Chaque année, plus de 40 000 nouveaux cancers de la prostate sont détectés et 10 000 décès enregistrés, constate le Pr Philippe Mangin(2). La moitié des nouveaux cas diagnostiqués est déjà à un stade ne permettant pas d'envisager une totale guérison par les traitements. » Des chiffres qu'il faut rappeler afin de convaincre les hommes de profiter de l'opportunité du bilan d'HBP pour réaliser un dépistage préventif du cancer de la prostate. Cela permet de rassurer le patient en cas de résultat négatif ou de mettre en place un traitement curatif précoce susceptible d'améliorer le pronostic. « Guérir d'un cancer de la prostate n'est possible que si la tumeur est localisée au moment du diagnostic. Il faut donc que ce diagnostic soit posé au tout début, insiste le Pr Mangin. Par ailleurs, pouvoir opérer un cancer débutant permet d'épargner plus facilement les bandelettes neurovasculaires qui passent à la périphérie de la prostate et sont déterminantes pour conserver les capacités érectiles, la vie sexuelle et la qualité de vie des patients. » Raison pour laquelle un dépistage systématique n'étant pas recommandé à ce jour, l'Association française d'urologie (AFU) milite pour un dépistage ciblé chez les hommes de 50 à 75 ans. Ce dépistage repose sur le toucher rectal (TR) et le dosage de l'antigène prostatique spécifique (PSA) total. Pris isolément, ni l'un ni l'autre de ces examens ne sont suffisants pour poser l'indication d'une ponction-biopsie écho-guidée. Le TR est indispensable car 15 % de ces cancers sont révélés par la détection clinique d'une zone d'induration anormale alors que la valeur du PSA total est normale. De même, un PSA élevé ne signe pas forcément la présence d'un cancer car il s'agit d'un marqueur tissulaire et non d'un marqueur tumoral. Son dosage doit être réalisé à distance de toute infection urogénitale et de préférence en respectant une semaine d'intervalle avec le TR. Le seuil de normalité varie selon le test utilisé et doit être inférieur à 2,5 ou 4 ng/ml (selon la méthode utilisée). En cas de suivi à distance, il est important de réaliser ce dosage dans le même laboratoire. Si les résultats sont normaux, l'AFU recommande une surveillance annuelle (TR + PSA). Dans ce cas, si le taux de PSA augmente de 0,75 ng/ml par an pendant deux ans, une biopsie prostatique peut s'imposer. En cas de résultats biologiques suspects mais de biopsie négative, un contrôle semestriel est conseillé. L'interprétation du PSA ne peut donc pas être dissociée d'un TR. Il faut ainsi encourager les patients à réclamer cet examen clinique, si leur médecin ne leur propose pas spontanément.

ÉVALUER LA GÊNE FONCTIONNELLE

Lorsque, à l'issue de l'examen clinique et des explorations complémentaires(3), l'HBP est objectivée et le cancer écarté, les retentissements fonctionnels sont déterminants pour définir la stratégie thérapeutique. « À ce stade, deux objectifs s'imposent au thérapeute, indique le Pr Thierry Lebret(4) : évaluer le plus précisément possible l'impact des troubles fonctionnels sur la qualité de vie du patient et prévenir les complications (rétention aiguë d'urine, rétention chronique avec miction par regorgement, calculs, diverticules vésicaux, hématurie, IR(5). »

Cette évaluation fait appel à des "scores symptômes" dont le plus utilisé est l'IPSS (International prostatic symptom score) de la Société américaine d'urologie. Validé par l'OMS, ce questionnaire permet d'apprécier la fréquence des symptômes spécifiques de l'HBP et d'en suivre l'évolution au cours du temps. Il comporte 7 questions cotées de 0 à 5 selon la sévérité des symptômes. Le score global varie donc de 0 à 35. Les symptômes sont jugés mineurs entre 0 et 7, modérés entre 8 et 19 et sévères entre 20 et 30. Une huitième question complète l'évaluation. Elle a pour but de mesurer la tolérance du patient aux symptômes et leurs retentissements sur leur qualité de vie d'après un score compris entre 0 et 6 : la qualité de vie est jugée bonne entre 0 et 1, moyenne entre 2 et 4 et mauvaise lorsque le score atteint 5 ou 6.

Bien que certains praticiens l'estiment trop complexe, beaucoup utilisent ce score pour objectiver l'importance des symptômes et orienter la décision thérapeutique. Entre 0 et 7, l'abstention-surveillance est préconisée dès lors que la qualité de vie n'est pas altérée, que les examens biologiques sont normaux, qu'aucun signe ne laisse suspecter la présence d'un cancer et que la débimétrie est bonne et sans résidu post-mictionnel. L'attitude thérapeutique doit donc être adaptée au cas par cas, sachant qu'il est de règle d'envisager la mise en oeuvre d'un traitement en cas d'IPSS supérieur à 8.

TRAITEMENT : LE CHOIX DU PATIENT

Lorsqu'aucune complication n'impose de recourir d'emblée à la chirurgie mais que la gêne ressentie par le patient justifie un traitement, le rapport bénéfice/risque et les souhaits du patient représentent un facteur décisionnel majeur, indiquent les dernières recommandations de l'Anaes (mars 2003). Bien que la chirurgie améliore les symptômes dans 90 % des cas (contre 40 % pour les médicaments), ses inconvénients font préférer les médicaments. « Notre expérience confirme cette tendance, indique le Pr Chartier-Kastler. Grâce à l'efficacité des traitements actuels, on opère de moins en moins. Les molécules aujourd'hui disponibles permettent en effet de retarder l'évolution de l'HBP et de limiter certaines complications, comme la rétention aiguë d'urine. » Trois familles de médicaments sont envisageables : les alpha-bloquants, les inhibiteurs de la 5-alpha réductase ou les extraits de plantes.

-> Les alpha-bloquants (doxasosine/Zoxan, alfuzosine/Xatral, tamsulosine/Josir, Omix, térazosine/Hytrine) constituent le traitement de référence en cas de prostates fibreuses modérément volumineuses et de symptômes obstructifs prédominants. Ils favorisent la relaxation des fibres lisses et ont pour effet de diminuer la pression et de faciliter la miction en améliorant le jet. Ils ont également un effet sur les contractions anarchiques de la vessie et calment les impériosités.

« Il est admis, indique le Pr Lebret, qu'ils permettent d'améliorer le débit urinaire de 20 à 30 %. Leur efficacité est perceptible dès le premier mois de traitement, mais, en cas de non-réponse dans les 2 mois qui suivent leur prescription, ils ne doivent pas être poursuivis. » Leur effet hypotenseur impose de les utiliser avec circonspection, notamment chez les patients très âgés et traités par anti-hypertenseurs.

-> Les inhibiteurs de la 5-alpha-réductase (finasteride/Chibro-Proscar, dutasteride/Avodart) sont indiqués pour les prostates volumineuses (> 40 g) car ils réduisent le volume prostatique de 20 à 30 % et atténuent la résistance urétrale. Leur efficacité ne peut être jugée qu'après 6 mois de traitement minimum. Leur utilisation expose environ 10 % des patients à des dysfonctionnements sexuels réversibles à l'arrêt du traitement ou à distance. Ils ont une action directe sur la sécrétion du PSA (baisse de 50 % du PSA en six mois) dont il faut tenir compte pour interpréter le dosage de cet antigène.

Ces deux types de traitements n'étaient jusque là utilisés qu'en monothérapie, leur association étant jugée inutile. Mais une étude récente réalisée auprès de 3 000 patients suivis pendant 4 ans et demi (l'étude MTOPS)(6) vient d'apporter la preuve inverse. Elle montre que l'association doxasosine et finastéride réduit significativement la progression clinique de l'HBP (ralentissement de 67 %) par comparaison à chaque médicament utilisé en monothérapie (respectivement 39 % et 34 %). De même, la bithérapie poursuivie au-delà de 2 ans améliore la prévention des complications de l'HBP en réduisant de moitié le risque relatif de rétention aiguë d'urine.

-> Les traitements phytothérapeutiques (Serenoa Repens/Permixon, Pygeum Africanum/ Tadenan) sont généralement réservés aux patients souffrant de symptômes irritatifs (pollakiurie) ou présentant des contre-indications médicales aux autres traitements. Ils restent controversés car leur efficacité objective n'a pas été prouvée versus placebo. « Néanmoins, souligne le Pr Lebret, des études d'équivalence ont montré l'efficacité de Sereona repens versus les alpha-bloquants ou le finastéride, en particulier sur les symptômes irritatifs. Ils présentent par ailleurs l'intérêt d'être dépourvus d'effets secondaires et de contre-indications, ce qui est loin d'être négligeable. »

Autant dire qu'il y a matière à parfaire l'information des patients et à leur apporter des arguments de choix pour les convaincre de ne pas négliger leurs troubles mictionnels. Aux infirmiers aussi de leur en faire prendre conscience et de les encourager dans ce sens.

(1) Source : Dossiers du praticien, spécial urologie, IMH n° 81, 28 mai 2004.

(2) Source : Conférence de presse "La prostate aujourd'hui : nouvelles perspectives", Medec 2004, Paris.

(3) Au-delà du dosage de PSA, le TR doit être complété par un examen des urines par bandelettes pour vérifier la stérilité des urines et un ECBU (recherche protéinurie, hématurie, infection...). En fonction de la situation clinique, peuvent également être réalisés : un dosage de la créatininémie (si facteurs de risque d'IR), une débimétrie (mesure du débit mictionnel) et/ou une échographie vésico-prostatique qui permet d'évaluer la prostate (volume précis, structure de la glande), la vessie (vidange, résidu post-mictionnel, paroi, lithiase), les reins (taille et aspect) et de rechercher une dilatation de la voie excrétrice haute.

(4) Source : "Recommandations diagnostiques et thérapeutiques", intervention dans le cadre du Medec, 15 mars 2005, Paris.

(5) 11 % des HBP sont accompagnés d'une IR.

(6) Source : Étude conduite par le Medical therapy of prostatic symptoms (MTOPS) research group du National health institute (NIH), Mac Connell JD et col. N Engl.J.Med 2003 Dec 18;349 (25):2387-98.

Connaître les symptômes pour en parler

- L'hypertrophie de la prostate engendre deux types de symptômes d'expression et d'intensité très variables selon les patients.

-> Les symptômes irritatifs : les efforts de contraction ou de pression réalisés par la vessie pour évacuer l'urine dans l'urètre produisent une irritation réflexe des parois de la vessie qui se manifeste par une pollakiurie à prédominance nocturne. Celle-ci est généralement associée à une pollakiurie diurne et à des impériosités mictionnelles entraînant parfois quelques fuites. Généralement précoces, ces troubles à l'origine de réveils nocturnes multiples, constituent le principal motif de consultation.

-> Les symptômes obstructifs : ils concernent la vidange vésicale et sont consécutifs à l'altération du débit d'urine. Ils s'expriment essentiellement par une dysurie (le patient doit pousser pour uriner), un jet faible, une miction saccadée, des gouttes retardataires et une sensation de vidange vésicale incomplète. Si ces symptômes ne perturbent pas la vie du patient et sont sans retentissement sur le haut appareil urinaire, l'abstention-surveillance est recommandée. En revanche, lorsqu'un résidu post-mictionnel subsiste, il augmente le risque d'infection et justifie de mettre en place un traitement.

La chirurgie de l'HBP

- Différentes techniques chirurgicales peuvent être envisagées en fonction du volume de la prostate. En dessous de 60 g, la résection endoscopique transurétrale (voie naturelle) est considérée comme l'intervention de référence. Elle évite la cicatrice et réduit la durée de séjour. Si le poids de la prostate dépasse 60 g, l'adénomectomie (énucléation de la glande par voie haute) est préférable. Elle permet d'enlever l'adénome avec un taux de réintervention plus bas qu'en cas d'intervention par voie naturelle. Il faut en effet savoir que la prostate, très vascularisée, peut saigner lors de la résection et entraîner des complications hémorragiques nécessitant une reprise chirurgicale immédiate. Des soins de paroi à domicile seront nécessaires en cas d'intervention par voie haute. Dans les deux cas, le risque d'incontinence post-opératoire est le même et le bénéfice fonctionnel sur le long terme aussi. Celui-ci intervient en deux temps : tout d'abord par une meilleure qualité de jet et ensuite par l'amélioration de la pollakiurie. En moyenne, il faut 6 semaines au patient pour oublier qu'il a été sondé et 5 mois pour juger de l'efficacité de l'opération. Il est par ailleurs important de prévenir le patient que la chirurgie modifie l'éjaculation dans 75 à 80 % des cas. Celle-ci s'effectue alors de façon rétrograde, dans la vessie, le sperme étant éliminé par les urines. Lorsque la prostate pèse moins de 30 g, une incision cervico-prostatique est donc recommandée car cette intervention ne s'accompagne d'une éjaculation rétrograde que dans 25 % des cas. « Cela dit, précise le Dr Sophie Conquy, il est indispensable d'indiquer aux patients que l'éjaculation rétrograde n'altère ni la libido, ni le plaisir. »

À lire

- Zerbib Marc et Perez Martine, Tout ce qu'il faut savoir sur la prostate, Éditions Solar (http://www.solar.tm.fr), 18,40 Euro(s).