Réseau Hippocampes Alzheimer : les vertus de l'apprentissage - L'Infirmière Libérale Magazine n° 207 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 207 du 01/09/2005

 

Initiatives en réseau

Quand des non-spécialistes se trouvent confrontés à une pathologie qu'ils ne maîtrisent pas, que font-ils ? Ils se retroussent les manches pour trouver des solutions. Ainsi est né le réseau Hippocampes, destiné à aider les professionnels dont les patients souffrent de la maladie d'Alzheimer.

La maladie d'Alzheimer touche de plus en plus de patients, mais il ne semble pas que les professionnels de santé la connaissent de mieux en mieux pour autant. S'il existe des consultations spécialisées (consultation mémoire), lorsque la situation d'un patient jusque-là indemne commence à déraper, la famille comme le médecin se trouvent démunis. C'est ainsi qu'un médecin du sport, le Dr Jean-Pierre Batard, s'est trouvé confronté - bien en dehors de son champ d'action habituel - à une maladie plutôt connue des neurologues ou des gériatres. « J'exerce depuis vingt ans en médecine du sport. Est-ce que je peux dire à un de mes patients : "tu m'intéressais quand tu jouais au tennis et que tu avais mal au dos, mais maintenant..." Non, bien sûr ! », estime le Dr Batard. Pour autant, il est très difficile de poursuivre le suivi d'un patient dont on connaît mal la pathologie.

Que faire ? Alors que le Dr Batard s'interroge, l'hôpital le plus proche (nous sommes dans l'Essonne et il s'agit du centre hospitalier Georges-Clémenceau de Chanteuil), en particulier son unité de soins palliatifs, se pose la question de l'opportunité de monter un réseau Alzheimer. En effet, estiment les professionnels, les établissements d'hébergement (Ehpad) sont insuffisants, les lits en gériatrie « une chimère », selon Jean-Pierre Batard, et la réponse aux patients et aux familles reste "le système D" tandis que les hôpitaux généraux sont « inadaptés et débordés ». De leur côté, les libéraux voudraient « faire mieux au domicile, mais on n'en a pas les moyens, on est complètement inorganisés ». Un certain nombre de professionnels libéraux sont donc sollicités par l'hôpital, notamment le Dr Batard (actif au niveau du syndicat SML et de l'union régionale), ou encore le président du réseau de soins palliatifs Spes.

UN RÉSEAU MENTOR

Grâce au réseau Spes, les membres du futur réseau Hippocampes vont pouvoir prendre beaucoup d'avance sur le calendrier. Contrairement à de nombreux promoteurs qui tâtonnent, proposent des dossiers incomplets ou inadaptés lors des demandes de financement, butent sur la complexité des démarches administratives, les fondateurs d'Hippocampes bénéficient à travers le réseau Spes d'un véritable mentor qui leur montre la voie d'un réseau efficace. Une association est fondée, des statuts enregistrés et un dossier de demande de financement auprès du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (Faqsv) est déposé le 30 avril 2004. « Pour la structure, on s'inspire largement de Spes et de son expérience », explique le Dr Batard, devenu président d'Hippocampes. En attendant la réponse du Faqsv, le bureau de l'association continue de se réunir une fois par semaine pour faire avancer le projet. Avec raison : « Dès qu'on a eu l'accord du Faqsv, on a commencé à recruter l'équipe de coordination. » Un financement d'environ 57 000 euros est en effet accordé le 1er octobre 2004 pour une période de 18 mois. Un médecin gériatre coordonnateur, des infirmières, une psychologue, un directeur administratif, un ergothérapeute et une secrétaire sont engagés. Avant même l'écoulement des 18 mois, le réseau prévoit de déposer une demande de financement auprès de la dotation régionale des réseaux (DRDR) : « On n'est pas là pour regarder les trains passer ! », commente le Dr Batard.

Au final, le réseau comporte 66 adhérents (principalement généralistes et gériatres) dont trois infirmières. Il fédère un certain nombre d'acteurs du sanitaire et du médico-social, en particulier le centre hospitalier, des établissements d'accueil, des centres ressources, des Clic et des associations, grâce à des conventions. Tous les patients domiciliés dans l'Essonne peuvent être concernés ainsi que les professionnels de santé qui les suivent, même si ces derniers ne sont pas dans le département. « On cherche le partenariat le plus large possible, sans ostracisme », explique le Dr Batard qui évoque la charte du réseau.

UNE CHARTE DÉTAILLÉE

« Tout membre du réseau s'engage à signer une charte de collaboration. » C'est l'article 2 de ladite charte, elle-même assez détaillée. En particulier, un chapitre précise les "obligations du réseau" envers les professionnels : la mise à disposition d'outils et services - aide à l'évaluation, aide à la continuité et la coordination des soins, protocoles, permanence téléphonique, annuaire, soutien psychologique, formation continue, conseils techniques, etc. Le réseau s'engage par ailleurs à « assurer le libre accès de chaque professionnel aux informations nécessaires à l'optimisation de ses pratiques », à « rémunérer forfaitairement les travaux de concertation et les séances d'élaboration de protocoles et de formation des différents intervenants ». De leur côté, les professionnels ont également des engagements à respecter, détaillés par profession. Pour l'équipe paramédicale (infirmier, aide soignant, Ssiad, kinésithérapeute, diététicien), il s'agit d'assurer « la mise en oeuvre des traitements et des soins prescrits par le médecin » et d'organiser « la permanence et la coordination des soins paramédicaux ». L'infirmière qui signe la charte s'engage aussi à « utiliser les outils de transmission de l'information (fiches, carnet de liaison ou système informatisé) », à appliquer « les protocoles de soins validés par le réseau et prescrits par le médecin traitant » et à participer « aux réunions de concertation et aux sessions de formations proposées par le réseau ». Ces séries d'engagement sont déclinées pour chaque professionnel de santé, mais aussi pour les travailleurs sociaux, ou encore les institutions (consultations mémoire, établissements d'hébergement, Clic, associations, etc.).

UN INCLUSION SUR DEMANDE MÉDICALE

À ce jour, le réseau Hippocampes a reçu 92 demandes de prise en charge et réalisé 46 "premières visites" (d'évaluation) pour aboutir à 22 inclusions complètes (signature de la charte par le patient). Classiquement, un patient souffrant de troubles de la mémoire consulte son médecin traitant, qui le renvoie vers un spécialiste (neurologue, gériatre, psychiatre, ou consultation mémoire) pour un bilan plus approfondi. Si le patient est éligible, une information lui est prodiguée sur l'existence du réseau et un courrier accompagné d'une documentation est adressé au médecin traitant.

Parallèlement, la coordination du réseau (contactée par le spécialiste) organise une visite conjointe d'évaluation psycho médico-sociale. « L'équipe médicale de coordination, le médecin traitant, la famille, parfois l'infirmière libérale et/ou le kiné font une visite d'évaluation au domicile et mènent une réflexion sur ce qu'on peut y améliorer », explique le Dr Batard. Si le patient donne son accord, un dossier est ouvert et la coordination en assurera le suivi conjointement avec le médecin traitant. Lors de l'inclusion dans le réseau, une fiche d'information est remise au patient qui y apprend le mode de fonctionnement du réseau et peut y lire la liste des ressources auxquelles il a accès gratuitement. « Dans une situation d'urgence, vous pourrez, en appelant le 15, être visité par un médecin qui aura pu prendre connaissance de votre dossier », y lit-on notamment. Y sont annexés des extraits de la convention constitutive et de la charte de collaboration du réseau.

L'inclusion dans le réseau n'implique pas une révolution dans les soins. En fait, à l'image d'une équipe mobile, « le réseau n'est là que pour apporter une expertise, et non des soins », explique son président. En dehors de la coordination, l'ouverture d'un dossier au sein du réseau permet une plus grande réactivité en cas d'admission aux urgences par exemple.

PRÉVENIR LE BURN OUT

« Si je n'étais pas au réseau Hippocampes, je ne saurais pas ce que c'est qu'un Clic », avoue le Dr Batard. Il n'est pas le seul professionnel de santé à ignorer une bonne partie de ce qui ne concerne pas directement sa pratique quotidienne. Or, dans une maladie comme Alzheimer, les besoins médicaux se doublent de besoins sociaux importants pour lesquels médecins ou infirmières ne sont pas nécessairement - et n'ont d'ailleurs pas à être - compétents. « Est-ce que les aides financières sont le boulot du médecin, ou de l'infirmière ou du kiné ? Et la sauvegarde financière et l'intégrité juridique du patient, qui est compétent là-dessus ? », s'interroge le président du réseau. De plus, explique ce dernier, « en tant que soignants, on est porteurs de secrets de familles, on n'est pas formés pour ça ». Selon lui, « si un réseau est là, avec une expertise et un carnet d'adresses pour renseigner utilement, on met les gens en relation »... et on dénoue les situations.

Le réseau Hippocampes est un réseau de santé qui centre son intervention sur le médical. Il permet cependant d'orienter patients et professionnels vers les structures adéquates en cas de besoin. L'idée est de « déléguer aux gens compétents des tâches pour lesquelles on n'est pas soi-même compétent »... un des meilleurs moyens d'éviter le burn out. En effet, lors de l'inclusion du patient, « les infirmières libérales sont souvent en complet burn out », estime-t-on à Hippocampes. L'idée est donc d'aider les professionnels de santé, avec pour principe que si leur travail est facilité, « il y aura in fine une amélioration de la prise en charge des patients ». Le réseau permet une pratique plus facile, mais aussi des échanges plus fréquents avec les pairs, la mise en commun des problématiques, l'accès à un soutien psychologique, et, pourquoi pas, des groupes de parole, mais uniquement « dans le cadre de la formation : nous sommes un réseau de santé, nous ne sommes pas dans le soin ».

OPTIMISER LES SOINS

S'il y a institutionnalisation, le patient continue d'être suivi : « on s'adresse à des patients à domicile, quel que soit le domicile », précise le Dr Batard. Lors d'un séjour à l'hôpital, le réseau organise le retour au domicile. Inversement, « on facilite l'hospitalisation en cas de besoin : trouver des lits de repli, etc. ». Enfin, des fiches de liaison sont prévues avec l'hôpital. Dans tous les cas, le réseau met tout en oeuvre pour optimiser les soins - auxquels il ne participe pas directement.

Dans cette optique, la formation est une plateforme pivot du réseau. Elle permet les remises à niveau, l'échange sur les pratiques et la rupture de l'isolement. Au réseau Hippocampes, elles ont rassemblé en tout près de 408 participants (cumulés) entre janvier et juin 2005, soit 30 à 85 par session mensuelle, dont une formation réservée aux infirmières (sur les "comportements dérangeants"). Isabelle Horlande, directrice administrative du réseau, précise que « les professionnels libéraux ayant signé la charte du réseau sont rémunérés sur la base de 80 euros par formation suivie ». Ces formations s'adressent prioritairement aux professionnels de santé, le plus souvent sans distinction.

Le 31 mai dernier, un colloque organisé par le réseau a rassemblé 324 participants, dont 48 infirmiers. Les interventions ont porté sur le diagnostic précoce et troubles du comportement révélateurs de la maladie d'Alzheimer, l'intérêt de la prise en charge orthophonique, la rééducation cognitive de groupe, le plan d'aide et le soutien à domicile, l'aide aux aidants ou bien les Clic. Parallèlement, le réseau développe des protocoles de soins et un dossier partagé. Pour optimiser la prise en charge, des groupes de travail ont été formés par profession, pour étudier de possibles dérogations tarifaires.

Malgré de nombreux chantiers encore en cours, le réseau Hippocampes a avancé remarquablement vite étant donné son jeune âge. L'existence à ses côtés d'un réseau plus confirmé (le réseau Spes) n'y est pas pour rien et cette expérience de tutorat pour des apprentis promoteurs devrait en faire réfléchir plus d'un.

De l'océan au système limbique

Le réseau doit son nom à l'hippocampe, une zone du cerveau elle-même nommée d'après le petit animal marin dont elle a la forme. L'hippocampe est une structure essentielle pour le fonctionnement de la mémoire, en particulier pour l'acquisition d'informations nouvelles (apprentissages). Elle ferait notamment le lien entre la mémoire à court et à long terme. Dans la maladie d'Alzheimer, les neurones du système limbique, en particulier ceux de l'hippocampe, sont les premiers touchés.

Les engagements du réseau

- Une permanence d'écoute (expertise pour les professionnels ; écoute et conseil aux familles) en semaine.

- Une aide à l'évaluation médico-psycho-sociale à domicile (sur demande du médecin traitant).

- Une coordination avec les consultations mémoire (réunions de synthèse incluant une évaluation des pratiques).

- Des protocoles de soins validés et régulièrement mis à jour.

- Des outils de liaison (un dossier médical partagé est en cours d'élaboration).

- Un annuaire des acteurs du social et médico-social.

- Des conseils techniques concernant le matériel et les produits.

- La prévention des conséquences médicales et psychologiques des situations cliniques pour lesquelles le professionnel intervient.

- Un soutien psychologique (les familles ainsi que les professionnels).

- Une formation continue (d'après la fiche de présentation du réseau remise aux patients et professionnels).

Des réseaux en développement

La Fondation Médéric-Alzheimer édite chaque année un annuaire des structures de prise en charge des patients souffrant de cette maladie. Il n'y aurait selon elle en France pas plus de sept réseaux Alzheimer (et environ 50 réseaux dédiés à la gérontologie), pour une population de près de 800 000 patients sur tout le territoire. La Mutualité sociale agricole (MSA) prévoit néanmoins de mettre en chantier une dizaine de réseaux très spécialisés dans les années à venir, en s'appuyant sur les structures existantes.

Pour en savoir plus

- Réseau Hippocampes, ZA Les Gros Ballancourt - Route de Fontenay - 91610 Ballancourt

- Tél. : 01 64 93 01 10 Fax : 01 64 93 01 11

- Email : reseau.hippocampes@wanadoo.fr

- Site Internet : http://www.hippocampes.net