À quand le meilleur des mondes ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 214 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 214 du 01/04/2006

 

SANTÉ MENTALE DANS LA CITÉ

Actualités

L'Événement

En avril, la santé mentale se découvre sur le fil du rasoir. La psychiatrie et les neurosciences ont envahi la vie quotidienne. Du berceau au tombeau, des processus d'apprentissage scolaire aux expertises judiciaires, les neurones ne cessent de s'agiter.

Où s'arrête le normal ? Où débute le pathologique ? Où passe la frontière entre la santé mentale et la nécessaire prise en charge de la souffrance psychique d'un individu ? En ce début d'année, ces questions sont au coeur de nombreux débats de société, que ce soit à la crèche, à l'école, au tribunal ou plus généralement "dans la cité".

À l'évidence, le champ de la santé mentale est très étendu. Il a une dimension individuelle (à tous les âges de la vie), mais aussi une dimension sociétale... et de nombreuses spécificités. Ainsi, pour répondre aux problèmes qui se posent, une réponse exclusivement sanitaire n'est généralement pas suffisante. Ensuite, parce qu'elle altère le rapport à l'autre, la maladie mentale est source de déni, de tabou, de stigmatisation et de mise à l'écart (l'exclusion pouvant être considérée comme un moyen de survie du corps social pris dans son entièreté). A priori, le problème, c'est l'autre.

Une expertise controversée

Publiée en septembre 2005, une "expertise collective" de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), intitulée Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent, a déclenché un beau tollé dont les effets se font encore sentir six mois plus tard. L'objectif de cette expertise était d'établir un lien entre les troubles du comportement du jeune enfant et l'apparition ultérieure d'actes de violence graves.

Si l'on en croit les experts de l'Inserm, « des actions peuvent être initiées pour prévenir de façon efficace l'évolution défavorable du trouble » sans pour autant « psychiatriser la turbulence de l'enfant ou la désobéissance de l'adolescent ». L'Inserm prend soin de distinguer nettement « le trouble des conduites, qui est une notion médicale, et la délinquance, qui est une notion juridique ».

Le problème vient aujourd'hui du fait que les conclusions de cette "expertise collective" ont été récupérées par certains politiciens sécuritaires (comme le député UMP Jacques-Alain Bénisti) qui entendent dépister et ainsi prévenir la délinquance dès le berceau. Dans la même lignée, le gouvernement prépare actuellement un "plan de prévention de la délinquance", qui prône notamment une détection précoce des troubles du comportement. Dernièrement, le ministre de l'Intérieur a même envisagé la création d'un "carnet de suivi comportemental" des tout-petits.

Éviter de tout psychiatriser

Pour protester contre ces projets inquiétants, des professionnels de la santé ont lancé une pétition, intitulée Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans (http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org), qui a déjà été signée par plusieurs dizaines de milliers de personnes. L'objectif des pétitionnaires ? Éviter le fichage médico-social et la psychiatrisation des tout-petits, qui conduiraient à leur administrer préventivement des médicaments psychotropes pour tenter d'éradiquer de manière précoce tout "trouble de conduite".

Les promoteurs de la pétition dénoncent « l'approche déterministe » des tenants des thérapies comportementales et cognitives (TCC) qui risque de conduire, selon eux, à « un formatage des comportements des enfants » et à « une forme de toxicomanie infantile » si la réponse au "trouble des conduites" est d'abord médicale et pharmacologique, avant d'être éducative, pédogogique ou sociale. Bref, tout enfant agité ne doit pas nécessairement être traité avec une pilule miracle (Ritaline ou autre).

Dans un autre registre, l'Afssaps rappelle qu'en cas de dépression chez l'enfant et l'adolescent, le traitement de première intention doit d'abord être psychothérapeutique. La mise en place d'un traitement médicamenteux ne doit survenir que dans certaines situations particulières, accompagnée d'une surveillance étroite du patient et de la recherche de tout signe d'apparition d'un comportement suicidaire.

Privilégier l'accompagnement

À la mi-mars, se sont tenues simultanément la "Semaine du cerveau" (à l'initiative du CNRS) et la "Semaine d'information sur la santé mentale" (Sism). La 17e Sism avait pour thème "La santé mentale dans la cité". Pour les personnes souffrant de troubles psychiques graves, ce thème prend en effet une dimension toute particulière. Car, si la loi du 11 février 2005 leur a accordé un statut, lié à la reconnaissance du handicap psychique, des dispositifs adaptés restent à mettre en place, notamment en termes d'accompagnement et de continuité des soins. Des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et des Groupes d'entraide mutuelles (GEM ou "clubs") sont progressivement créés, qui permettent d'accueillir "dans la cité" les personnes souffrant de troubles psychiques graves. « C'est un premier pas important. Néanmoins, l'essentiel reste à faire », estime Jean Canneva, président de l'Unafam.

Pour l'Unafam, les priorités sont aujourd'hui les suivantes :

> assurer la continuité des soins ;

> obtenir des ressources minimales ;

> accéder à des logements et à des hébergements adaptés ;

> garantir un accueil et un accompagnement dans la cité ;

> permettre une protection juridique (si nécessaire) ;

> développer si possible des activités.

Un plan ambitieux... malheureusement resté en plan

Lancé en urgence après le drame de Pau, au début de l'année dernière, le plan "Psychiatrie et santé mentale" pour les années 2005-2008 était a priori ambitieux. Il entendait « donner à la psychiatrie et à la santé mentale un nouveau souffle, au service des usagers et des acteurs ». Prévu pour une durée de trois ans, il comprend pour objectifs principaux :

> décloisonner la prise en charge ;

> renforcer les droits des malades et de leurs proches ;

> améliorer l'exercice des professionnels ;

> développer la qualité et la recherche ;

> mettre en oeuvre des programmes spécifiques (dépression-suicide ; santé-justice ; périnatalité, enfants et adolescents ; populations vulnérables), les suivre et les évaluer.

Malheureusement, un an plus tard, les mesures concrètes se font toujours attendre...

Les neurosciences, jusqu'où ?

De leur côté, les sciences cognitives progressent à grands pas, permettant d'éclairer des parties encore méconnues de notre psychisme. Libéré des théories freudiennes, l'inconscient réapparaît ainsi sous un nouveau jour, grâce notamment à l'imagerie cérébrale fonctionnelle (IRM, etc...). Mais psychothérapeutes classiques ne s'en laissent pas conter, s'opposant parfois violemment aux neuroscientifiques cognitivistes. À terme, la psychanalyse sera-t-elle soluble dans la neurobiologie ? Pas si sûr ! Contrairement à ce que semblent penser certains, les neurosciences ne sont pas la panacée. Ainsi, il est très étonnant de lire sous la plume du ministre chargé de la Recherche (Libération, 28 février 2006) que « la science, la vraie, la science expérimentale, est en train [d'émerger]. Cette science toute jeune, c'est la science du cerveau. Sous le nom de "neurosciences cognitives", ces sciences nouvelles commencent à apporter des réponses fermes, confirmant bien souvent nos connaissances empiriques »...

Entre IRM "high tech" et cambouis social

Si l'on en croit certaines approches par trop scientistes et réductionnistes, grâce aux neurosciences, le meilleur des mondes serait désormais à portée de main. Pourtant, la pauvreté et l'exclusion progressent dans notre pays. Ce qui n'est pas sans impact sur la santé mentale de la population.

À Outreau, de pauvres innocents ont été emprisonnés sur la base d'expertises psychologiques bâclées. Le psychologue qui a expertisé les enfants Delay-Badaoui, « payé au tarif d'une femme de ménage », a reconnu a posteriori n'avoir pas eu « assez de doutes ». Pourtant, son expertise a alimenté l'acte d'accusation, avec les conséquences que l'on sait, sans qu'une contre-expertise ait été demandée par les juges. Trivial, peut-être, mais bien réel.

Qu'on se le dise, le meilleur des mondes n'est pas à l'ordre du jour, ni pour aujourd'hui, ni pour demain. Il faut donc apprendre à "faire avec" la misère, l'injustice et la souffrance psychique, qui sont inhérentes à notre finitude et à notre humanité. La conscience et l'inconscient n'ont pas encore livré tous leurs secrets.

À lire

- Afssaps, Utilisation des antidépresseurs chez l'enfant et l'adolescent, Éd. Afssaps, mars 2006 (à télécharger sur http://afssaps.sante.fr).

Chauvin Pierre et Parizot Isabelle, Santé et expériences de soins, Éd. Vuibert/Inserm, novembre 2005, 304 pages, 30 euros.

Furtos Jean et Laval Christian, La santé mentale en actes, Éd. Érès, décembre 2005, 360 pages, 25 euros.

Inserm, Troubles des conduites chez l'enfant et l'adolescent, Éd. Inserm, septembre 2005 (à télécharger sur http://www.inserm.fr).

Vican Pierre, Nos enfants, cobayes de la psychiatrie ?, Éd. Anagramme, mars 2006, 192 pages, 17,90 euros.

Andrieu Bernard, Freud est-il soluble dans les neurosciences ?, in Le journal du CNRS, n° 194, mars 2006 (à télécharger sur http://www2.cnrs.fr/presse/journal/2697.htm).

Sites Internet

AFP : http://www.psychiatrie-francaise.com

(site de l'Association française de psychiatrie)

Fnap-Psy : http://www.fnappsy.org

Inserm : http://www.inserm.fr

Ministère : http://www.sante.gouv.fr (pour télécharger le plan "Psychiatrie et santé mentale 2005-2008")

Psydoc : http://psydoc-fr.broca.inserm.fr

Unafam : http://www.unafam.org

Programme Équilibre

- Parce que la prise de psychotropes s'accompagne trop souvent d'une prise de poids, l'Institut Lilly (site Internet : http://www.lilly.fr), la Fap-Psy et l'Unafam ont créé un programme éducatif de nutrition et d'hygiène alimentaire, appelé "Équilibre", qui vise à prévenir et maîtiser ces variations pondérales.

- Simple et ludique, ce programme concilie approche somatique et approche psychique. Il peut être utilisé en dehors de l'hôpital, notamment au sein des "clubs" d'entraide mutuelle.