Accompagner la fin de vie à domicile - L'Infirmière Libérale Magazine n° 214 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 214 du 01/04/2006

 

Formation continue

Prendre soin

Quatre-vingt pour cent des Français expriment leur volonté de mourir chez eux, mais seulement 30 % des personnes en fin de vie s'éteignent effectivement dans leur environnement familier. Si la prise en charge des malades en fin de vie à domicile a ses limites, de nombreuses expériences de soins palliatifs à domicile montrent que cela peut être surmonté grâce à la mobilisation des réseaux et des soignants libéraux.

Le 26 août dernier, en visite dans le réseau de soins palliatifs Le Pallium à Trappes (Yvelines)(1), Xavier Bertrand, ministre de la Santé et des Solidarités, affirmait que « toute personne confrontée à sa vie finissante souhaite vivre ses derniers moments, le plus dignement et humainement possible, dans le lieu qu'elle a choisi ». Mais il constatait également « qu'aujourd'hui en France, deux personnes sur trois meurent à l'hôpital alors que plusieurs enquêtes montrent que 80 % de nos concitoyens préfèreraient mourir chez eux ». Il réaffirmait enfin la nécessité de développer les soins palliatifs à domicile et le devoir de l'État d'aider à la poursuite de la révolution entreprise dans l'accompagnement de la fin de vie en mettant en place d'ici à 2007 un réseau de soins palliatifs à domicile pour 400 000 habitants. Car il est possible dans la grande majorité des cas de satisfaire cette demande.

DES LIMITES HUMAINES ET MATÉRIELLES

« L'analyse objective du contexte médico-social et environnemental du retour ou du maintien à domicile des patients en fin de vie, explique Brigitte Lelut, infirmière coordinatrice du réseau Palliavie à Grenoble(2), nous confronte naturellement à des situations qui peuvent faire obstacle d'emblée à ce projet. » Différents facteurs inhérents soit au malade, soit à l'entourage, soit aux professionnels, peuvent limiter l'accompagnement de la fin de vie à domicile. La prise en charge à domicile peut notamment être compromise si elle engendre chez le patient un sentiment d'insécurité angoissant qui s'oppose à l'effet recherché par l'offre de soins à domicile. « Pour nous, commente Brigitte Lelut, il n'y a pas de meilleur lieu pour mourir. Le meilleur lieu est celui que le patient a choisi et si son choix se porte sur l'hôpital parce qu'il s'y sent plus en sécurité et plus serein, il nous appartient de respecter cette décision. » Au-delà de ce paramètre décisionnel, certaines complications médicales ne sont pas gérables à domicile. « C'est notamment le cas des occlusions hautes accompagnées de nombreux vomissements pour lesquels les équipes à domicile ne disposent pas d'un matériel d'aspiration suffisamment efficace pour soulager correctement et rapidement le patient, explique l'infirmière. Cela peut aussi être le cas lorsque des tumeurs cérébrales ou des extensions secondaires cérébrales d'un cancer provoquent des troubles du comportement résistants aux thérapeutiques. Ces troubles épuisent et angoissent terriblement les familles, ce qui complique voire exclut le maintien ou le retour du patient à domicile. » Selon une étude menée auprès de 268 généralistes du Val-de-Marne(3), 41 % des médecins estiment que la famille constitue le premier obstacle à la prise en charge d'un malade en fin de vie à domicile et plus d'un quart invoque ensuite le manque de personnel paramédical. « Nous avons parfois du mal à trouver une infirmière qui passera deux fois par jour, confie le Dr Antoine de Guibert, généraliste en Ille-et-Vilaine. Quand l'état du patient est déjà très dégradé, les infirmières sont parfois réticentes. » En outre, elles n'ont pas forcément la disponibilité nécessaire à ce type de prise en charge (une fin de vie réclame jusqu'à 5 à 6 heures de soins par jour), ce qui explique que, même dans les réseaux, il arrive parfois de ne pas trouver les ressources nécessaires en personnel soignant. « Dans la mesure où nous n'envisageons pas, en fin de vie, de laisser les soins d'hygiène et de confort aux seuls auxiliaires de vie, commente Brigitte Lelut, il nous arrive de ne pouvoir donner suite à des demandes de prises en charge pour ce motif. »

REPOUSSER LES LIMITES

Cela dit, d'une manière générale, la présence d'un réseau de soins palliatifS (RSP) constitue un élément facilitateur qui permet de repousser les limites du possible et d'exhausser le souhait des patients, y compris dans des situations qui a priori semblent peu favorables. « Il n'est pas rare en effet, confirme Annelyse Lemaître, infirmière de formation, actuellement directrice adjointe du réseau de santé Le Pallium (Trappes), que des familles opposées au retour ou au maintien à domicile de leur parent en fin de vie parviennent à dépasser leurs craintes grâce au soutien et à la présence rassurante du réseau. Nous leur proposons de faire un essai, auquel ils peuvent mettre un terme à tout moment. Ainsi, ils ne se sentent pas enfermés dans une décision irrévocable, ce qui leur permet d'appréhender avec plus de sérénité cet accompagnement. Les infirmières réévaluent régulièrement la situation et, la plupart du temps, les familles vont jusqu'au bout car le soutien du réseau non seulement les sécurise, mais les aide à réaliser leur propre cheminement vers la mort en ayant le sentiment du devoir accompli. » Une autre des prouesses des réseaux est de permettre à des personnes seules de pouvoir mourir chez elles. Dans ce cas, lorsque la fin de vie approche, l'idée d'un retour ou d'un maintien à domicile paraît irréaliste aux services hospitaliers ou aux médecins traitants. Une idée balayée par les RSP qui apportent régulièrement la preuve qu'en présence d'un patient seul, impossible ne rime pas avec fin de vie à domicile. Une évaluation conduite par le réseau Palliavie montre que dans 72 % des cas, les malades seuls (9 % de la file active de ce réseau) peuvent être pris en charge à domicile et ce, d'autant qu'en approfondissant l'analyse, il apparaît que seulement 5 % des patients considérés seuls n'ont effectivement aucun entourage. Une personne qui a choisi sa solitude et l'a toujours assumée, y compris dans la maladie, doit avoir la possibilité de finir sa vie chez elle, expliquent les auteurs de cette étude, Fabienne Durand, assistante sociale, et Brigitte Lelut. « Néanmoins, insiste cette dernière, cela suppose qu'elle soit parfaitement consciente de son état de santé, de la gravité de sa maladie et de son pronostic et qu'elle accepte d'en assumer les risques (mourir seul en dyspnée, par exemple). Cela suppose également que les soignants soient encore plus disponibles et qu'ils acceptent les conséquences possiblement tragiques de ce choix. »

SOULAGER, SOUTENIR

En pratique, la démarche palliative consiste à satisfaire les besoins fondamentaux du patient et à soulager les symptômes pour lui permettre d'entretenir le plus longtemps possible des relations avec ses proches. Elle privilégie les soins d'hygiène et de confort (soins de bouche, hydratation) et la prévention des escarres. Les patients sont médicalisés au minimum et les soins techniques se limitent généralement à l'hydratation sous-cutanée, aux traitements morphiniques par pompe, lorsque les malades ne peuvent plus absorber de traitement per os, et à l'alimentation artificielle chez les patients atteints de cancer ORL et gastrectomisés depuis de nombreuses années. « D'une manière générale, nous ne sommes pas très favorables aux soins techniques qui alourdissent la prise en charge à domicile inutilement et qui compliquent souvent la vie des familles plus qu'elles n'apportent de bien-être ou de confort au patient », expliquent les infirmières. Largement impliqués dans la prise en charge, les aidants familiaux doivent savoir réaliser certains gestes (prévenir la sécheresse buccale et les fausses routes, maintenir une bonne hydratation et une alimentation plaisir à la demande) pour maintenir le malade dans un confort maximum entre les visites des soignants. Au-delà de l'apprentissage réalisé par les infirmiers, certains réseaux mettent à leur disposition des supports éducatifs qui leur servent d'aide-mémoire dans les premiers temps. Ainsi, le réseau Palliavie remet des fiches-conseils(4) très pratiques sur l'alimentation, l'hydratation et les troubles de la déglutition. De son côté, Le Pallium propose un guide gratuit à l'usage des familles Accompagner la fin de vie qu'il met également à la disposition des autres réseaux au prix de 8 euros.

AIDER À MOURIR EN PAIX

« Cela dit, commente Brigitte Lelut, il n'existe pas d'accompagnement idéal et le fait de mettre à la disposition des patients et de leur famille tous les moyens susceptibles de les aider à aborder la mort en paix ne permet pas d'atteindre systématiquement cet objectif. Nous pouvons réunir tous les critères qui, d'un point de vue éthique, médical, soignant et humain, nous paraissent offrir les meilleures conditions, il y a toujours un paramètre que nous ne maîtrisons pas en la personne du patient lui-même et de la manière dont il va recevoir et accepter ce que nous lui proposons. » Malgré le travail d'écoute des différents intervenants et en dépit de l'intervention des psychologues et des bénévoles d'accompagnement, il n'est pas toujours possible de soulager la souffrance morale qu'inflige au malade en fin de vie la perspective de la mort. Parce qu'il s'agit d'un cheminement intérieur qui peut se dérouler selon chaque individu dans la révolte et la colère ou dans la sérénité et la paix. Il est donc important pour préserver les soignants que ceux-ci soient convaincus d'avoir en tout point (ou presque) répondu aux besoins et aux attentes du patient et de sa famille. « D'où l'intérêt pour les infirmiers libéraux de travailler dans le cadre de réseaux structurés, organisés et disposant des ressources nécessaires pour adapter à tout moment l'offre de soins aux besoins des malades et des aidants naturels, explique Annelyse Lemaître. Qui plus est, ils peuvent aussi bénéficier des sessions de formation continue que nous organisons régulièrement sur des thèmes divers : notions de base en soins palliatifs, relation d'aide et de soins, questions techniques spécifiques. Ces rendez-vous mensuels entre les permanents du réseau et les intervenants extérieurs contribuent à créer des liens qui transforment radicalement la prise en charge et lui permet de se dérouler de façon plus harmonieuse et plus cohérente par rapport au projet de fin de vie du patient et de sa famille. » Poursuivant le même objectif, Palliavie organise au démarrage de toute prise en charge une réunion au cabinet du médecin traitant réunissant tous les acteurs sanitaires et sociaux appelés à intervenir au chevet du patient. « Ces réunions sont capitales car elles permettent de faire connaissance, de mettre des visages sur des noms, de présenter le patient, d'exposer les points forts et les points faibles de l'entourage et de s'entendre sur le projet de fin de vie, les aides à proposer et les objectifs à atteindre », commente Brigitte Lelut. Ainsi le patient n'a pas affaire à des "électrons libres" mais à une véritable équipe, ce qui permet d'instaurer d'emblée un cadre rassurant et un climat de confiance propice à l'élaboration de la relation d'aide.

COHABITER AVEC LA MORT

Cette cohésion d'équipe est également d'une grande utilité pour les permanents du réseau et les intervenants extérieurs appelés à cohabiter de façon quasi permanente avec la mort. Car, si ces soignants travaillent dans ce domaine par choix, il est parfois difficile, y compris lorsqu'on entretient des rapports très clairs avec la finitude de la vie, de ne pas succomber au doute, à la colère et à la fatigue morale et physique induits par les questionnements des familles, l'écoute des patients ou la recherche de solutions à des problèmes matériels, entre autres. Dans le contexte de la fin de vie, les soignants ne peuvent s'autoriser aucun laisser-aller. Ils doivent avoir une disponibilité à toute épreuve. Or, même très bien formé et très motivé, nul n'est à l'abri d'une défaillance et le cadre contenant du réseau constitue alors un soutien très important car chacun sait qu'il peut compter sur les ressources du réseau pour l'aider à passer les caps difficiles sans que cela ne retentisse sur la continuité et la qualité des soins. « Au sein d'une équipe, même si nous partageons les mêmes valeurs personnelles et professionnelles, nous n'entretenons pas tous la même relation à la mort, reconnaissent les soignants. Il peut arriver que certaines situations nous affectent plus que d'autres et l'espace de parole que nous offre le réseau nous permet de ne pas rester seuls face à notre désarroi. » C'est entre autres dans ce but que les réseaux de soins palliatifs organisent de façon systématique une réunion "post-décès" réunissant l'ensemble des intervenants ayant participé à la prise en charge. « Ces rencontres, explique Annelyse Lemaître, permettent aux libéraux de s'exprimer sur la manière dont ils ont vécu l'accompagnement du patient, tant en termes organisationnel qu'en termes de lien avec le réseau et la famille. Elles sont également l'occasion d'engager un dialogue avec la psychologue sur des problématiques plus personnelles qui donnent lieu, si nécessaire, à des consultations individuelles. » Lorsqu'on les écoute parler de leur vécu professionnel, ce n'est pas la mort qui les éprouve le plus, mais « la crainte de ne pas être capable d'accompagner les patients et les familles dans les meilleurs conditions ». « Personnellement, conclut Brigitte Lelut, je n'investis pas sur ce qui aurait pu être vécu par le patient, mais sur ce qui l'a été. Or, nous avons la lourde responsabilité de faire en sorte que ce vécu soit, jusqu'au dernier souffle, le plus serein possible. L'aide et les supports apportés à une personne en fin de vie peuvent faire toute la différence dans la façon dont la mort est vécue par cette personne et sa famille. Chaque patient est un challenge, car choisir de mourir chez soi, c'est choisir de vivre sa mort comme on a vécu sa vie et quels que soient le contexte et les conditions de la prise en charge à domicile, notre accompagnement de la fin de vie doit permettre au malade et à sa famille de vivre cette finitude plutôt que de la subir. »

(1) Le Pallium, 3, place de la Mairie, 78190 Trappes. Tél. : 01 30 13 06 33 ; fax : 01 30 13 06 39 ; http://www.lepallium.fr ; reseau.lepallium© lepallium.fr ; ce réseau de santé couvre la moitié sud du département des Yvelines ainsi que les alentours de Dourdan (91), soit 141 communes pour 444 600 habitants.

(2) Palliavie, 3, boulevard Gambetta, 38000 Grenoble. Tél. : 04 76 29 45 27 ; http://www.palliavie.org ; palliavie©wanadoo.fr. Ce réseau de santé couvre une partie du secteur sanitaire 4 de l'Isère, soit 76 communes représentant 548 000 habitants.

(3) Source : Mourir à domicile, Cécile Coumau, IMH n° 126, 30 juin 2005, p. 27.

(4) Ces fiches sont disponibles sur demande auprès du réseau : palliavie@wanadoo.fr en précisant en objet : "Brigitte Lelut fiches conseil".

Retour à domicile : dissocier désir, souhait et projet

- Lorsqu'une structure fait appel au réseau Palliavie pour collaborer à l'organisation du retour à domicile d'un patient en fin de vie, l'équipe qui prend contact avec le patient tient à s'assurer que la demande formulée par la structure répond bien à la demande exprimée par le patient. « Il n'est pas rare que des structures nous appellent pour un retour à domicile sans avoir analysé véritablement la signification réelle de cette demande, explique Brigitte Lelut. Or, il est important d'explorer ce que cela veut dire et de dissocier si la demande relève d'un souhait, d'un désir ou d'un projet. » Par exemple, le patient peut exprimer le désir de rentrer chez lui parce qu'il espère aller mieux et que symboliquement le retour à la maison signifie pour lui qu'il va recouvrer son indépendance et son état de santé antérieurs. Il n'est donc pas prêt, parce qu'il n'est pas réaliste sur son état de dépendance, à rentrer chez lui dans le projet d'aller y mourir. Si tel est le cas, mieux vaut différer le retour et attendre que son désir traduise un véritable cheminement par rapport à la maladie, à son pronostic et à la réalité qui s'impose à lui.

Fin de vie à domicile : choix difficile pour les familles

- Si certains parents sont prêts à tous les sacrifices pour exaucer le voeu du malade en fin de vie, d'autres n'y parviennent pas pour des raisons personnelles ou financières parfois indépendantes de leur volonté. Il n'est pas rare que la personne-ressource soit elle-même éprouvée physiquement ou psychiquement par une maladie préexistante qui ne lui permet pas d'envisager le maintien ou le retour du patient en fin de vie à domicile. Cela dit, lorsqu'ils sont valides, les aidants proches ne se sentent pas forcément à l'aise face à cette perspective. « Ils invoquent généralement leur sentiment d'insécurité et leur "incapacité" à assumer la prise en charge, les problèmes d'organisation et les difficultés matérielles », explique Annelyse Lemaître. Le coût de la prise en charge, lorsque celle-ci nécessite la mise en place d'aides multiples et fréquentes peut, pour certaines familles, représenter un obstacle insurmontable. En effet, l'allocation versée dans le cadre du Fonds national d'action sanitaire et social (Fnass) peut ne pas s'avérer suffisante pour couvrir dans le temps l'ensemble des besoins d'aide à domicile*. De plus, elle n'est attribuée qu'aux personnes bénéficiant de la Sécurité sociale ou de régimes affiliés. Les artisans, les commerçants et les patients relevant de la mutuelle sociale agricole ne bénéficient pas de cette allocation. Lorsque ces limites personnelles ou contextuelles n'entravent pas l'accompagnement de la fin de vie à domicile, à l'inverse, certains aidants engagent toutes leurs ressources dans cet accompagnement au point d'épuiser prématurément leurs réserves et de se mettre eux-mêmes en danger. « Ils ne peuvent rien entendre et s'imposent, pour des raisons qui leur sont propres, d'aller jusqu'au bout de leur engagement », remarque Brigitte Lelut en ajoutant, avec un brin de désillusion dans la voix, qu'« en matière d'accompagnement en fin de vie, vouloir prévenir le "burn out" des aidants est souvent une gageure. »

* Cette allocation couvre la prise en charge de gardes malades à domicile et de prestations non remboursables au titre légal (accessoires pour incontinents, compléments alimentaires, nutriments pour sonde entérale). Elle est plafonnée et soumise à ressources et couvre 90 % des dépenses engagées. Pour plus d'informations : Circulaire Cnamts du 22 mars 2000 (Annexe 3 du programme national de développement des soins palliatifs 2002/2005) et site Internet (http://www.sante.gouv.fr).