APSP 84 : le réseau tisse sa toile - L'Infirmière Libérale Magazine n° 214 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 214 du 01/04/2006

 

Initiatives en réseau

L'Association pour les soins palliatifs de Vaucluse et cantons limitrophes (APSP 84) entame sa 4e année d'existence avec le même credo depuis sa création : promouvoir les soins palliatifs et assurer un accompagnement de qualité et de proximité, en institution et au domicile.

Qui aurait crû que le réseau de soins palliatifs APSP 84 interviendrait majoritairement à domicile ? Certainement pas les "institutionnels" à l'origine de sa création en 2002. En effet, l'Association pour les soins palliatifs de Vaucluse et cantons limitrophes(1) (APSP 84) a été initiée par l'Équipe mobile de soins palliatifs de l'hôpital d'Avignon, associée à des partenaires institutionnels, établissements sanitaires et associations d'accompagnants bénévoles, et financée par l'ARH et l'Urcam.

« L'objectif est de coordonner les soins palliatifs entre l'hôpital et le domicile ainsi que les structures "substituts" de domicile, comme les maisons de retraite. Or, suite à la forte demande des soignants libéraux, les actions du réseau ont lieu à plus de 9 % dans le cadre du domicile », explique Marie-Laure Thérond-Galtier, l'infirmière coordinatrice du réseau. À la satisfaction des soignants libéraux et des familles qui bénéficient du soutien du réseau ainsi que des expertises des autres professionnels "soins palliatifs" du département, équipes mobiles notamment. La pierre angulaire du réseau est sa coordination appelée Unité de coordination et de soutien (UCS) composée de 4 salariés : Stéphane Érat, médecin coordinateur, Marie-Laure Thérond-Galtier, infirmière coordinatrice, Béatrice Assouad, psychologue, et Virginie Di Rollo, secrétaire.

L'ESPRIT DES SOINS PALLIATIFS

Citant Cicely Saunders(2), « les soins palliatifs, c'est tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire », le Dr Érat précise que « les soins palliatifs sont avant tout une philosophie du soin. Ils s'inscrivent dans une démarche globale de prise en charge d'une personne malade dont nous allons considérer tous les aspects : biomédical, psychologique, social et spirituel. Ce ne sont pas les soins de l'agonie ».

Réseau ville-hôpital de soins palliatifs et d'accompagnement, l'APSP 84 aide à la continuité des soins palliatifs entre les différentes structures et le domicile, en s'appuyant sur l'existant, notamment les équipes libérales en place autour du malade. Il veille à faciliter l'organisation de la permanence des soins et permet une expertise soins palliatifs au domicile. Les professionnels des soins palliatifs ne pratiquent pas de soins et ne font pas de prescriptions, mais émettent des propositions qui s'inscrivent dans un projet de vie concerté entre le patient, sa famille et les soignants, et la plupart du temps, pour des patients atteints de cancer. « La cancérologie représente 80 % de notre activité, bien que la moitié de nos malades soient âgés de plus de 70 ans », remarque le Dr Érat, qui précise qu'au niveau national la moitié des patients cancéreux qui décèdent ont plus de 75 ans.

« La première fois que j'ai sollicité l'aide du réseau, c'était pour un patient atteint d'un cancer prostatique métastasé qui souffrait énormément et qui n'était pas calmé par le traitement prescrit par le médecin généraliste, se souvient Claudine Truc, infirmière libérale à Loriol du Comtat (Vaucluse), il savait qu'il était en fin de vie et sa demande était grande. J'ai parlé du réseau à ce patient et à sa famille en leur disant que je pourrais les faire se rencontrer. Pour cela, ils devaient en parler au médecin et, si ce dernier était d'accord, le dispositif pouvait se mettre en place. »

QUAND LE RÉSEAU INTERVIENT

Les infirmières libérales sont les premières à solliciter le réseau qui peut également être contacté par l'entourage du patient, professionnel ou non, et par le malade lui-même. Dans tous les cas, le réseau ne peut mener ses actions qu'avec le consentement du patient ou de son représentant, et l'accord du médecin traitant. Dans le but d'organiser le retour à domicile d'un patient, un service hospitalier ou une équipe mobile de soins palliatifs peut également faire appel au réseau. « La méconnaissance du terrain du domicile est grande pour le secteur hospitalier, s'étonne encore Marie-Laure Thérond-Galtier, ceci nous amène à gérer bien des situations en urgence, alors qu'une anticipation aurait permis une prise en charge plus sereine. » Pour cette infirmière libérale expérimentée (22 ans d'exercice) qui travaille toujours en cabinet, la connaissance du monde libéral est un formidable atout dans les liens qui se tissent autour de situations à domicile. Son DIU de soins palliatifs, son diplôme de sophrologue et sa formation d'aide à la relation, son implication dans l'accompagnement et sa fonction de secrétaire d'une association humanitaire tissent un patchwork de compétences utiles.

L'EXPERTISE À L'OEUVRE

Lorsque le patient est pris en charge par le réseau, les libéraux signent une convention et la charte précisant les principes du réseau sur les soins palliatifs. Le patient signe aussi "le document d'information des usagers", consentement à la mise en place du réseau permettant la transmission des données. Un libéral peut adhérer au réseau ponctuellement et pour un patient donné. Aujourd'hui, près de 200 infirmières et 60 médecins ont sollicité le réseau pour des problèmes médicaux (douleur non contrôlée) ou psycho-sociaux. Une fois sollicitée, l'UCS peut s'appuyer sur d'autres experts des soins palliatifs du département, ou, cas le plus fréquent, se rendre au domicile du patient où sont présents la plupart du temps son infirmière et son médecin. « J'ai été épatée qu'un médecin puisse prendre autant de temps à écouter un patient, raconte Claudine Truc au sujet du Dr Érat, en partant très "large" pour resserrer sur le problème, commençant par lui poser des questions sur sa famille, avant d'arriver au motif de sa présence, le tout durant une heure. » À l'issue de l'évaluation, le réseau fait des propositions thérapeutiques au médecin traitant, ce dernier restant maître de la prescription. Si parfois certains praticiens se sentent dépossédés d'un certain pouvoir, « en même temps, ils sont eux-mêmes en difficulté et je sens que ça les soulage », constate Claudine Truc. Et si une infirmière souhaite faire intervenir le réseau malgré un médecin réticent, « nous jouons le rôle du tiers au sein de l'équipe soignante du domicile, et dès qu'il y a un tiers, les choses s'améliorent. D'autant plus que nous présentons au médecin non seulement la facette médicale du réseau, mais aussi les facettes sociales et psychologiques, auxquelles ils ne peuvent pas toujours répondre », fait valoir Marie-Laure. Et si la réticence émane d'une infirmière, elle met tout de suite en avant sa fonction de libérale, « ça calme d'emblée le jeu. C'est un point énorme d'avoir le même quotidien, le même langage ». Lors d'une prise en charge, le réseau peut intervenir plusieurs fois pour un même patient, mais « nous ne sommes pas là pour faire des évaluations tous les jours. Nous ne sommes pas présents sur le terrain au quotidien », tient à préciser Marie-Laure.

S'ENRICHIR DEUX FOIS

L'autre versant du réseau est la formation et le souhait de diffuser les bonnes pratiques en soins palliatifs. S'il le souhaite, un professionnel peut s'investir davantage en participant aux réunions des différentes commissions techniques et aux formations du réseau. Il adhère alors à l'association APSP 84 pour la modique somme de 10 euros. Claudine Truc, adhérente de la première heure, a suivi la formation de base de 33 heures, et quelques formations spécifiques sur la thanatologie notamment. Le réseau organise deux sessions par an de 18 participants pour la formation de base et plusieurs formations spécifiques thématiques. Les "élèves" viennent de tous horizons : soignants libéraux ou hospitaliers, somatothérapeute, auxiliaire de vie, psychologue, kiné, la composition du groupe est choisie pour sa multidisciplinarité riche de rencontres et d'échanges. « J'aime beaucoup animer les groupes car cela me permet de rencontrer les gens et de tisser des liens avec eux. Nous avons des intervenants extérieurs, mais je suis le fil rouge », s'enthousiasme Marie-Laure. « On essaie aussi de panacher libéraux et hospitaliers. Seuls les libéraux sont indemnisés par le réseau à hauteur de 200 euros la journée et 60 euros la soirée. Au total, nous avons formé près de 350 personnes depuis 2003 », précise Virginie, la secrétaire qui a suivi la formation de base. On peut aussi s'impliquer en entrant dans une des sept commissions qui animent le réseau : évaluation, éthique, formation, scientifique et technique, coordination, communication et gérontologie. Claudine Truc participe à la commission "communication" qui a élaboré entre autres les plaquettes du réseau.

UN DONNANT-DONNANT

Si le réseau donne sans compter, le réseau n'hésite pas à solliciter les infirmières pour un patient qui n'a pas trouvé de cabinet infirmier pour les soins. « On s'aperçoit que ce sont toujours les mêmes, Claudine Truc, Marie-Danièle..., constate Marie-Laure, parce que ce sont des gens qui assurent. » Les libéraux peuvent appeler, pour une question ou un soutien. Ainsi cette infirmière, en charge d'une jeune patiente de deux ans atteinte d'un cancer, venait boire un café deux fois par semaine pour parler de ses difficultés. C'est d'ailleurs un souhait de Marie-Laure. Augmenter le temps de présence de la psychologue du réseau pour organiser des groupes de parole pour les infirmiers si seuls face à certaines détresses. « Quelle souffrance on se trimballe les uns les autres avec des fins de vie non digérées », soupire Marie-Laure. Son deuxième souhait : avoir plus de temps (encore faudrait-il trouver et embaucher une assistante sociale !) pour aller sur le terrain apprendre à ses consoeurs à évaluer la douleur et à mieux maîtriser les échelles d'évaluation. La douleur, c'est son credo, à Marie-Laure. « On ne doit plus voir sur un cahier de liaison "douleur +++". Une douleur s'évalue qualitativement et quantitativement », revendique l'infirmière. Son 3e souhait : généraliser les protocoles d'antalgiques « à l'instar de ce que les infirmiers font déjà pour l'insuline chez les diabétiques ». Le réseau a déjà fait un énorme pas en proposant aux médecins généralistes de rédiger eux-mêmes des prescriptions anticipées permettant aux infirmières de disposer de protocoles et de conduites à tenir en cas d'aggravation de l'état du patient : râles agoniques, dyspnée majeure ou carcinose péritonéale. « Les infirmières ont commencé à faire passer le message de l'évaluation de la douleur qui est de leur rôle propre. En accompagnement de fin de vie, qui est mieux placée que l'infirmière libérale pour anticiper les situations et cheminer avec le patient et son entourage jusqu'au bout ? », conclut Marie-Laure.

(1) Est du Gard, sud de la Drôme et de l'Ardèche, nord des Bouches-du-Rhône.

(2) Plus exactement, Thérèse Vanier, collaboratrice de Cicely Saunders (infirmière et médecin, pionnière des soins palliatifs dans les années 60).

Des financements en plus

- Le réseau peut proposer des dérogations tarifaires grâce à la DRDR (Dotation régionale des réseaux) à raison de 150 euros par patient, pour la prise en charge de consultations (psychologue, diététicienne, ergothérapeute...) pour le patient ou les aidants. Les libéraux qui interviennent sont payés directement par le réseau.

Le Fnass (Fond national d'aide sanitaire et sociale) permet le financement de matériel non LPPR ou de présence de garde-malade. Le réseau établit le certificat pour le patient, permettant la mise en place du Fnass qui sera géré par les prestataires de service intervenant.

Portrait

Marie-Danièle Pagès, 49 ans, responsable du Ssiad "ROMI" de Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), infirmière libérale depuis 28 ans.

Le regard vif, un caractère bien "trempé", Marie-Danièle Pagès est une bouillonnante infirmière à la curiosité insatiable. Formation en oncologie en 2000 à Grenoble, DU plaies et cicatrisations en 2002 à Montpellier, elle fait la formation du réseau APSP 84 dès sa création, comme un complément "naturel" à l'oncologie. « Certes, il y a la richesse des rencontres et la curiosité d'apprendre, mais je pense qu'il faut avoir suffisamment d'humilité pour remettre en question ses connaissances », affirme-t-elle. Et puis, il y a cette formidable aventure des réseaux. « Je pense que l'avenir de l'infirmière libérale est dans les réseaux », analyse Marie-Danièle. Fini le temps où l'on travaillait seule dans son coin. « Je me rappelle qu'on a tellement souffert de cette solitude, de cet isolement. Avec le réseau, on a la possibilité d'avoir quelqu'un au bout du fil pour un conseil. » Et pas n'importe qui ! Le fait que Marie-Laure Thérond-Galtier, l'infirmière coordinatrice du réseau, soit une libérale facilite la communication. Marie-Danièle ne tarit pas d'éloges : « C'est le bonheur ! Outre son franc-parler et sa générosité, Marie-laure connaît les problèmes du domicile et les difficultés rencontrées avec le médecin traitant. Elle connaît parfaitement la démarche de l'aidant et son regard extérieur m'a permis de comprendre certaines situations délicates. Elle m'a également sensibilisée à évaluer la douleur et à poser les bonnes questions. » Et Marie-Danièle répond aussi présente quand le réseau fait appel à elle lorsqu'il a du mal à trouver une infirmière. Et la toile s'agrandit...

Portrait

Samuel Tijon, 33 ans, infirmier libéral à l'Isle sur la Sorgue (Vaucluse) depuis 2002.

La mort, Samuel Tijon l'a côtoyée en réa et aux urgences ou comme pompier volontaire. Rien à voir avec sa première expérience au domicile malgré son expérience de deux ans en psychiatrie. Problème de communication face à une patiente "forteresse" qui cache la maladie à son fils, impossibilité de répondre à ses besoins puisque non dits, Samuel prend conscience de la complexité des soins palliatifs, tout en faisant l'apprentissage de la solitude du libéral : « J'ai compris que si je voulais progresser sur le plan professionnel et personnel, je devais aller chercher les compétences ailleurs et ne pas rester seul. » Samuel décide d'entreprendre la formation de base de l'APSP 84, « on modifie sa manière de fonctionner quand elle devient inconfortable, ajoute-t-il avec un sourire. Durant la formation, on aborde plusieurs thématiques avec différents intervenants : physiopathologie et prise en charge de la douleur, dimension psychologique de la personne mourante... » Désormais, il pense pouvoir faire une évaluation correcte de la douleur. « Avant, je pensais qu'à partir du moment où le patient était sous morphine, il était pris en charge. Or, j'ai appris qu'une douleur et son traitement s'évaluaient en permanence. » Mais le réseau, c'est aussi la possibilité de faire appel à une aide au cas où, « si le médecin n'est pas en mesure d'y répondre et si je pense que l'intervention d'une tierce personne est bénéfique, je les contacte. Le réseau n'est pas une tirette systématique. Je ne vais pas mobiliser inutilement des énergies en plus des nôtres (ndlr : celles de l'infirmier et du médecin), il faut que cela ait un sens ! ». S'il apprécie la possibilité de faire financer certains actes par le réseau (psychologue, auxiliaire de vie...), Samuel en connaît les limites : « Ils ne peuvent intervenir qu'avec l'accord du médecin. » Tout en pensant à une implication plus grande au réseau via les différentes commissions, Samuel a très bien perçu l'esprit du tissage de lien : « Le réseau, c'est nous, ceux qui en font partie. Nous sommes récipiendaires d'informations qu'il faut mettre en oeuvre. Si je ne suis pas en mesure de faire ce travail-là, parce que je ne l'ai pas enregistré, que je ne l'ai pas intégré ou que je n'en vois pas les applications concrètes, je ne vois pas l'intérêt d'être membre du réseau. »

Coordonnées du réseau APSP 84

- Réseau de soins palliatifs de Vaucluse et cantons limitrophes

- Adresse : Centre Hospitalier d'Avignon, 305, rue Raoul Follereau, 84902 Avignon cedex 9

- Tél/fax : 04 32 74 04 11

Des soins palliatifs organisés En France, plusieurs structures sont dédiées aux soins palliatifs (SP).

- Les Équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP)

L'EMSP est une équipe interdisciplinaire se déplaçant au lit du malade et/ou auprès des soignants, à la demande des professionnels de l'établissement de santé. Intervenant comme "consultant" auprès des soignants, elle ne pratique aucun acte de soins, ces derniers incombant au médecin du malade dans le service. Autres missions : formation, enseignement et recherche. Certaines interviennent à domicile. En 2003, il y a 226 EMSP en France, dont 4 dans le Vaucluse.

Les Unités de soins palliatifs (USP)

Elles sont constituées de lits totalement dédiés à la pratique des SP et de l'accompagnement, plutôt réservées aux situations complexes. Outre les soins, les USP ont une mission d'enseignement et de recherche, c'est pour cela qu'on les trouve essentiellement dans les CHU. Il existe aussi des "lits identifiés soins palliatifs" dans des services de court et moyen séjour à forte mortalité (pneumologie et hématologie surtout). Il y a 78 USP en France (772 lits) sur 39 départements ; 11 "lits identifiés" dans le Vaucluse (bientôt 17).

Les Réseaux de soins palliatifs (RSP)

Ils mobilisent et mettent en lien les ressources sanitaires et sociales sur un territoire donné autour des besoins d'une personne (orientation et coordination des soins de qualité) et offrent un environnement de compétences. Le patient choisit son lieu de soin (établissement ou domicile) tandis que le RSP optimise la prise en charge des différents acteurs, tout en pouvant coordonner les actions avec d'autres réseaux (douleur, gériatrie). Certains RSP sont inter-hospitaliers (coordonnent les transferts entre établissements et les mettent en lien), d'autres assurent la coordination des SP entre la ville et l'hôpital, enfin certains RSP sont mixtes (cas de l'APSP 84). À l'instar des EMSP, les RSP n'effectuent ni ne prescrivent des soins. Il y a 93 RSP en France, dont 1 en Vaucluse.

Le mouvement associatif

De nombreuses associations soutiennent les structures de SP et mettent à disposition des malades et des familles des bénévoles d'accompagnement formés pour un soutien. En France, il existe 175 associations avec 4 223 bénévoles.

Données chiffrées : source enquête SFAP, février 2003.