Richard Fradin : « L'engagement humanitaire, une plus-value pour les volontaires ! » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 214 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 214 du 01/04/2006

 

Interview

Ancien bénévole, Richard Fradin recrute aujourd'hui les équipes d'urgence pour la Croix-Rouge française. Son quotidien : répondre aux catastrophes naturelles comme le tremblement de terre au Pakistan ou le tsunami en Asie du Sud-Est.

À la Croix-Rouge, dans quels domaines intervenez-vous ?

Richard Fradin : Je m'occupe des urgences internationales, et plus précisément des ERU, les équipes de réponse aux urgences humanitaires. Nous envoyons des équipes, dont des équipes médicales, sur des catastrophes naturelles ou des déplacements de population, à la demande de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les différentes sociétés de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge dans le monde ont des équipes d'urgence prêtes au départ. Nous avons actuellement 53 personnes dans l'ERU médicale : des médecins, des techniciens médicaux, et 26 infirmiers et infirmières appelés à être déployés et à faire du soin.

Si l'on devait faire un portrait du volontaire, à quoi ressemblerait-il ?

Il n'y a pas vraiment de portrait type. Les infirmiers volontaires sont assez jeunes, la moyenne d'âge tournant autour de la trentaine. Beaucoup viennent du milieu associatif international : ils ont déjà effectué des missions, soit pour la Croix-Rouge internationale, soit pour des ONG. D'autres viennent du réseau national : ils sont infirmiers secouristes ou bien travaillent déjà dans des établissements de la Croix-Rouge. Enfin, un certain nombre arrive du libéral, sans formation spécifique ni expérience particulière, mais souhaite partir.

Justement sur le terrain, comment cela se passe-t-il pour eux ?

Ce sont des situations d'urgence : ils sortent donc du cadre infirmier tel qu'ils le connaissent en France. Ils ont plus de responsabilités qu'ils n'en auraient dans un établissement hospitalier, à savoir qu'ils font du soin mais aussi du diagnostic, avec évidemment la supervision d'un médecin, mais ils traiteront une grande partie des cas qui leur seront présentés. Il leur faut donc une certaine expérience du travail en France et les infirmiers ayant déjà effectué des missions internationales, que ce soit au sein de la Croix-Rouge ou d'organisations internationales type MSF, sont favorisés. Les gens avec une expérience terrain sont des gens que l'on sait adaptables à des conditions de travail différentes de celles qu'ils connaissent en France. Nous faisons une sélection sur dossier, puis ils sont formés et validés, avant d'être intégrés dans nos fichiers. Enfin, le jour où nous avons une opération d'urgence, nous les contactons et les équipes se forment ainsi.

Cela veut dire qu'une infirmière dans son cabinet doit être capable de partir rapidement ?

La durée de la mission d'urgence est assez courte : entre quinze jours et trois semaines. Une fois que nous nous sommes déployés, nous restons sur place en moyenne trois à quatre mois, voire plus ; il y a donc des rotations. Effectivement nous avons besoin d'un volant de personnel disponible immédiatement, les autres peuvent prévoir deux à trois semaines à l'avance leur remplacement.

Une catastrophe se produit. Que se passe-t-il alors pour les infirmiers qui partent en mission ?

Je précise que je m'occupe uniquement des équipes d'urgence, donc sur une durée très courte. Ensuite la mission est transférée soit à la Croix Rouge-Croissant Rouge locale, soit à la Fédération, soit éventuellement nous ouvrons une mission Croix-Rouge Française. Mais à partir de ce moment-là, cela ne me concerne plus ! Des salariés VMI (volontaires en missions internationales) prennent le relais. Ils sont là pour six mois, un an, voire plus, avec des programmes de développement plutôt que des programmes médicaux. Le déclenchement est simple : comme tout le monde, nous entendons qu'une catastrophe se produit. Rapidement les bilans deviennent de plus en plus lourds. Nous recevons alors une alerte de Genève (ndlr : siège de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) qui nous demande de donner la disponibilité de nos équipes. Nous appelons donc tous les gens qui sont dans les fichiers concernés, et nous faisons en quelques heures notre liste des volontaires prêts à partir. Dès ce moment, nous effectuons un choix pour former les équipes et nous attendons le feu vert de Genève. Enfin, en fonction de l'évaluation de la situation, des zones sont attribuées à telle ou telle société nationale avec son ERU.

Faut-il être assez débrouillard ou bien les infirmiers ne s'occupent que du volet soignant ?

Ce sont des équipes assez légères, au maximum dix personnes. Ce sont tous des gens de terrain habitués à gérer les situations d'urgence. Mais partent également des logisticiens, des spécialistes en télécommunications pour aider les équipes. Tout le monde doit mettre la main à la pâte. Il ne s'agit évidemment pas d'un hôpital mais d'un ensemble de tentes pour monter le dispensaire. Effectivement, il faut des profils assez rustiques, des gens capables de travailler et de dormir dans des conditions difficiles, de faire des choses qui ne sont pas strictement du domaine médical. Quand on arrive sur une situation d'urgence, c'est par définition le chaos : il faut faire les choses soi-même.

Que peut apporter l'humanitaire à une infirmière qui s'engage ?

Je dirais plutôt que nous recherchons ce que la personne peut apporter à l'humanitaire ou à l'action qu'elle entreprend. Maintenant, il est évident que la recherche d'engagement ou d'implication humanitaire, bien que ce soit un processus altruiste, est quelque chose de profondément égoïste. On va toujours chercher quelque chose dans l'engagement humanitaire : une réponse à une catastrophe se déroulant quasiment en temps réel sous nos yeux grâce aux médias, la possibilité d'apporter un élément de solution, même à une petite échelle. Il faut rester humble par rapport à l'aide que l'on apporte car on ne résout pas avec une équipe de dix personnes les problèmes d'un pays ; on ne sauve pas non plus des millions de vie. Simplement, on est dans une démarche active face à la catastrophe. Beaucoup de gens cherchent un sens à leur vie au quotidien, et c'est vrai que se confronter à un autre quotidien, se dire qu'on a une réelle plus-value dans telle ou telle situation est intéressant en démarche individuelle.

C'est ce que vous disent les infirmières qui rentrent ?

En général, elles nous demandent quand est-ce qu'elles repartent ! Il faut savoir qu'il y a quelque chose d'assez excitant dans ce type d'action : en quelques heures, on change de continent, de pays, de contexte. Généralement, on se retrouve dans une zone peu visitée en dehors des catastrophes. Il y a toute une démarche intellectuelle de remise en cause et d'adaptation pour s'accorder aux cultures locales. La première qualité qu'on demande, en dehors de la stabilité émotionnelle, c'est l'adaptabilité. Quand les soignants partent, ils sortent d'un cadre habituel, réglementé, parfois contraignant. Là, ils sont face à une palette de soins plus étendue que ce qu'ils font en France, que ce soit en libéral ou à l'hôpital, et surtout dans un contexte d'action sans commune mesure. Il y a une réelle plus-value du personnel médical dans ces situations-là. On parle vraiment de survie pour une partie de la population.

Richard Fradin en quelques dates-clés

1991 : Institut de formation à l'appui aux initiatives de développement

2002 : bénévole ERU Croix-Rouge

2003 : tremblements de terre en Algérie et en Iran

2004 : inondations en Haïti et évacuation des ressortissants français de Côte d'Ivoire tsunami en Asie

2005 : cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans. Chargé du recrutement ERU.