Dépression : améliorer la prise en charge - L'Infirmière Libérale Magazine n° 216 du 01/06/2006 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 216 du 01/06/2006

 

Formation continue

Prendre soin

Un Français sur six souffre de dépression, mais plus d'un sur deux ne bénéficie pas d'une prise en charge optimale. Si l'arsenal thérapeutique aujourd'hui disponible permet d'apporter une réponse personnalisée aux différents types de dépression, son efficacité reste directement liée à la qualité de l'alliance thérapeutique et de l'éducation des patients.

«La dépression se situe à l'épicentre de conflits psychologiques, de difficultés sociales et d'une vulnérabilité biologique. » Elle émerge lorsque le patient, fragilisé, n'est plus capable d'aménager des réponses appropriées aux situations de stress et aux tensions inhérentes à la vie quotidienne. Elle marque alors une rupture, une désadaptation temporaire du sujet avec son environnement.

PEUT MIEUX FAIRE

Les statistiques de morbidité, établis d'après les critères classiques de la classification internationale du DSM-IV et de l'OMS, indiquent qu'un individu sur cinq présente un risque de faire une dépression au cours de sa vie et qu'environ 6 % des Français, dont une majorité de femmes(1), souffrent d'une dépression caractérisée. Cela dit, ces chiffres semblent être sous-estimés puisque l'OMS indique que « 50 % des dépressifs authentiques ne sont pas diagnostiqués ». En outre, elle constate que « parmi ceux qui le sont, 5 % seulement recevraient un traitement ad hoc ». La marge d'amélioration de la prise en charge de la pathologie dépressive est donc importante. « Peut mieux faire », c'est aussi la conclusion à laquelle aboutit en substance l'Afssaps, selon laquelle « la dépression ne serait pas traitée dans plus d'un cas sur deux »(2). Si ces chiffres suscitent des discussions, force est d'admettre qu'ils reflètent globalement l'existence d'un déficit de prise en charge de cette pathologie, conviennent les spécialistes. « Cette situation résulte de la conjonction de plusieurs paramètres, explique le Pr Maurice Ferreri, chef des services de psychiatrie des hôpitaux Saint-Antoine et Tenon (AP-HP). En premier lieu, il est vraisemblable qu'un grand nombre de dépressions ne sont pas soignées parce que les sujets concernés ne consultent pas. » Certains considèrent en effet que les troubles somatiques dont ils sont victimes (fatigue, asthénie) expliquent leur tristesse, leur manque de goût, leur repli social. D'autres ne consultent pas parce qu'ils ont honte de reconnaître qu'ils sont fatigués, mal dans leur peau et anormalement tristes. « Ensuite, ajoute le spécialiste, parmi les patients qui consultent, certains présentent des tableaux extrêmement trompeurs (insomnie persistante, douleurs abdominales...) qui égarent le diagnostic. » Lorsque la dépression est diagnostiquée et traitée, il y a également ceux pour lesquels la prescription est inadaptée. Les études réalisées par l'Observatoire national des prescriptions et consommations de médicaments (ONPCM)(3) montrent en effet qu'au-delà des imprécisions diagnostiques (environ 20 % des patients sous antidépresseurs ne présentent aucun diagnostic psychiatrique caractérisé signalé), la prescription inappropriée des médicaments psychotropes semble être relativement fréquente en pratique courante. Ainsi, 40 % des consommateurs d'anxyolitiques et d'hypnotiques ont une consommation régulière de ces médicaments alors qu'elle devrait (le plus souvent) être occasionnelle selon les recommandations médicales. De même, 30 % des consommateurs d'antidépresseurs bénéficient de remboursements ponctuels alors que le traitement devrait être suivi et renouvelé durant six mois. Enfin, pour ceux qui sont traités à bon escient, l'inobservance reste un problème majeur puisque 70 % arrêtent leur traitement prématurément avant six mois. Autant dire qu'entre le mésusage et l'inobservance, il y a matière à améliorer la prise en charge. Cela passe par une meilleure utilisation des traitements, mais aussi par le renforcement de l'alliance thérapeutique.

OPTIMISER L'USAGE DES TRAITEMENTS

La prise en charge des patients dépressifs dispose aujourd'hui d'un arsenal thérapeutique très large comprenant à la fois des traitements médicamenteux et des approches non médicamenteuses : thérapies cognitivo-comportementales, psychanalyse, relaxation, techniques d'affirmation de soi, luminothérapie, sismothérapie. Ces traitements doivent être utilisés et associés en tenant compte des recommandations préconisées par l'Afssaps. Celles-ci ont fait l'objet de mises au point récentes(4), suite à la mise en évidence d'un risque de comportement suicidaire et/ou hostile associé à l'utilisation chez l'enfant et l'adolescent de certains antidépresseurs (ISRS notamment). « Contrairement aux adultes, la dépression de l'adolescent se caractérise par une agitation, une hostilité à l'environnement, un comportement d'opposition et/ou une tension extrême. Dans ce contexte, les antidépresseurs stimulants augmentent les phénomènes de nervosité et d'irritabilité et potentialisent le risque de passage à l'acte. Raison pour laquelle ils sont déconseillés avant 18 ans. » Dans ce cas, la prise en charge est avant tout psychologique et psychothérapique. En cas d'échec, il est possible d'y associer un traitement antidépresseur sous contrôle d'un spécialiste. Chez l'adulte présentant une dépression caractérisée modérée ou sévère, la prescription d'un antidépresseur s'impose mais doit impérativement s'inscrire dans une relation thérapeutique. « Il est très important de consacrer du temps aux explications et de reprendre avec le patient les éléments qui fondent le diagnostic et imposent la prescription des antidépresseurs, indique le Dr Alain Gérard (hôpital Saint-Anne, Paris)(5). Cette étape permet au patient d'intérioriser la démarche et de mieux accepter le traitement. » Face à des symptômes moins caractérisés ou transitoires (réaction, à un deuil par exemple), il est recommandé d'apporter d'emblée un soutien psychologique et de revoir le patient rapidement pour suivre l'évolution des symptômes et juger de la nécessité d'instaurer un traitement antidépresseur. « Le patient doit comprendre que la prescription d'antidépresseurs n'est pas une solution de facilité mais qu'elle fait l'objet d'une recherche commune et approfondie pour optimiser la prise en charge », ajoute le médecin. Actuellement, tous les médicaments sont à peu près équivalents en termes d'efficacité et conduisent à une amélioration nette et franche en trois à quatre semaines dans un tiers des cas. Un tiers des patients ressentent une amélioration moyenne et 20 % sont en échec. En cas d'amélioration nette ou modérée, le traitement est poursuivi à dose équivalente durant cinq mois (traitement d'entretien). Si l'évolution n'est pas satisfaisante, le dosage peut être augmenté ou le médicament changé. En phase aiguë, il peut être nécessaire d'y associer un anxiolytique si le patient est très angoissé ou un hypnotique en cas de troubles du sommeil invalidants. Ceux-ci doivent être prescrits sur un délai court, pour couvrir la période tampon durant laquelle les antidépresseurs ne sont pas encore efficaces.

RECHUTES ET TRAITEMENT PROPHYLACTIQUE

Lorsque le traitement est bien conduit et bien observé, la rémission des symptômes dépressifs et la disparition de leurs retentissements sur le fonctionnement social, professionnel, familial et sexuel ne mettent pas le patient définitivement à l'abri d'une rechute. En effet, « la dépression est une maladie à dimension récurrente, ce qui signifie que la récidive fait partie de l'évolution habituelle de la maladie variable en fonction du contexte environnemental, indique le Pr Ferrerri. Une spécificité qui a conduit les experts à poser l'indication d'un traitement prophylactique à partir de la troisième rechute rapprochée en cas de dépression isolée ou dès la deuxième rechute en cas de dépression familiale récidivante avérée. » Dans ce cas, le traitement prophylactique fait appel aux antidépresseurs. En revanche, si la récidive prend la forme d'une dépression bipolaire ou maniaco-dépressive(6), un traitement prophylactique est mis en place dès le premier accès maniaque franc. Dans ce cas, le traitement est beaucoup plus long car il s'agit d'une maladie à dimension génétique. La composante biologique étant plus importante, la protection par la poursuite d'un traitement prophylactique s'impose. On utilise dans ce cas un normothymique (Lithium®) ou un antiépileptique. Ces traitements abaissent le niveau de sensibilité des neurones et leur seuil de réactivité (« je me sens légèrement émoussé », « j'ai une réaction moins forte aux émotions », expliquent les malades), ce qui a pour effet de réduire les accès dépressifs et maniaques en partie réactionnels à l'environnement. Dans tous les cas, le traitement prophylactique doit être associé à un accompagnement psychothérapique.

Si le succès de la prise en charge dépend pour partie de l'adéquation du traitement à l'intensité et à la nature des symptômes prédominants, il tient aussi de la manière dont le patient va se prendre en charge lors de l'épisode inaugural ou de la récidive.

ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE ET ÉDUCATION

À ce titre, il en va de la dépression comme des maladies chroniques. Obtenir l'adhésion du patient passe par l'éducation et l'efficacité de l'éducation, par la qualité de l'alliance thérapeutique. « L'alliance thérapeutique caractérise la relation de confiance entre le patient et son médecin. Elle résulte de la manière dont le patient perçoit les qualités relationnelles et la compétence du médecin. Compte tenu du risque vital associé aux états dépressifs(7) et de la fréquence des récidives liées à un arrêt intempestif ou à un mauvais respect des prises (50 % des dépressifs font une rechute dans les deux ans et 70 % récidivent dans les cinq ans), l'alliance thérapeutique et la psychoéducation jouent un rôle déterminant sur l'observance des traitements et des recommandations d'usage. Elles reposent sur l'écoute bienveillante, l'information et la disponibilité du soignant. En pratique, la prescription doit être précédée d'explications sur la maladie et le traitement puis accompagnée de commentaires concernant le bon usage des médicaments. Cette approche "pédagogique" a pour but de rassurer les patients inquiets, voire hostiles, à l'idée de prendre un traitement antidépresseur, mais aussi de convaincre les patients incrédules qui se demandent : à quoi bon prendre un médicament ? « Il est important de prendre le temps d'expliquer et de répéter si nécessaire, insiste le Pr Ferreri. Car le patient doit comprendre que le traitement ne va pas régler les problèmes et les difficultés auxquels il est confronté, mais va le rendre moins vulnérable aux événements et aux émotions et lui donner la capacité de trouver et mettre en oeuvre des stratégies d'adaptation pour les affronter. Il faut également s'assurer que l'entourage du patient le comprend et peut l'aider en lui manifestant durablement de l'attention, de la bienveillance et de l'écoute. » Aider une personne déprimée à se faire soigner, c'est d'abord être convaincu soi-même que la dépression existe et qu'il est possible de la soigner. Au-delà du patient, la psycho-éducation doit donc aussi s'adresser à son entourage immédiat. Une mission qui implique les médecins mais également le personnel infirmier. « Aujourd'hui, l'accompagnement psycho-éducatif constitue l'une des clés de la prise en charge des patients dépressifs », conclut le Pr Ferrerri. Une dimension longtemps négligée, dont tous les acteurs de santé de proximité doivent aujourd'hui prendre conscience, car elle est incontournable pour optimiser la performance des traitements et améliorer la prise en charge globale, notamment psychologique, des patients dépressifs.

(1) Les femmes présentent deux fois plus de dépressions caractérisées que les hommes. De même, les sujets séparés ou divorcés sont significativement plus souvent déprimés avec un risque plus marqué pour les hommes dans ce cas. Une CSP privilégiée diminue la probabilité de dépression caractérisée (source : ONPCM).

(2) Source : Joubert Hélène, La dépression reste sous- traitée, IMH n° 104, janvier 2005 .

(3) Source : étude sur la consommation et les pratiques de prescription des médicaments psychotropes. Disponible sur le site de l'Assurance Maladie (http://www.ameli.fr), rubrique Connaître l'Assurance Maladie/Publications.

(4) Bon usage des antidépresseurs chez l'adulte, avril 2005 ; Bon usage des antidépresseurs chez l'enfant et l'adolescent, février 2006. Documents disponibles sur le site de l'Afssaps : http://www.afssaps.fr

(5) Source : Bruet Ferréol Chantal, Le bon usage des traitements antidépresseurs, IMH n° 138, novembre 2005.

(6) Le premier épisode dépressif peut être suivi d'une rechute maniaque (on parle alors de dépression maniaco-dépressive) qui se manifeste par une excitation, une agitation et une assurance sans fondement. Cet état euphorique appelé état maniaque conduit à des comportements inhabituels, des dépenses inconsidérées, des attitudes inadaptées souvent gênantes ou déplacées. Incontrôlable, cet état ne permet pas de s'adapter à l'environnement et entraîne de graves conséquences professionnelles, sociales et familiales. D'origine génétique, le risque d'être soi-même atteint par une dépression maniaco-dépressive est de 10 % lorsqu'un ascendant est atteint par la maladie.

(7) Un tiers des tentatives de suicide et 70 % des suicides aboutis sont consécutifs à un état dépressif.

La dépression sous toutes ses formes

- L'épisode dépressif caractérisé

Actuellement, le diagnostic de dépression peut être posé devant tout épisode dépressif "caractérisé" d'intensité mineure, modérée ou sévère, répondant aux critères établis par la classification du DSM-IV*. Selon cette classification, au moins 5 des symptômes suivants doivent être présents pendant une même période d'une durée de deux semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est soit une humeur dépressive, soit une perte d'intérêt ou de plaisir.

1. Humeur dépressive (pleurs) présente pratiquement toute la journée et presque tous les jours

2. Diminution marquée de l'intérêt et du plaisir pour toutes les activités ou presque

3. Perte ou gain pondéral significatif en l'absence de régime (> 5 % en un mois) ou diminution ou augmentation de l'appétit

4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours

5. Agitation ou ralentissement psychomoteurs presque tous les jours

6. Fatigue ou perte d'énergie presque tous les jours

7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée

8. Diminution de l'aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours

9. Pensées de mort et idées suicidaires récurrentes

- Les autres formes de dépression

Toutes les études épidémiologiques concernant la dépression retiennent cette définition. Les dépressions dites "réactionnelles" font partie des dépressions caractérisées dont l'origine peut être clairement identifiée. En revanche, les dépressions mineures ou dysthymie (elles sont marquées par une tristesse chronique et des perspectives négatives), constituent une entité à part et sont souvent mal ou non repérées. Quant aux dépressions saisonnières, elles se manifestent par des réactions atypiques, un renversement des symptômes (boulimie, sommeil lourd mais non réparateur) et des critères non caractérisés limités dans le temps (en moyenne quatre mois de novembre à mars).

* Classification par catégorie des troubles mentaux fondée sur un ensemble de critères avec des propriétés définies. Elle est produite par l'Association Psychiatrique américaine.

La luminothérapie

- Utilisée dans le traitement des dépressions saisonnières, la luminothérapie consiste à s'exposer à la lumière d'une lampe qui reproduit la lumière du jour sans les ultraviolets. Les femmes, particulièrement exposées aux dépression saisonnières (elles représentent 90 % des cas), doivent utiliser ces lampes quotidiennement durant toute la période d'hiver (4 mois) à raison d'une heure et demi à deux heures par jour. Compatible avec une activité professionnelle, ce traitement procure un confort, un élan vital et une meilleure aptitude au travail aujourd'hui bien documenté.

La sismothérapie

- Mieux connue sous le terme d'électrochoc, la sismothérapie a une mauvaise réputation mais est très efficace dans des indications précises. Elle est réservée aux mélancolies graves très délirantes pour lesquelles les traitements psychotropes ne marchent pas ou aux dépressions résistantes pour lesquelles le risque vital est important. C'est un traitement extrêmement bien supporté par le cerveau. Il est réalisé sous anesthésie générale au curare (évite les convulsions) à raison de 8 à 12 séances programmées 1 jour sur 2. L'anesthésie générale dure quelques secondes, juste le temps de provoquer l'électrochoc.

Ce qu'il faut dire aux patients dépressifs

- Le traitement de la dépression est long mais efficace à condition de respecter les règles suivantes.

-> Prendre son traitement tous les jours et respecter la posologie prescrite et les horaires des prises des médicaments. Certains favorisent la somnolence et doivent être pris le soir, tandis que d'autres, stimulants, doivent être absorbés le matin.

-> Poursuivre le traitement sans se décourager car l'apparition des effets thérapeutiques est progressive et n'intervient qu'après 15 jours à 3 semaines.

-> Les traitements actuels sont très efficaces et associés à moins d'effets secondaires (constipation, hypotension, sécheresse buccale, prise de poids modérée). Lorsqu'ils surviennent, ces effets secondaires sont généralement transitoires. S'ils sont gênants, il convient de prévenir le médecin et de ne prendre aucune initiative sans avis médical.

-> Même en cas d'amélioration très nette, ne pas arrêter le traitement. Celui-ci doit durer six mois pour consolider l'amélioration et limiter les rechutes.

-> Ne jamais arrêter le traitement brutalement. Le sevrage doit être progressif en diminuant les doses sur une période de 6 à 8 semaines par paliers.

-> Mettre en garde quant à la conduite automobile en cas d'effet sédatif des médicaments prescrits.

-> Alerter immédiatement le médecin en cas d'idées suicidaires.

Pour en savoir plus

- La dépression, Philippe Nuss, Maurice Ferreri - Paris, Bash 2001.

- Je suis déprimé mais je me soigne, Henri Loô et Henri Cuche - Fixot.

- Vivre des hauts et des bas, Jean Alain Génermont, Christian Gay - Hachette Littératures.

- Le diable intérieur, anatomie d'une dépression, Andrew Solomon - Albin Michel.

- Le miroir de Janus. Comprendre et soigner la dépression et la maladies maniaco-dépressive, Sami-Paul Tawi - Lafont, 2002.

- La dépression au féminin, Maurice Ferreri, Florian Ferreri, Philippe Nuss, John Libbey, 2003.