Épilepsie : prévenir l'exclusion - L'Infirmière Libérale Magazine n° 216 du 01/06/2006 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 216 du 01/06/2006

 

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Impressionnante par ses manifestations, l'épilepsie suscite de nombreux fantasmes et préjugés entraînant stigmatisation et rejet. D'où l'intérêt de percer les mystères de cette maladie mal connue pour prévenir par l'information et l'éducation, les réactions péjoratives à l'égard de ces malades. Un rôle infirmier à développer.

La crise d'épilepsie fait peur, elle effraie celui qui la voit et isole celui qui la vit. Un héritage de longue date que les progrès des connaissances scientifiques et médicales ne parviennent que très lentement à faire évoluer. Contrairement aux autres maladies, la personne souffrant d'épilepsie est perçue non pas comme une victime mais comme une présence dérangeante. L'aspect déroutant des crises pour celui qui méconnaît cette maladie a fait naître des représentations irrationnelles (l'épileptique est parfois perçu comme "fou" ou "habité"), des idées reçues et des fantasmes péjoratifs entraînant, par ricochet, un rejet des malades. Un constat qui, largement évoqué lors des Journées nationales de l'épilepsie (18 au 24 octobre 2004), finit par confiner les malades au silence et à l'anonymat tellement l'évocation et l'imagerie associées à cette maladie sont stigmatisantes. « Pour mieux vivre avec cette maladie nous avons avant tout besoin de nous sentir mieux acceptés, confirme Valentine G. une jeune femme épileptique de 27 ans. Contrairement à d'autres maladies chroniques, nous nous sentons contraints de cacher que nous sommes épileptiques pour ne pas nous exposer à des réactions blessantes ou nous voir interdire des activités ou des postes de travail. En fait, l'ignorance générale et les préjugés nous font vivre dans une semi-clandestinité absurde qui nous gâche la vie. » De fait, une étude réalisée auprès de 200 000 personnes à l'initiative de plusieurs associations de malades montre qu'un patient épileptique sur deux tait son état en entreprise par peur de l'exclusion. « Plus que la maladie elle-même, les conséquences socio-professionnelles et la marginalisation qui en résultent sont souvent plus mal vécues par les patients », observe le Dr Arzimanoglou, neurologue (hôpital Robert-Debré, Paris, AP-HP), président de la Société européenne de neurologie pédiatrique et vice-président de la Ligue française contre l'épilepsie. Raison pour laquelle, le 26e Congrès organisé par la Ligue internationale contre l'épilepsie (Palais des congrès, 28 août au 1er septembre 2005) s'est particulièrement intéressé à cette problématique et a mis en avant la nécessité de combattre l'ignorance souvent à l'origine du rejet et de la stigmatisation. « Il est important, précisaient les organisateurs de cette manifestation, de rompre le silence de l'incompréhension, et de tordre le cou aux idées reçues. Cela implique de faire connaître la maladie et de sensibiliser l'opinion au problème douloureux de l'exclusion vécue par ces malades. » Un objectif qui passe, entre autres, par la formation du personnel soignant et l'éducation grand public pour changer les regards et améliorer la solidarité et la compréhension envers ces individus en souffrance. Une démarche d'autant plus nécessaire qu'une personne sur dix est susceptible de faire au moins une crise d'épilepsie au cours de son existence et que, chaque jour, 100 personnes sont affectées par une première crise qui, une fois sur deux, inaugure une maladie épileptique.

L'ÉPILEPSIE, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Le terme épilepsie vient d'un verbe grec, epilambaneim qui signifie "prendre par surprise". C'est une affection du système nerveux central fréquente (la plus fréquente après la migraine) dont le principal symptôme, la crise épileptique ou crise comitiale, résulte de l'hyperexcitabilité subite, transitoire (de quelques secondes à quelques minutes) et anormalement intense d'un groupe de neurones ou de l'ensemble du cortex cérébral. Il existe près de 50 formes d'épilepsies associées à des manifestations diurnes ou nocturnes extrêmement variées d'une forme à l'autre : troubles de la conscience, convulsions, illusions perceptives, chutes, automatismes gestuels, simple arrêt de l'activité, pertes urinaires... Les épilepsies sont regroupées en deux grandes familles : celle (30 % des cas) où prédominent les crises généralisées (la décharge concerne les deux hémisphères) et celle (environ 60 % des épilepsies) où les crises sont focales (il existe un point de départ cortical identifiable).

Les crises généralisées peuvent prendre des formes très différentes :

-> les crises tonico-cloniques : elles sont associées à une perte de conscience avec chute, mouvements convulsifs et risque de morsures de la langue ;

-> les absences : elles se manifestent par une brève rupture de contact (quelques secondes) se traduisant par une fixité du regard ou une révulsion des yeux, des battements de paupières. Elles se répètent d'une manière fréquente au cours de la journée ;

-> les myoclonies : il s'agit de secousses brèves d'un ou des quatre membres pouvant entraîner une chute ;

-> les crises toniques (accès de raideur et/ou atonie avec chute). Crises principalement observées dans certaines formes graves d'épilepsie de l'enfant.

Les crises partielles ou focales : elles peuvent se traduire par des troubles moteurs, sensoriels et/ou sensitifs et des troubles de la mémoire ou de la conscience. Dans certains cas, les crises partielles peuvent évoluer en crises généralisées tonico-cloniques. La reconnaissance du caractère focal d'une crise, la description précise des premiers signes visibles par l'entourage ou ressentis par le patient, sont d'une importance capitale pour l'identification de la région cérébrale génératrice des crises.

AUX EXTRÊMES DE LA VIE

Si cette maladie peut apparaître à tout âge, elle survient plus fréquemment aux périodes extrêmes de la vie. Plus de la moitié des différentes formes d'épilepsies débutent pendant l'enfance, parfois dès les premiers jours de la vie. Cette période est particulièrement propice à l'apparition des crises car la maturation cérébrale n'est pas terminée (elle n'est acquise qu'à l'adolescence). Certains syndromes sont propres au nourrisson (syndrome de West), d'autres aux enfants d'âge scolaire entre 3 et 13 ans (épilepsie partielle rolandique) ou encore aux adolescents (épilepsie myoclonique juvénile). Les épilepsies se manifestant par des crises focales peuvent débuter à tout âge. Entre 20 et 60 ans, la fréquence de la maladie diminue pour augmenter à nouveau chez les personnes âgées. Outre la vulnérabilité liée à l'atrophie cérébrale sénile, des lésions consécutives à des maladies vasculaires, dégénératives ou tumorales peuvent également être responsables d'épilepsie tardive. Néanmoins, près de la moitié des épilepsies de la personne âgée restent sans cause retrouvée.

UNE CAUSE PARFOIS INCONNUE

Globalement, l'origine des crises est identifiée dans un peu plus d'un cas sur deux. Jusqu'à ces dix dernières années, au-delà des épilepsies symptomatiques et constitutionnelles (génétiquement programmées)(1) dont on connaissait les causes, l'origine de nombreuses épilepsies restait inconnue. « Grâce aux progrès des moyens d'investigation par imagerie (notamment IRM), l'étiologie de beaucoup de ces épilepsies "cryptogéniques" est aujourd'hui identifiée, commente le Dr Arzimanoglou. C'est notamment le cas des épilepsies résultant d'anomalies du développement cortical dont on ne pouvait identifier la cause qu'à l'examen post-mortem il y a une quinzaine d'années. » L'électro-encéphalogramme (EEG) de veille ou de sommeil reste une investigation indispensable pour la caractérisation d'une épilepsie (analyse du rythme de fond, recherche d'anomalies focales ou généralisées, enregistrement de crise). Certaines formes d'épilepsie ont des patterns EEG caractéristiques, ce qui facilite leur identification. L'EEG permet également d'apprécier l'évolution de l'épilepsie tout au long de la prise en charge.

PRISE EN CHARGE ET TRAITEMENTS

Dans la mesure où il n'existe pas actuellement de médicaments antiépileptogènes (capables de prévenir l'épilepsie), l'objectif des traitements antiépileptiques consiste essentiellement à contrôler les symptômes en inhibant l'initiation et/ou la propagation d'une décharge cérébrale électrique responsable des crises. « Depuis que l'on sait mieux diagnostiquer les différents syndromes épileptiques, ajoute le neurologue, on s'est rendu compte que certains médicaments à spectre large peuvent être utilisés pour toutes les formes d'épilepsies, mais que d'autres (Tégrétol® ou Sabril®, par exemple) doivent être limités à certaines formes d'épilepsies car ils peuvent avoir un effet aggravant sur certains symptômes (myoclonies dans ce cas). » L'adéquation du traitement au type de crise est donc une affaire de spécialiste. D'autant qu'il faut également tenir compte de certains critères particuliers tels que le sexe (les inducteurs enzymatiques sont contre-indiqués chez la jeune fille), l'âge (le risque de troubles cognitifs ou de somnolence n'est pas le même pour tous les antiépileptiques), ou encore la présence d'une maladie métabolique ou neurologique de fond.

MONOTHÉRAPIE VERSUS BITHÉRAPIE ?

Actuellement, le principe de prescription qui prévaut consiste à privilégier en première intention une monothérapie dont on augmente progressivement les doses de manière à atteindre le maximum d'efficacité en évitant les effets indésirables (fatigue, ralentissement psychique, allergie cutanée, chute de cheveux, modification du poids, perturbation biologique...). Les études récentes ont montré qu'une épilepsie correctement diagnostiquée sous monothérapie bien ciblée était contrôlée dans plus de 50 % des cas et qu'en cas de résistance au traitement, l'adjonction d'un deuxième médicament n'améliore l'efficacité du traitement que de 13 %. Raison pour laquelle la monothérapie prévaut en première intention car il n'y a pas de justification, en termes d'efficacité, d'augmenter le risque d'effets indésirables en prescrivant une bithérapie d'emblée. Cela dit, tous les spécialistes s'accordent sur le fait que les traitements actuels offrent non seulement un plus large éventail de solutions thérapeutiques que dans les années 1980 (il se limitait schématiquement à la phénytoïne et au phénobarbital), mais présentent également l'énorme avantage d'être beaucoup mieux tolérés. « S'il est difficile de dire que l'on a gagné en efficacité absolue car le nombre de malades résistants aux traitements reste plus ou moins le même, confirme le Dr Arzimanoglou, il ne fait aucun doute que nous disposons aujourd'hui d'un arsenal thérapeutique offrant une meilleure couverture des syndromes épileptiques mais aussi une meilleure qualité de vie aux patients directement liée à la réduction des effets indésirables. » Un paramètre très important car il influence également l'observance du traitement, point critique pour assurer un bon contrôle des crises. La possibilité d'arrêter définitivement un traitement antiépileptique ayant contrôlé l'épilepsie d'un patient doit faire l'objet d'une évaluation spécialisée qui tiendra compte du type d'épilepsie, des données de l'EEG, de la présence ou non d'une lésion cérébrale ou d'une maladie neurologique de fond et de la profession du patient.

EN PRATIQUE

Les antiépileptiques sont à l'épileptique ce que l'insuline est au diabétique insulinodépendant. Prendre ses médicaments de façon très rigoureuse est une condition sine qua none pour bien contrôler les crises d'épilepsie. « En soi, un oubli ponctuel n'a généralement pas de conséquence si l'épilepsie est bien équilibrée », indique le spécialiste. Toutefois, l'oubli modifiant le métabolisme du médicament, il est préférable d'être discipliné et de prendre régulièrement son traitement matin et soir. L'utilisation d'un semainier est vivement conseillée car elle permet de visualiser très vite l'oubli. Certains antiépileptiques à libération prolongée permettent de réduire le nombre de prises. Cependant, les neurologues préfèrent souvent répartir la dose en deux prises (matin et soir de préférence), ce qui permet en cas d'oubli le matin de ne se priver que d'une partie du traitement. Dans ce cas, on peut conseiller de prendre la moitié de la dose oubliée au moment où l'oubli est constaté et de prendre normalement la prise du soir. Si les crises persistent malgré un traitement bien conduit, l'épilepsie est dite pharmacorésistante(2). L'échec de 2 ou 3 médicaments est un signe fort de résistance aux traitements médicamenteux. Sur les 500 000 épileptiques dénombrés en France, 120 000 à 150 000 (30 %) sont réfractaires à tout traitement médicamenteux. Cette pharmacorésistance doit rapidement s'orienter vers une solution neurochirurgicale (curative ou palliative) ou vers la mise en place d'un stimulateur du nerf vague (cf. Fiche technique pp. 35-36) dont il faut informer les patients. Un rôle d'information que les infirmiers doivent prendre en compte dans le cadre de la mission d'éducation qui leur incombe. Celle-ci, au delà des questions pratiques suscitées par les traitements, recouvre de nombreuses autres interrogations concernant, entre autres : la conduite à tenir en cas de crise (cf. Fiche technique pp. 35-36), la scolarisation des enfants épileptiques (classes spécialisées, insertion en milieu scolaire ordinaire, contacts avec les infirmières scolaires et les médecins scolaires), l'emploi (relation avec les médecins du travail, emplois déconseillés), le travail sur ordinateur (seules les épilepsies photosensibles contre-indiquent l'utilisation de l'ordinateur)(3), la conduite automobile (réglementation, obligations légales, enjeux), la contraception (certains médicaments antiépileptiques réduisent l'efficacité des contraceptifs, d'autres sont à éviter si possible en cas de projet de grossesse), ou encore les risques liés aux crises durant la grossesse. « On n'insistera jamais assez sur le rôle capital que peuvent jouer les infirmiers en matière de diagnostic, d'accompagnement et de soutien des patients épileptiques, conclut le Dr Arzimanoglou. Ce rôle reconnu Outre-Manche a donné lieu à la création des "Epilepsy Nurses". Ces infirmiers formés à la pathologie connaissent parfaitement les différents syndromes, les traitements, les effets secondaires des médicaments ; ils savent conseiller les patients au cas par cas sur toutes les questions qui se posent à eux au quotidien ; ils assurent la coordination avec les professionnels de santé en milieu scolaire et professionnel ; ils rassurent, réconfortent, encouragent, contribuant ainsi à une meilleure insertion des malades dans la vie de la cité. » Un travail de "réhabilitation" de l'épilepsie aussi important pour les patients que le traitement lui-même. « Lorsqu'on vit depuis toujours avec cette maladie, commente Valentine, on peut s'accommoder de faire quelques crises de temps à autres (surtout lorsqu'elles sont essentiellement nocturnes) car on apprend à les gérer et on finit par assumer les contraintes (prises quotidiennes de médicaments, hygiène de vie...) qu'elles nous imposent. En revanche, on n'assume jamais l'image que nous renvoient les autres, ni le regard méfiant, voire le rejet engendré par les crises et l'incompréhension. C'est avant tout cela qu'il faut changer car, de toute évidence, la vie de nombreux épileptiques serait beaucoup plus heureuse s'ils étaient entourés, quoi qu'il arrive, de compréhension, de gentillesse et d'attention. » Une conclusion en forme d'appel à l'aide que tous les soignants peuvent relayer dans le cadre de leur rôle d'éducateur en santé.

(1) Les épilepsies constitutionnelles ou idiopathiques regroupent, entre autres, les absences de l'enfant, l'épilepsie à paroxysmes rolandiques et l'épilepsie myoclonique juvénile.

(2) Ces épilepsies ont fait l'objet d'une conférence de consensus : Prise en charge des épilepsies partielles pharmacorésistantes, avril 2004, disponible sur le site de la HAS (http://www.anaes.fr), rubrique Publications.

(3) Tous les EEG se terminent par une stimulation lumineuse intermittente qui permet de déterminer si le patient est sensible à telle ou telle fréquence lumineuse qui déconseille l'utilisation de l'ordinateur, des PlayStation et autres des jeux vidéos ou encore les lumières thromboscopiques des boîtes de nuit, entre autres.

Les épilepsies symptomatiques

- Elles sont provoquées par une cause identifiable qui peut être :

-> une maladie s'exprimant, entre autres, par des crises d'épilepsie (Sclérose tubéreuse de Bourneville par exemple),

-> une lésion congénitale présente avant la naissance (malformations cérébrales, anomalie chromosomique, séquelles de maladie infectieuse type toxoplasmose, rubéole ou herpès, séquelles de maladie métabolique),

-> une séquelle d'accident néonatal (asphyxie ischémique, hypoglycémie, hypocalcémie),

-> une lésion consécutive à une maladie ou un traumatisme survenant à tout âge de la vie : méningo-encéphalite, traumatisme crânien, tumeur bénigne ou maligne, AVC, alcoolisme sévère.

- Ces lésions peuvent être localisées, étendues, voire généralisées.

Pour en savoir plus

- Les références de nombreux ouvrages sont disponibles sur les sites des différents organismes ou associations rattachés au Comité national pour l'épilepsie (http://www.epilepsie-comite.fr). Voir aussi le site de la Ligue française contre l'épilepsie (http://www.lfce-epilepsies.org).

- Il est également possible de prendre contact avec les associations de patients :

1. Epilepsie-France

133, rue Falguière, bâtiment D, 75015 Paris-F - Tél./fax : + 33 (0)1 53 80 66 64

Site Internet : http://www.epilepsie-france.fr

2. AISPACE

38 rue du Plat, 59000 Lille - Tél. : 03 20 57 19 41 - Fax : 03 20 09 41 24

Site Internet : http://www.epilepsies-epileptiques.com

- Ou vous pouvez encore aller sur le site de la Fondation française pour la recherche sur l'épilepsie (FFRE) : http://www.fondation-epilepsie.fr