Objectif zéro - L'Infirmière Libérale Magazine n° 222 du 01/01/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 222 du 01/01/2007

 

Grossesse et alcool

Formation continue

Prévenir

L'alcoolisation foetale est la première cause non génétique de handicap mental chez l'enfant. Elle est également responsable de nombreux troubles du développement qui pourraient être évités en améliorant la prévention et, en particulier, l'information systématique des femmes en âge de procréer. Une mission cruciale d'éducation en santé pour laquelle les acteurs de santé libéraux doivent mobiliser tout leur pouvoir de conviction.

L'alcool est un produit tératogène dont les effets sur le développement foetal peuvent être graves. Cette toxicité embryo-foetopathique a été particulièrement mise en évidence dans les années 1970 par les travaux de Paul Lemoine en France (1968) et de Jones et Smith aux États-Unis (1970). Depuis, de nombreuses équipes se sont intéressées à ce problème, confirmant les dégâts causés par l'alcoolisation foetale pendant la grossesse.

UNE PERCEPTION DES RISQUES IMPRÉCISE

Pourtant, si chacun sait implicitement qu'alcool et grossesse ne font pas bon ménage, dans l'entendement général, les risques associés à la consommation d'alcool pendant la grossesse restent sous-évalués. Une étude conduite en 2004 par les instituts Louis Harris et BVA(1) à la demande du ministère de la Santé et de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) montre que si une large majorité des Français est consciente qu'il faut éviter de boire de l'alcool pendant la grossesse, cette restriction reste très largement associée à des excès réguliers ou ponctuels plutôt qu'à une consommation modérée d'alcool. En effet, pour les femmes enceintes interrogées et leur entourage, "boire occasionnellement" ou à "faible dose" n'est pas associé à un risque d'alcoolisation préjudiciable à la santé du foetus. Plus généralement, 40 % des Français pensent que ce n'est qu'à partir d'une consommation quotidienne régulière d'alcool que ces risques surviennent, et près de 50 % estiment que les risques effectifs pour le futur bébé n'apparaissent qu'en cas de consommation excessive d'alcool. Par ailleurs, le versant qualitatif de l'enquête montre que les femmes enceintes comme leur entourage ont du mal à concevoir que toutes les boissons alcoolisées sont aussi toxiques les unes que les autres pour le foetus. La bière, le vin et le champagne bénéficient d'une image positive associée à des consommations conviviales dont il n'y a pas lieu de se méfier dès lors qu'elles restent raisonnables. Cette idée est confirmée par les chiffres, puisque 49 % des Français pensent qu'il est moins dangereux de boire de la bière, du vin ou du champagne qu'un alcool dit "fort". De même, ils ont une vision réductrice de la nature précise des risques liés à la consommation d'alcool pendant la grossesse. Une femme sur deux partage l'idée selon laquelle les dangers pour le foetus sont principalement concentrés durant les 3 premiers mois de grossesse. « Au cours de cette période, très importante pour la formation des organes et du système nerveux central, précise le Pr Martine Daoust, secrétaire générale de la Société française d'alcoologie et directrice d'un laboratoire de recherche en alcoologie (université de Picardie, Amiens), les alcoolisations sont effectivement très dangereuses car les lésions neurologiques et les malformations organiques qu'elles engendrent, en particulier au niveau cardiaque, sont irréversibles. Néanmoins, il est aujourd'hui admis et scientifiquement prouvé que les risques de l'alcoolisation maternelle pour le foetus persistent tout au long de la grossesse et à toutes les étapes du développement et sont aussi importants qu'au cours des trois premiers mois de gestation. »

Non seulement les dommages infligés au foetus par l'alcool peuvent survenir à tout moment de la grossesse, mais, en l'état actuel des connaissances, il est impossible de fixer un seuil de consommation d'alcool qui serait sans risque pour l'enfant à naître. En revanche, l'expertise collective de l'Inserm(2) montre qu'une consommation même modérée d'alcool (2 verres par jour) pendant la grossesse peut être responsable d'Effets de l'alcool sur le foetus (EAF) ayant notamment des retentissements sur le poids de naissance et le développement cognitif de l'enfant. Elle confirme également qu'une consommation excessive, y compris lorsqu'elle est ponctuelle (plus de 4 verres en une occasion), peut entraîner un Syndrome d'alcoolisation foetale (SAF) grave car associé à des anomalies sévères du développement psychomoteur.

MÉCANISMES PHYSIO- PATHOLOGIQUES DE L'ALCOOL

Cela tient au fait que l'alcool consommé par la femme enceinte n'est pas arrêté par la barrière placentaire et qu'il passe directement dans le liquide amniotique, entraînant rapidement une alcoolémie foetale équivalente à l'alcoolémie maternelle. Qui plus est, l'alcoolisation du foetus dure beaucoup plus longtemps que celle de la mère, car le foetus ne possède pas la capacité de métaboliser l'alcool pour l'éliminer. Il est donc exposé plus longtemps aux effets toxiques de l'alcool qui se diffuse dans tous les tissus en formation et entraîne une diminution des échanges foeto-maternels par spasmes des vaisseaux sanguins. Il en résulte une hypoxie, une souffrance foetale, voire, au pire, la mort in utero. Si tous les organes du foetus sont susceptibles de voir leur développement perturbé par l'alcool, le système nerveux central constitue la cible la plus vulnérable. « Quelle que soit la dose, l'alcool a toujours un effet délétère, poursuit le Pr Raoust. Cet effet est d'autant plus important que l'alcool est associé à des co-facteurs environnementaux tels que la malnutrition, l'usage d'autres substances (tabac, drogue, médicaments) ou la précarité des conditions de vie. Cela dit, si les mamans qui s'alcoolisent régulièrement vivent souvent dans des conditions favorisant le cumul des facteurs de risque, il ne faut pas perdre de vue qu'une alcoolisation mondaine ou occasionnelle chez des femmes socialement favorisées peut avoir les mêmes conséquences. Par ailleurs, il existe probablement des fenêtres de vulnérabilité mais le manque de certitude dans ce domaine impose de privilégier le principe de précaution en raison de la gravité des lésions et des complications pré et post-natales (SAF, EAF) engendrées par la consommation maternelle d'alcool. »

- Le Syndrome d'alcoolisation foetale (SAF)

Les femmes alcoolodépendantes qui ne parviennent pas à limiter leur consommation durant la grossesse encourent le risque de mettre au monde un enfant présentant un Syndrome d'alcoolisation foetale dans 30 à 40 % des cas. Ce syndrome consécutif à une destruction cellulaire exagérée par apoptose (suicide des cellules) est objectivé dès la naissance par la présence des trois critères suivants :

-> une dysmorphie crânio-faciale : cette caractéristique morphologique visible au niveau de la tête et du crâne regroupe dans sa forme complète un petit pourtour crânien (microcéphalie), des plis au coin des yeux, une petite ouverture des yeux, un pont nasal profond, un nez court et aplati, une lèvre supérieure fine et l'absence de couloir entre la lèvre supérieure et le nez (philthrum)(3). La présence d'au moins deux de ces signes traduit une dysmorphie partielle ;

-> un retard de croissance pré et/ou post-natal se traduisant notamment par une taille et un poids inférieurs à la moyenne ;

-> une atteinte du système nerveux central se traduisant par des malformations cérébrales (agénésie - absence - du corps calleux), des troubles neuro-sensoriels (trouble de la motricité fine, mauvaise coordination oeil/main) et, à distance, par un retard du développement psychomoteur, des troubles du comportement et un déficit intellectuel variable (troubles de l'attention et de la mémoire, QI inférieur à la moyenne).

Dans les sociétés industrielles occidentales, la fréquence du SAF est estimée entre 0,5 et 2 cas pour 1 000 naissances et les estimations relatives aux EAF sont 3 à 4 fois plus élevées. En France, on recense 2 000 enfants par an présentant un SAF caractéristique à la naissance, soit un taux de fréquence de 0,3 % pour 700 000 naissances(4). Toutefois, l'incidence est plus élevée dans certaines régions comme le Nord-Pas-de-Calais, la Bretagne et l'Île de la Réunion. Quant aux EAF, ils concernent 5 000 naissances par an.

- Les Effets de l'alcool sur le foetus (EAF)

Les enfants atteints d'EAF ne présentent pas d'atteinte du visage caractéristique du SAF. Ils peuvent présenter un retard de croissance, des malformations congénitales dont les plus fréquentes sont cardiaques (anomalies des gros vaisseaux, tétralogie de Fallot...), squelettiques (fente labio-palatine, scoliose, luxation de hanche, pied bot...), rénales (reins en fer à cheval, aplasie et hypoplasie rénale...), oculaires (strabisme, anomalie vasculaire de la rétine...) ou auditives (surdité de perception et de transmission). Toutefois, dans la majorité des cas, l'atteinte du cerveau prédomine et reste méconnue durant la période postnatale en raison du manque de signes cliniques et morphologiques patents à la naissance. « Les EAF sont beaucoup plus pervers que le SAF, commente le Pr Daoust, car les signes tangibles révélant les séquelles neurologiques de l'alcoolisation in utero n'apparaissent généralement qu'au moment des premiers apprentissages. Ces séquelles sont irréversibles et leurs conséquences parfois aussi sévères que dans les formes typiques du SAF. Elles engendrent des handicaps à vie et peuvent hypothéquer lourdement l'avenir des enfants. »

OBJECTIF ZÉRO : LE BON CHOIX

Tous ces troubles et tous ces handicaps sont évitables. Raison pour laquelle, dans la mesure où les connaissances scientifiques dont on dispose ne permettent pas de fixer un seuil de consommation qui serait sans risque pour le foetus, la seule recommandation raisonnable qui s'impose actuellement consiste à promouvoir l'abstinence durant la grossesse. Ce principe de précaution vaut pour toutes les occasions de consommation, qu'elles soient quotidiennes, ponctuelles ou festives. Cela dit, pour atteindre cet objectif "zéro alcool pendant la grossesse", un important travail de prévention reste à faire qui, pour être efficace, doit agir à la fois sur l'information spécifique des femmes enceintes et la sensibilisation de la population générale.

- Informer les femmes enceintes

Dès l'annonce de la grossesse, les femmes enceintes doivent être informées des risques que représente l'alcool pour l'enfant à naître tout au long de la gestation. Parfois, il est également important d'impliquer le partenaire afin qu'il soutienne et encourage l'abstinence de la future mère, notamment en société, car il n'est pas rare que les femmes enceintes soient soumises à la pression de l'entourage et n'osent pas, par crainte de s'exclure ou de s'entendre dire "qu'elles en font trop", refuser de boire un verre lors d'une soirée ou d'un repas de famille. À domicile, les infirmiers libéraux peuvent donc utilement rappeler aux couples que renoncer à l'alcool pendant la grossesse, c'est faire le bon choix car c'est prendre délibérément position pour la protection maximale du foetus et de l'enfant à naître. Un message qui, suite à l'arrêté paru le 2 octobre dernier(5), devrait être, dans les mois qui viennent, relayé sur toutes les unités de conditionnement des boissons alcoolisées par le biais d'un pictogramme explicite (panneau d'interdiction montrant une femme enceinte portant un verre à sa bouche) ou d'un message précisant que « la consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l'enfant ». Cet arrêté complète une série de dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 9 août 2004 pour améliorer la prévention de l'alcoolisation foetale. Cela dit, si, malgré tous ces arguments, les femmes ne sont pas convaincues, il est important de leur faire entendre et accepter de suivre au minimum les recommandations suivantes :

-> ne pas consommer d'alcool tous les jours ;

-> ne pas consommer plus d'un verre standard d'alcool par jour ;

-> éviter à tout prix les abus.

- Sensibiliser la population

Si l'entourage peut, souvent par ignorance, induire des comportements à risque, à l'inverse, un entourage bien informé peut aussi favoriser une meilleure observance des consignes d'abstinence durant la grossesse. Les observations montrent en effet qu'en ce qui concerne le tabac, l'entourage plaide généralement pour l'arrêt du tabac durant la grossesse, ce qui est encore loin d'être le cas pour l'alcool. Il convient donc d'éduquer et de sensibiliser le public dès le plus jeune âge aux messages suivants :

-> consommer tout type d'alcool pendant la grossesse peut menacer la santé et le développement psychomoteur intra-utérin et post-natal de l'enfant à naître ;

-> la période de grossesse implique une responsabilité partagée au sein du couple mais aussi de la famille et de l'entourage proche de la femme enceinte. Ceux-ci doivent encourager et aider la future mère à s'abstenir de boire de l'alcool ou à n'en boire que très peu et très peu souvent ;

-> dans la mesure où il est impossible de fixer un seuil d'alcoolisation sans risque, mieux vaut s'abstenir de boire pour protéger le foetus.

Cela dit, pour que ces messages soient véritablement efficaces, il est indispensable d'entretenir l'information au long cours. Les états généraux qui se sont tenus en Picardie(7) le 6 novembre dernier sur le thème Alcool et jeunes, alcool et femmes enceintes ont bien mis en évidence que, par rapport à cette problématique de santé publique, il faut sans cesse renouveler les messages de prévention et commencer la sensibilisation très tôt. « À ce titre, conclut le Pr Daoust, les infirmiers, tous types d'exercice confondus, constituent des acteurs d'éducation et de prévention extrêmement précieux. Parce qu'ils sont plus proches des familles et qu'ils sont donc plus en mesure de détecter les situations à risque, de saisir les opportunités pour en parler et de trouver les mots pour convaincre. » Leur collaboration est donc indispensable car c'est au prix d'un travail de fond pérenne que les femmes directement concernées auront une meilleure perception des risques et seront entourées de personnes bien informées et de bon conseil.

(1) Alcool et grossesse : connaissance et perception des risques et acceptabilité des messages, étude quantitative menée auprès d'un échantillon de 1 003 personnes représentatif de la population française de 15 ans et plus. INPES/BVA, novembre 2004

(2) Alcool. Effets sur la santé, Inserm, Coll. Expertise collective, septembre 2001 ; http://www.inserm.fr/fr/ questionsdesante/mediatheque/ouvrages/

(3) Site Internet : http://www.esculape.com/gynecologie/ grossesse_alcool2.html

(4) http://www.conso.net/page/bases.1_pour_comprendre_ agir.3_communiques_mois.3_communiques./Item-itm_ccc_ admin_20051213162208_162208_Alcooletgrossesselesilenc.txt

(5) Cet arrêté publié au JO du 03/10/2006 précise les modalités d'inscription du pictogramme ou du message à caractère sanitaire préconisant l'absence de consommation d'alcool par les femmes enceintes sur les unités de conditionnement des boissons alcoolisées. Dans un délai d'un an, les fabricants doivent apposer au moins l'un de ces deux messages sanitaires de manière « visible, lisible clairement compréhensible et indélébile. Il ne doit en aucune façon être dissimulé, voilé ou séparé par d'autres indications ou images » ; http://www.legifrance.gouv.fr/ imagesJOE/2006/1003/joe_20061003_0229_0016.pdf

(6) Les états généraux de l'alcool ont été organisés pour la première fois en France à l'initiative de ministère de la Santé et de l'INPES du 7/10/2006 au 05/12/2006. Informations sur http://www.etatsgenerauxalcool.fr/

Un devenir incertain

- Globalement, les enfants ayant été exposés à une alcoolisation foetale voient leurs troubles initiaux perdurer et, pour certains, se compliquer de troubles secondaires tardifs. Le retard de croissance persiste et, chez certains sujets, les troubles neuro-comportementaux s'affirment, voire apparaissent prédominants à l'adolescence et à l'âge adulte. Les troubles des acquisitions se traduisent chez 50 % des enfants par un QI moyen de 65 et par des difficultés d'apprentissage scolaire et de mémorisation, y compris lorsque le QI est normal (proche de 100). Ces déficits s'accompagnent généralement de troubles du comportement (diminution des compétences sociales, trouble des conduites, difficulté de contrôle des émotions, fugue, voire toxicomanie) qui marginalisent encore plus les adolescents et les jeunes adultes. Les plus touchés, soit 10 à 14 % d'entre eux, relèvent d'institution pour handicapés mentaux.

Dispositions visant à améliorer la prévention de l'alcoolisation foetale

- La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique rend obligatoire une série de dispositions visant à assurer une meilleure information sur les risques sanitaires induits par la consommation d'alcool sur le foetus durant la grossesse. Ces dispositions concernent :

-> les campagnes d'information sur la prévention du syndrome d'alcoolisation foetale (SAF). La dernière en date "zéro alcool pendant la grossesse" date du 8 novembre 2006 ;

-> l'information au collège et au lycée sur les risques sanitaires de la consommation d'alcool pendant la grossesse ;

-> la formation de tous les professionnels de santé et des professionnels du secteur médico-social aux effets de l'alcool sur le foetus.

Elle est aussi à l'origine de l'inscription d'une mention portant sur ce thème dans les carnets de maternité. Ces mesures sont associées à un renforcement de la veille épidémiologique par l'InVS ayant pour but de mieux identifier les enfants atteints de SAF et exposés à l'alcool (EAF) durant la grossesse afin d'établir des critères permettant de les dépister et les prendre en charge précocement.

Pour en savoir plus

-> Écoute alcool : 0811 91 30 30

-> Site du ministère de la Santé : http://www.sante.gouv.fr (dossier Alcool)

-> Site de l'Inpes : http://www.inpes.sante.fr (rubrique Alcool)

-> Réunisaf (Réseau de prévention du syndrome d'alcoolisation foetale) ; http://www.reunisaf.org/

-> Alcool et grossesse, quand l'enfant trinque. Information patient et grand public ; http://www.planet-sante.com/ region/page13267.asp