Quelle place pour les libéraux ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 222 du 01/01/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 222 du 01/01/2007

 

Maintien à domicile

Perspectives et enjeux

Explosion des services à la personne, multiplication des HAD, augmentation des places en Ssiad : alors même que la demande de maintien à domicile ne cesse de croître, les libéraux craignent de plus en plus pour leur avenir. Pour imposer leur regard et faire face à l'alourdissement des prises en charge, ils cherchent aujourd'hui de nouveaux modes d'organisation.

« Alors que les situations de dépendance nécessitent une prise en charge de plus en plus globale des personnes, l'exercice individuel n'appartient-il pas au passé ? Les infirmiers libéraux ne devraient-ils pas réfléchir à de nouveaux modes d'organisation pour passer du rôle de prestataires à celui de prescripteurs, et s'affirmer ainsi comme les premiers acteurs du maintien à domicile ? » Prononcés le 15 novembre dernier, lors d'un congrès sur l'avenir de la profession organisé par le syndicat Convergence infirmière, les propos d'Yves Bur, député du Bas-Rhin et membre du groupe d'études sur les professions de santé à l'Assemblée nationale, ont suscité soit l'inquiétude, soit l'enthousiasme des libéraux présents. Mais ils n'en ont laissé aucun indifférent.

C'est dire combien la profession doute aujourd'hui de son avenir, dans un paysage du maintien à domicile de plus en plus marqué par le "tout structure". Le plan Solidarité grand âge, présenté par le gouvernement en juin dernier, prévoit en effet de doubler les capacités d'hospitalisation à domicile (HAD) et d'augmenter de 40 % le nombre de places en services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) d'ici 2010. Mais ce n'est pas tout : l'explosion des services à la personne, favorisée par le plan Borloo, menace aujourd'hui de "grignoter" le périmètre des soins infirmiers. Dans un contexte de restriction des dépenses d'Assurance maladie et alors que le marché du maintien à domicile suscite la convoitise des entrepreneurs de tous bords, la frontière, déjà floue, entre l'aide et le soin, risque de devenir encore plus poreuse.

DÉMARCHE D'ENTREPRISE

« La seule façon pour les libéraux de conserver à l'avenir une place de choix dans le champ du maintien à domicile est donc d'investir eux aussi, dès aujourd'hui, le terrain de l'aide », soutient le président de Convergence infirmière, Marcel Affergan, qui a profité du colloque du 15 novembre pour présenter son projet d' "entreprises libérales de proximité". Ces plates-formes, qui allieraient soins et aide à domicile, seraient gérées par des infirmiers libéraux, réunis en société d'exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl) : « Aujourd'hui, les Selarl n'ont pas la possibilité de créer leur propre structure d'aide à domicile, comme le font les Ssiad, ni de salarier des aides-soignantes. C'est injuste pour les libéraux, qui sont particulièrement compétents en matière de maintien à domicile, mais aussi pour les usagers, qui doivent pouvoir choisir entre différents types de structures. »

Sans s'arrêter aux obstacles juridiques et conventionnels qui empêchent pour le moment la création de telles entreprises, Convergence a lancé un appel à tous les infirmiers intéressés et promis de leur apporter son appui pour que le projet aboutisse rapidement. Les candidats ne se sont pas fait attendre : « J'ai hâte d'en savoir plus pour me lancer, explique un infirmier de la région bordelaise. Aujourd'hui, l'ère de l'exclusivité des soins est révolue : on le voit avec le développement des services d'aide, qui phagocytent notre rôle propre. »

SYSTÉMATISER LES CONVENTIONS

S'ils sont nombreux à s'inquiéter pour l'avenir de leur profession, tous les libéraux ne sont pas prêts pour autant à se muer en chefs d'entreprise : « La gestion, pour ma part, j'en fais déjà trop, estime Laurent Bardet, installé à La Côte-St-André, dans l'Isère. Mais il faudra bien trouver une façon de répondre au problème de l'éparpillement des intervenants à domicile, tout en imposant notre rôle propre. Une solution intermédiaire serait de permettre aux libéraux de travailler directement avec des aides-soignantes. » Pour Christine Beligand, présidente de l'Association des infirmières libérales de la vallée de l'Arve (Adilva), en Haute-Savoie, les libéraux devraient commencer par utiliser davantage la démarche de soins infirmiers (DSI), « un bon outil pour passer le relais aux auxiliaires de vie et un premier pas vers la reconnaissance du regard infirmier. Dans l'avenir, si nous arrivons à imposer ce regard, nous n'aurons aucune raison d'embaucher directement des auxiliaires de vie ».

Assurer la coordination avec les différents intervenants du domicile plutôt que se substituer à eux, c'est aussi la position des autres syndicats d'infirmiers libéraux, dont le Sniil : « ne nous voilons pas la face : les services d'aide et de soins existent déjà. Au lieu de les concurrencer et de nous éloigner de notre coeur de métier, essayons de participer avec eux à une prise en charge coordonnée des patients », remarque Annick Touba, sa présidente. Le Sniil souhaite systématiser les conventions nationales avec les fédérations de services à domicile, afin de mieux associer les libéraux à la mise en place et au fonctionnement de ces structures. Une première convention de ce type devrait être signée d'ici le premier trimestre 2007 entre la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad) et l'ensemble des syndicats d'infirmiers libéraux.

UNE NÉCESSITÉ : COOPÉRER

DSI, conventions, réseaux ou entreprises libérales : au-delà du choix des outils, la plupart des libéraux s'accordent en tout cas sur la nécessité de s'organiser, pour mieux coordonner leur action avec celle des autres acteurs du domicile. Créée en 1992, l'association Adilva rassemble ainsi une cinquantaine de libérales, « convaincues qu'il est devenu impossible de travailler seul, dans son coin », explique Christine Beligand. L'an prochain, ces infirmières se regrouperont derrière un numéro de téléphone unique, pour mieux gérer les sorties d'hôpital et faciliter la coopération avec la future HAD : « La secrétaire contactera en priorité la libérale qui suivait le patient avant son hospitalisation. Si elle n'est pas disponible, elle en appellera une autre. Ainsi, on ne pourra plus nous reprocher de ne pas répondre à la demande ou de n'être pas organisées ! »

Dans certaines régions, la pénurie de libérales rend d'ailleurs cette coopération vitale depuis de nombreuses années. Installée en zone rurale, à Raucourt, dans les Ardennes, Corinne Vernel parcourt chaque jour 200 km en moyenne : « Je suis trop surchargée de travail pour prendre en charge les toilettes. Le Ssiad et les services d'aide à domicile ne sont donc pas des concurrents pour moi, mais des partenaires indispensables. » Si indispensables que cette libérale participe régulièrement à des groupes de travail réunissant les différents acteurs du maintien à domicile dans le secteur : « Nous formons les différents maillons d'une même chaîne : nous n'avons pas d'autre choix que de coopérer. »

Interview d'Élisabeth Hubert Présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad)

- Les infirmiers libéraux entretiennent parfois des rapports difficiles avec les HAD installées dans leur secteur. Comprenez-vous leur amertume ?

Pendant des années, sous l'impulsion des autorités de tutelle, les HAD se sont créées uniquement avec des infirmiers salariés. Lorsqu'un patient entrait en HAD, le libéral qui le suivait auparavant était mis à l'écart, puis rappelé lorsque l'état de santé du patient s'améliorait. Je comprends donc parfaitement les réticences exprimées par les infirmiers libéraux. Mais aujourd'hui, même si des problèmes subsistent, la situation est en train de changer. Les HAD qui se créent le font presque toutes, d'emblée, en y associant les libéraux.

- Que faire pour qu'HAD et libéraux travaillent en bonne intelligence ?

Les HAD qui se créent doivent coopérer avec les infirmiers libéraux et signer avec eux des contrats définissant les droits et les devoirs de chacun. Pour les infirmiers libéraux, cela implique d'assurer la permanence des soins et la transmission des données, et de se soumettre à l'obligation de formation continue. De son côté, l'HAD ne doit pas sous-évaluer leurs actes : elle doit leur garantir une rémunération qui soit l'exact reflet de leur charge de travail. Travailler avec les libéraux est aujourd'hui la seule façon pour les HAD d'offrir une réponse vraiment adaptée aux besoins, car elle leur permet d'assurer une meilleure couverture géographique et de s'appuyer sur les liens qui unissent les libéraux à leurs patients. Les infirmiers libéraux doivent devenir pour nous des partenaires à part entière.