Prévenir et gérer son stress - L'Infirmière Libérale Magazine n° 224 du 01/03/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 224 du 01/03/2007

 

Formation continue

Prévenir

Dans un monde de plus en plus exigeant en termes de performances personnelles et professionnelles, il est difficile d'échapper au stress. De par la nature de leur travail mais aussi la forme de leur exercice, les infirmiers libéraux y sont particulièrement exposés. Mais pas question de craquer ! D'où l'intérêt pour les soignants de savoir reconnaître, comprendre et évaluer le stress pour mieux le maîtriser.

Le stress est une réponse normale et physiologique d'adaptation de l'organisme aux contraintes et agressions que nous subissons chaque jour dans le cadre de la vie quotidienne. « Dès lors qu'un organisme vit, explique le Dr Marc Salomon(1), il est obligatoirement soumis à des stress qui nécessitent une adaptation. C'est en quelque sorte un "moteur" indispensable à la vie car il entraîne l'organisme à se défendre et à s'adapter. » Cette capacité d'adaptation est propre à chaque individu. Elle est variable et dépend, entre autres, de nos antécédents, de l'intensité et de la répétition des agressions subies, de notre vie personnelle et professionnelle, de nos expériences et de notre personnalité. Lorsque tous ces facteurs s'imbriquent, ils peuvent rendre inopérantes les capacités d'adaptation de l'individu et provoquer un syndrome d'épuisement professionnel physique et psychique (burn out) et/ou des répercussions somatiques potentiellement graves.

UNE RESPONSABILITÉ LOURDE DE CONSÉQUENCES

« Les patients remettent leur santé, voire leur vie entre nos mains, et nous investissent d'une responsabilité parfois lourde à porter et génératrice de stress », confirme Françoise Boissières, infirmière et formatrice en gestion du stress et relation d'aide(2). Cela dit, si tous les infirmiers doivent assumer le poids de cette responsabilité, force est d'admettre qu'en fonction du contexte, certains sont plus exposés que d'autres. C'est notamment le cas des infirmiers libéraux qui assument seuls cette responsabilité au domicile des patients. « L'isolement est probablement le facteur le plus anxiogène pour un infirmier libéral, explique Katie Taïeb, infirmière à Meudon, région parisienne. Prenant exclusivement en charge des soins techniques, il m'arrive parfois de devoir prendre une décision seule lorsque le médecin n'est pas joignable et que j'ai un problème par rapport à une prescription. Dans ce cas, le fait de n'avoir personne qui puisse partager la décision et répondre aux questions que je me pose - "est-ce que j'ai bien fait ?", "est-ce que ça ne dépasse pas mes compétences ?" - engendre des doutes d'autant plus stressants que je ne dois rien laisser paraître devant le patient et sa famille. » De même, l'isolement peut constituer un facteur de stress important lorsqu'il faut réaliser certains soins délicats. « Par exemple, bien que maîtrisant parfaitement le branchement des perfusions sur port à cath, poursuit Katie Taïeb, j'appréhende toujours ce geste car j'ai conscience qu'en cas d'extravasation, je n'ai pas le service d'urgence à portée de main et qu'en cas de problème, tout reposera sur ma capacité à réagir vite et bien. » En fait, être seul à domicile, c'est un peu comme faire de la voltige sans filet : on n'a pas le droit à l'erreur.

DES SOURCES DE STRESS MULTIPLES

Au-delà de cette lourde responsabilité, les soignants à domicile doivent aussi gérer de nombreux autres facteurs de stress. « Travailler en libéral, poursuit Françoise Boissières, c'est pénétrer l'intimité des familles. C'est donc prendre le risque de trop s'impliquer personnellement et de devenir plus "perméable" à la charge émotionnelle inhérente à la relation de soin. » Un risque d'autant plus dangereux qu'il n'est pas possible de passer le relais à un collègue le temps de reprendre de la distance et d'évacuer ses émotions. Par ailleurs, ayant fait le choix de ne pas être dans une structure qui régule elle-même l'occupation des lits et l'organisation du travail, les libéraux sont directement confrontés à la gestion des demandes de soins et au casse-tête que représente pour eux la perspective de tomber malade, de devoir s'arrêter, de suivre une formation ou de partir en vacances, tant il est difficile de trouver un remplaçant. « Dire "non" ne fait pas partie de la culture infirmière, commente Françoise Boissières. Beaucoup de libéraux sont confrontés à ce dilemme car très peu sont effectivement capables de refuser un malade sans états d'âme et sans culpabilité. Quant au remplacement, c'est un souci omniprésent pour la plupart des infirmiers et en particulier pour ceux qui travaillent en solo. Résultat, ils reportent les congés, diffèrent les formations, accumulent fatigue et frustration et éprouvent de plus en plus de difficultés à gérer le stress. » Sans compter qu'au-delà de leur propre stress, ils sont aussi beaucoup plus exposés qu'en structure à celui des familles, qu'il faut rassurer, conseiller et consoler dans un contexte parfois très inconfortable. Par ailleurs, si l'exercice libéral est un choix qui permet aux infirmiers d'échapper à certains facteurs de stress liés au travail en équipe (poids de la hiérarchie, organisation imposée...), ce mode d'exercice est pourvoyeur de contraintes spécifiques (gestion des tâches administratives, incertitude financière...) potentiellement stressantes. Pour autant, pas question de laisser transparaître ses émotions, sa fatigue, ses préoccupations, son inquiétude devant les patients... Une règle que les soignants se font un point d'honneur d'observer à la lettre au risque de s'enfermer dans un engrenage pouvant mettre à mal leur efficience professionnelle, mais aussi leur équilibre physique et psychique. Une réalité qu'ils doivent impérativement prendre en compte au lieu de la négliger. Car tous les spécialistes s'accordent sur le fait que, pour maîtriser, anticiper et gérer le stress pour qu'il n'impacte pas péjorativement sur leur quotidien, les soignants doivent se convaincre qu'il est nécessaire de prendre soin d'eux-mêmes pour pouvoir durablement prendre soin des autres.

APPRIVOISER LE STRESS : UN TRAVAIL SUR SOI

Curieusement, alors qu'ils sont en permanence dans une démarche d'écoute de l'autre, les soignants sont souvent dans l'incapacité de s'écouter eux-mêmes. S'écouter deviendrait presque indécent face à tant de souffrance... Dès lors, la situation se dégrade progressivement jusqu'à ce que, comme Annie, Agnès ou Pascale (cf. ci-contre), le soignant atteigne un point de non-retour. « C'est probablement l'une des clés du problème, commente le Dr Salomon. Les soignants doivent impérativement accepter l'idée qu'il y a nécessité à prendre soin de soi, à s'écouter et à se protéger, pour pouvoir prendre en charge les malades dans des conditions qui permettent d'optimiser la qualité des soins, la disponibilité et l'accompagnement. S'en convaincre, ce n'est pas privilégier son confort au détriment de ses patients. C'est au contraire se donner les moyens de leur assurer une meilleure prise en charge en mettant en place des mesures pour mieux gérer les facteurs de stress parasites et indésirables. »

LES MOYENS D'ACTION

En pratique, ces mesures vont avoir pour objectif « d'éliminer les petits facteurs de stress qui sapent inutilement notre capital énergétique et de changer notre façon d'envisager et de vivre les situations difficiles auxquelles on ne peut pas échapper », expliquent en substance Stella et Jacques Choque dans un guide sur la gestion du stress destiné aux soignants(3). Pour cela, l'un des moyens les plus efficaces consiste à prendre du recul et à "mettre à plat" chaque problème. Cela permet de mettre en évidence les solutions possibles et de choisir celle qui créera le moins de stress négatif. S'il est difficile d'édicter des solutions universelles dans ce domaine, l'expérience montre qu'il existe un certain nombre de principes généraux permettant de transformer les effets négatifs du stress en énergie positive.

S'organiser

Parmi ces principes, on retiendra la nécessité de bien organiser sa vie professionnelle et de ne pas travailler seul. « Une organisation rigoureuse, c'est-à-dire bien orchestrée, constitue un moyen d'économiser son temps et par conséquent d'être plus disponible et donc plus serein pour les soins et la relation d'aide, explique Katie Taïeb. Par ailleurs, le fait de travailler en roulement avec deux autres infirmières nous offre à chacune la possibilité de mieux concilier nos obligations familiales et personnelles avec notre activité. » Pour les soignants qui le souhaitent, le travail en cabinet de groupe permet aussi d'envisager une activité à temps partiel. Exercer en cabinet, voire en cabinet multidisciplinaire ou en réseau, est en soi un mode de fonctionnement plus exigeant mais qui crée une dynamique et apporte un cadre de travail très apprécié des soignants libéraux.

Savoir dire non

Pour autant, ce "confort" peut être compromis si la charge de travail s'alourdit excessivement. « De la même manière qu'ils doivent apprendre à jauger les pressions qu'ils subissent au quotidien pour pouvoir mettre en place des activités antistress pour récupérer, les soignants doivent apprendre à dire non sans se culpabiliser, souligne Françoise Boissières. C'est un "savoir dire" qu'ils doivent parvenir à maîtriser en toute sérénité pour se protéger des effets délétères d'une surcharge de travail durable ou d'une culpabilité trop pesante. » Bien entendu, dire "non" suppose de ne pas laisser les malades dans le vide mais de leur expliquer les motifs du refus et de les orienter vers des collègues sans jamais fermer définitivement la porte.

Déléguer

Pour alléger le fardeau quotidien, les soignants peuvent aussi se faire aider en centralisant les tâches administratives sur une personne dédiée et/ou en s'équipant de matériels (logiciels informatiques, par exemple) leur permettant de gérer plus efficacement tout le travail annexe aux soins, parfois très chronophage.

Anticiper

Parallèlement au "savoir dire", les soignants peuvent se protéger en se préparant à mieux faire face à certaines situations. « Le "savoir être" ne doit pas être à sens unique, explique le Dr Salomon. Il peut aussi permettre au soignant de se positionner face à des patients difficiles, voire agressifs ou en demande permanente de "plus" de soins, d'attention ou de présence. Dans ce cas, il peut s'appuyer sur son expérience ou celle de ses aînés pour organiser son propre système de protection (réponse type par rapport à certains comportements, utilisation de l'humour pour relativiser une situation...). » Ainsi, le fait d'être capable d'anticiper l'événement lui permet de se sentir moins agressé, d'être moins surpris, moins déstabilisé et d'apporter une réponse plus appropriée à la situation. Là encore, s'économiser ne signifie pas que l'on va moins bien faire son travail, au contraire. C'est notamment ce qu'on apprend dans les formations de gestion du stress.

SAISIR LES OPPORTUNITÉS

« Se former, quel qu'en soit l'objectif, commente Françoise Boissières, constitue toujours une parenthèse bénéfique parce que cela permet de prendre du recul par rapport à son exercice professionnel, de rencontrer d'autres soignants, de confronter son vécu et de consolider ses compétences. » Dans le même esprit, ils peuvent envisager de mettre en place de nouvelles méthodes de travail ou de s'initier à des nouvelles activités, comme la réflexologie, le yoga ou le toucher-massage. Ces techniques, au même titre qu'une bonne hygiène de vie associant une alimentation équilibrée, un sommeil réparateur et une activité physique régulière, permettent d'optimiser leurs capacités propres à faire face aux agressions de la vie quotidienne et du travail en particulier. « Il est également important de saisir toutes les opportunités pour nous ressourcer, ajoute Katie Taïeb. Par exemple, pour celles d'entre nous qui connaissent le stress des embouteillages, il peut être intéressant de transformer ce stress en temps de ressourcement. » Un conseil que dispense Françoise Boissières dans ses formations en invitant les participants à profiter de ces "intermèdes" entre deux patients pour évacuer le stress « en posant les mains sur le volant, en relâchant les épaules et en respirant profondément ». Car, à l'évidence, conclut le Dr Salomon, « pour sortir vainqueur de cette lutte quotidienne que nous menons contre le stress, il existe trois conseils universels simples et basiques à recommander à volonté : respirer correctement, apprendre à se relaxer et rire ». Autrement dit adopter une attitude et un état d'esprit résolument positifs.

(1) Après dix-sept ans dans la réanimation cardiaque, le Dr Salomon est aujourd'hui directeur associé d'une filiale de l'Institut Pasteur spécialisée dans la prévention. Il est aussi l'auteur de Vivre avec son stress, Éditions Pasteur, juin 2006, 270 pages, 15 euros.

(2) Formation "Gestion du stress, des conflits, affirmation de soi" : formatous@wanadoo.fr ou tél. : 06 82 29 33 53.

(3) Stress : apprendre à le gérer, Stella et Jacques Choque, Éditions Lamarre.

Pathologie et stress : la preuve par l'exemple

Lorsqu'elles dépassent nos capacités d'adaptation, les agressions aiguës ou chroniques générées par le stress physique et émotionnel peuvent entraîner des conséquences réelles et mesurables sur l'organisme pouvant être à l'origine de certaines maladies. Ainsi, au-delà des manifestions physiologiques que l'organisme met en place en réaction immédiate au stress (augmentation de la fréquence cardiaque et respiratoire, rougeur ou pâleur, transpiration inhabituelle, tension musculaire, bouche sèche, difficultés à respirer, irritabilité, anxiété...), une exposition chronique à des facteurs de stress peut engendrer des troubles physiques et psychiques parfois sévères et durables. Dans son livre Les soignants face au stress*, Françoise Boissières évoque à ce titre Annie, décédée à 34 ans d'une rupture d'anévrisme, Agnès, qui, après une année sans congé, présente une tension à 23/12, et Pascale, sommée de "lâcher" son activité à la suite d'une hernie discale... Ces trois infirmières avaient en commun d'exercer en libéral et d'être dans un état de stress professionnel à son comble. Pour Françoise Boissières, il ne fait aucun doute que dans les trois cas, le stress et l'épuisement sont en cause dans la survenue de la rupture d'anévrisme, de l'hypertension et de la hernie discale. « De fait, confirme le Dr Salomon, même s'il est parfois difficile d'établir scientifiquement un lien de causalité entre le stress et certaines maladies, des études montrent qu'une surexposition à des agents stresseurs peut avoir de multiples conséquences : fatigue intense, troubles du sommeil, troubles infectieux, digestifs (ulcère, troubles fonctionnels intestinaux), urinaires (cystites), cutanés (acné, urticaire, psoriasis, alopécie, troubles de la cicatrisation), psychiques (anxiété, dépression), migraines et lombalgies. » Par exemple, une équipe australienne a récemment montré que des hormones sécrétées par les neurones sous l'effet du stress (neuropeptides Y) interviennent en bloquant l'action des cellules sentinelles chargée de stimuler le système immunitaire et favorisent ainsi la survenue d'infections. De même, des travaux réalisés dans le cadre de la médecine du travail ont permis d'établir que des risques psychologiques d'origine professionnelle peuvent être à l'origine de lombalgies. « Le dos peut être considéré comme un organe cible, vulnérable, qui sert à nous alerter quand nous subissons des contraintes psychologiques trop fortes, commente le Dr Salomon. Certains ont des migraines, d'autres des problèmes digestifs et d'autres encore, à l'instar des soignants, des dorsalgies. » Cela dit, si le stress doit être reconnu comme ayant des effets directs sur certaines maladies, il ne faut pas non plus le rendre responsable de tous les maux. Cette attitude peut être aussi préjudiciable que de l'ignorer lorsqu'il est réellement en cause. Elle peut en effet être à l'origine d'un retard de diagnostic ou d'une chronicisation des facteurs de stress pouvant conduire dans les deux cas à des pathologies potentiellement sévères.

* Les soignants face au stress, collection Pratiquer, Éditions Lamarre.

Le toucher-massage

Le toucher-massage (TM) est une méthode mise ou point et développée par Joël Savatofski, masseur kinésithérapeute, fondateur de l'École européenne du toucher-massage. Ainsi qu'il la définit, cette méthode prend forme grâce au toucher et à l'enchaînement de gestes sur tout ou partie du corps. Elle permet de détendre, relaxer, remettre en forme, rassurer, communiquer ou simplement procurer du bien-être en quelques minutes ou sur un temps plus long selon la disponibilité du soignant. L'apprentissage de ces gestes ne demande aucune connaissance particulière en anatomie et peut être réalisé en quelques jours dans le cadre des formations dispensées par l'Institut de formation et de recherche pédagogique(1). « Il est important de préciser que la pratique du TM n'a rien à voir avec le massage kinésithérapique codifié, technique, symptomatique à visée musculaire, tendineux, réflexologique ou mécanique, insiste Joël Savatofski. C'est une démarche globale, relationnelle, non codée, démédicalisée, agréable à recevoir et à pratiquer et qui confère aux soignants un sentiment de bien-être partagé. » Tout en s'intégrant au soin, elle constitue une parenthèse "régénérante" pour le patient et pour le soignant. « La pratique du TM, que ce soit avec les malades ou entre soignants, est l'un des meilleurs antidotes du stress causé par les soins, indique Françoise Boissières. Il s'agit d'une pause active qui permet aux soignants, tout en s'occupant de façon privilégiée du malade, de partager un instant de bien-être bénéfique à l'un et l'autre. L'étude conduite sur les dix dernières années de pratique du TM montre de façon évidente que ce moment relationnel est revalorisant et donne un nouveau sens au travail. » Une autre technique, le "massage minute" anti-stress des mains, des pieds et du visage, du haut du dos et du cou, est réalisable sur les patients et entre collègues(2). Il permet de se détendre, quels que soient les circonstances, le lieu, les conditions matérielles (vêtu, assis, voire même debout), et d'éliminer en quelques instants tensions et stress. Particulièrement utilisé dans les services de soins palliatifs, le principe du TM est également intégré au travail des infirmières cliniciennes et enseigné dans certains Ifsi et centre de formations d'aides-soignants. Encore marginal en libéral car les conditions d'exercice et la non-prise en compte du rôle propre infirmier par la nomenclature ne favorisent pas le développement de ce type de prise en charge de confort, il pourrait néanmoins trouver sa place dans le cadre des soins d'hygiène ou pendant que les soignants surveillent le passage des perfusions, par exemple.

(1) Contact : 03 80 74 27 57.

(2) Voir détails dans Le toucher-massage, Joël Savatofski, Coll. Pratiquer, Éditions Lamarre.