Priorité à la plaie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 224 du 01/03/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 224 du 01/03/2007

 

Réseau en Languedoc

Initiatives en réseau

Situé sur Montpellier et ses environs, le réseau ville-hôpital des plaies et cicatrisations du Languedoc-Roussillon envoie ses experts-référents au chevet du patient pour épauler les soignants. Objectif : diffuser son savoir-faire pour améliorer la prise en charge et limiter les hospitalisations en situation d'urgence.

À treize heures tapantes, le trio de tête du réseau ville-hôpital des plaies et cicatrisations du Languedoc- Roussillon est réuni devant le plat du jour de la brasserie Le Bastide à Montpellier. Un QG qui s'est imposé pour des raisons pratiques. « C'est juste en face du CHU de Montpellier où travaille Sylvie Palmier, notre infirmière référente hospitalière. Et, comme ça, on est obligé de prendre le temps de déjeuner », lance Evelyne Ribal, infirmière libérale. Même si c'est avant tout pour parler boulot. Rapidement, son appareil photo numérique circule de mains en mains pour recueillir les avis sur un nouveau patient. « Le travail en réseau, ça permet d'être moins seul dans son activité. Une cicatrisation, c'est long, et le soignant n'est parfois plus capable de voir l'évolution de la plaie au quotidien. Mais il peut nous appeler : les référents du réseau viennent pour apporter un troisième regard sur la plaie », explique celle qui occupe aussi la fonction de trésorière du réseau.

Le docteur Luc Teot traverse la rue pour avaler une salade avec le petit groupe. Chirurgien au CHU de Montpellier et vice-président du réseau(1), c'est lui qui est à l'origine du projet. En 1992 déjà, il alerte ses collègues de l'hôpital sur l'urgence de la prise en charge des escarres. Un premier protocole est diffusé dans toutes les unités de soin dès l'année suivante mais il souhaite aller plus loin. « Il fallait exporter ce savoir-faire en amont et en aval de l'hôpital, explique-t-il, afin de prévenir l'arrivée d'escarres dans un stade trop avancé en service d'urgence. » Il se heurte à un problème de taille : l'absence de formation adaptée. C'est chose faite trois ans après, avec un diplôme d'université (DU) qui s'ouvre à la faculté de médecine de Montpellier. « Une cinquantaine de soignants en sortent diplômés chaque année : des médecins et des infirmiers qui savent soigner les plaies. Depuis, douze ou treize autres universités proposent ce DU », précise-t-il non sans fierté, avant de quitter la table. Il faut attendre 1999 pour que le réseau voie le jour sous les traits d'une association regroupant des soignants libéraux et hospitaliers.

Mais vient le moment où les bonnes volontés ne suffisent plus : Sylvie Palmier, expert-référent "hôpital", et Evelyne Ribal, en complet bénévolat, se chargent de la recherche de subvention. Mission réussie : le Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (FAQSV) de l'Urcam les subventionne à hauteur de 46 000 euros pour l'année 2005, dans le cadre de l'expérimentation des soins de ville. « Au début, je n'avais pas d'idée précise du nombre de patients. J'avais avancé le chiffre de 50 en 2005 et, en milieu d'année, nous en étions déjà à 90 patients ! », se souvient Evelyne Ribal. L'argent a servi dans un premier temps à concevoir et développer le site Internet et le logiciel. De 90, le nombre de patients est passé à 300 l'année suivante, avec une aide financière renouvelée à 51 000 euros.

Aujourd'hui, la trésorière du réseau guette sur son téléphone l'appel du FAQSV. « On saura aujourd'hui à combien se monte l'avis de subvention 2007. » Chloé Trial-Geri, médecin référent "ville" et attachée du CHU, n'est pas angoissée : « Bien sûr, nous avons besoin de cet argent, mais le réseau tient surtout grâce à l'énergie déployée par Evelyne et Sylvie. » La jeune femme a choisi il y a quelques années de se spécialiser en "plaies et cicatrisations" au point de s'y consacrer exclusivement, partagée entre son cabinet, le réseau et l'hôpital.

CONSEILS AUX MÉDECINS

Les médecins sont encore peu nombreux à rejoindre le réseau : « Le pansement, ce n'est pas sexy. Aux infirmières les pansements et les plaies. » Mais Chloé Trial-Geri note qu'ils sont quand même de plus en plus nombreux à téléphoner pour être conseillés. La situation peut évoluer car le réseau laisse la porte ouverte à tous les soignants : « Le patient qui souffre d'une plaie n'a pas à changer de médecin traitant ni d'infirmier... Nous intervenons en parfaite association avec les soignants habituels. »

Démonstration avec le patient qu'Evelyne a visité le matin même, dont la plaie est affichée sur l'écran de son appareil photo. « L'infirmier chargé des pansements quotidiens m'a appelée en tant qu'infirmière référente "ville" du réseau car il voulait vérifier avec moi que le protocole de soins était bien adapté. J'ai contacté le médecin traitant pour obtenir son accord avant d'intervenir. Parfois, on m'appelle juste pour un conseil... Je suis venue au chevet du patient pour évaluer l'état de la plaie que j'ai intégré dans un dossier, et j'ai pris une photo afin de pouvoir suivre l'évolution vers la cicatrisation », explique l'infirmière libérale. Dans 45 % des cas, elle est appelée à pratiquer un acte de détersion, que tous les soignants ne maîtrisent pas.

SITE SÉCURISÉ

Équipée d'un ordinateur de poche, comme trois de ses collègues, elle envoie le dossier sur le site Internet du réseau. La photo suivra. En fin de journée, Chloé Trial-Géri, le médecin référent "ville", se connectera sur l'espace sécurisé du site pour valider ou non les décisions prises durant la journée par les infirmiers référents. L'avantage de ce système : « Le patient conserve son infirmier habituel qui reste bien évidemment payé pour sa visite. Et l'infirmier référent qui intervient "en plus" est rémunéré par le réseau : il n'y a donc aucune charge supplémentaire pour le patient, hormis l'assurance d'être soigné en totale sécurité. » Et bien sûr, le soignant qui a appelé en renfort le réseau peut continuer de soigner son patient jusqu'à la cicatrisation complète en ayant la certitude d'être épaulé en cas de difficulté. « Le soignant peut toujours nous appeler, l'appel bascule sur le portable de l'infirmière de garde », confirme Sylvie Palmier.

"AGENCE DE FORMATION"

Attention, pas de confusion : les soignants référents ne sont pas là pour se substituer à ceux qui les appellent. L'objectif principal du réseau, c'est l'éducation et la valorisation des actes de pansement et de traitement des plaies. Ce qui passe par la formation du soignant "au chevet du malade" dans l'immédiat, débouchant idéalement sur une session encadrée. « Il n'y a pas de formation "plaies" dans les Ifsi, pas plus qu'au cours des études de médecine. Les infirmiers ne connaissent pas les 90 pansements qui existent et les prescripteurs non plus », regrette Sylvie Palmier. Pour éviter d'avoir à intervenir « trop tard, quand toutes les solutions ont été épuisées », le réseau dispense toute l'année des sessions de formation. C'est Sylvie Palmier qui en assure l'organisation : « Nous sommes des soignantes, pas des administratives ni des commerciales, mais il a fallu nous adapter pour le réseau », explique-t-elle. Trop souvent appelés en situation d'urgence, les experts-référents encouragent les établissements de santé à signer des conventions "formation" pour éviter la répétition des situations d'urgence, et ainsi les hospitalisations.

C'est une de ses particularités, et non des moindres, le réseau plaies et cicatrisations a su s'imposer comme une agence de formation à part entière, disposant d'un numéro d'agrément. Un argument de viabilité auquel l'Urcam n'a pas été insensible. « La formation nous assure une certaine autonomie financière », explique Evelyne Ribal. Et, fort de son savoir-faire, le réseau contribue à diffuser dans la région ses connaissances et le langage lié aux plaies. « L'évaluation colorielle et toutes ces choses, ça ne s'invente pas. La formation continue de nos experts est prise en charge par l'Urcam quatre fois par an, mais ensuite, c'est à nous de jouer les relais dans les maisons de retraite, en clinique, et en soins de ville. » Le réseau organise aussi des "soirées d'information produit" en partenariat avec des laboratoires. La vente d'un DVD de formation sur la détersion mécanique à 7 000 exemplaires aura également permis de mettre à disposition du réseau trois JAC (technique d'hydrojet pour la détersion ambulatoire) et leurs consommables.

Le téléphone sonne, c'est l'Urcam. « C'est bon, ils nous donnent 58 000 euros pour l'année 2007 », se réjouit la trésorière. Les forces vont donc pouvoir se concentrer sur un autre terrain. « Le problème des plaies, c'est sa transversalité : tout le monde est concerné et ça ne rentre donc dans aucune enveloppe précise », note Chloé Trial-Géri. En espérant que sa lutte devienne une priorité nationale, la SFFPC(2) a lancé l'idée d'une journée nationale de la plaie au printemps 2008. Dans toute la France, des équipes de soignants seront invitées à « ramer sur les lacs, les étangs, les rivières ». L'explication se fait à l'unisson : « D'abord, parce qu'en matière de cicatrisation, le milieu humide nous unit. Et ensuite, parce qu'avant que la plaie devienne une priorité nationale, on n'a pas fini de ramer ! » Finie la trêve, les visites de l'après-midi séparent les trois soignantes. Elles auront encore le temps de continuer leurs échanges sur le site Internet d'ici les validations de fin de journée.

(1) Le Dr Teot est également président de la World Union of Wound Healing Society après avoir cédé la présidence de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC) au Dr Sylvie Meaume.

(2) Société française et francophone des plaies et cicatrisations.

Le réseau en chiffres

- Association créée en 1999

- Nombre d'adhérents (infirmiers libéraux, structures, pharmaciens, podologues...) à jour de leurs cotisations : 300

- Nombre de "référents-experts" : 10 infirmiers libéraux qui se déplacent au lit du patient avec leurs collègues, 1 infirmière hospitalière qui sert de lien entre la ville et l'hôpital et gère les formations, 1 médecin libéral généraliste (président du réseau), 1 médecin libéral à exercice exclusif "plaies" attaché au CHU et 5 médecins hospitaliers (1 gériatre, 2 endocrinologues, 1 dermatologue, 1 chirurgien)

- Financement : FAQSV de l'Urcam + bénéfices issus de l'agence de formation (n° agrément formateur : 91 3404 57 234) et vente DVD

- Couverture géographique : Montpellier, Sète et les environs, dans un rayon de 30 kilomètres

- Conventions signées avec 12 maisons de retraite et 2 cliniques

- Coordonnées : chez Evelyne Ribal, 10 rue Gustave-Bouchardat, Domaine de la Valsière, 34790 Grabels. Tél : 04 67 65 01 47, mail : lr@cicat.org

- Site Internet : https://lr.circat.org

Des dossiers en réseau

Pour gérer ses dossiers patients, le réseau a développé son propre logiciel de suivi des plaies. Seuls les référents-experts peuvent accéder aux dossiers sécurisés en se connectant sur le site Internet à l'aide d'un code d'accès. Le référent découvre l'identité du patient, le nom du médecin traitant et celui de l'infirmier régulier. Suivent l'évaluation clinique (poids, taille) les antécédents et la nature du traitement utilisé, autant d'informations saisies par l'infirmier du réseau qui a accompagné le soignant régulier dans sa visite. Ensemble, ils ont évalué le risque d'escarres (score de Waterloo), la qualité de vie (confort, douleur, handicap) et la plaie. Le référent profite aussi de la visite à domicile pour faire un "état des lieux" plus général : choix du support (lit, coussin) si c'est une escarre, compliance au port de la contention si c'est un ulcère... Tout ce qui peut être vu au domicile mais que le médecin ne dépiste pas toujours en consultation. Sur le dossier que parcourt Chloé Trial-Géri, le soignant référent a inscrit ce qui a été fait dans la case prévue pour les commentaires : « formation individuelle au lit, proposition de nouveau protocole, etc. ». Elle agrandit la photo de l'escarre et revient à l'évaluation colorielle. Taille, profondeur, stade de l'escarre, état des berges de la plaie... Les conseils qui ont été donnés « nutrition, protection de la zone à risque » et le soin protocole « pansement tous les jours, nettoyage sérum physiologique » lui conviennent. Elle compare les deux photos prises à quelques jours d'intervalle : « Il y a moins de noir sur l'escarre... Le soignant a avancé la détersion, c'est très bon. » Ce soir, elle valide la fiche.

L'emploi du temps d'Evelyne

Son bureau, c'est sa voiture : téléphone, ordinateur de poche... Sans se défaire d'un sourire communicatif, Evelyne Ribal partage son activité d'infirmière libérale entre une unité de soin d'hémodialyse basée sur Montpellier (dix jours par mois), son activité libérale dans un cabinet de Grabels qu'elle partage avec deux collègues (sept jours) et son rôle d'expert-référent du réseau plaies et cicatrisations le reste du temps. Elle fait également partie d'une équipe de soins palliatifs composée de quatorze infirmiers libéraux : deux à trois journées de repos sont consacrées à l'accompagnement des malades et de leurs proches, à domicile « en prenant le temps ». L'équipe de soins palliatifs n'a pas reçu de subvention cette année mais continue néanmoins son action. Le lendemain de notre rencontre, Evelyne s'envolait pour Madagascar où une amie médecin devait l'accueillir pour former sur place des agents de santé primaire.