Tournée briéronne - L'Infirmière Libérale Magazine n° 224 du 01/03/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 224 du 01/03/2007

 

Exercice particulier

Entre Vannes et Saint-Nazaire, la Grande Brière (Loire- Atlantique) est un univers d'îles serties par les marais. C'est dans cette campagne bordée de canaux que Marie-Anne Malapanos travaille depuis de longues années.

« L'eau est haute en ce moment », observe Marie-Anne Malapanos en se rendant sur Québitre, une ancienne île aujourd'hui reliée à la campagne par une route bitumée. Sur les terres humides de la Brière, la nuit enveloppe doucement les arbres dénudés qui se reflètent sur ces étendues marécageuses. « La nuit, il faut être prudent, car il arrive que l'on percute un ragondin, explique cette infirmière qui travaille dans la région depuis vingt-sept ans. Les routes en sont parfois jonchées... » Marie-Anne Malapanos s'apprête à faire le dernier soin de sa tournée quotidienne sur ce bout de terre serti par les eaux. Installée depuis 1978 sur la commune de la Chapelle-des-Marais, au nord de la Brière, elle a suivi son époux qui venait juste d'être nommé en poste sur la commune voisine d'Herbignac. « Je n'imaginais pas vivre à proximité d'une réserve naturelle », raconte-t-elle.

Un monde jadis fermé

Au sud de Vannes, entre Saint-Nazaire et Guérande, le marais de la Brière est l'une des importantes zones humides de France : 19 000 hectares de marais uniquement régulés par le Brivet, un affluent qui se jette dans la Loire. Jadis constituée d'îles, la Brière s'est, depuis le début du xixe siècle, peu à peu ouverte au reste du département grâce aux routes reliant les îles entre elles. Très longtemps, ses habitants ont vécu en autarcie, tirant l'essentiel de la nature environnante, grâce à la chasse, à la pêche et à l'extraction de la tourbe pour se chauffer. Dans cet univers de brume et de roseaux, les mariages entre personnes d'une même commune ou d'un village voisin étaient la règle. « Lorsque j'ai débuté, je me souviens, nous avions un classeur avec les noms des patients vivant sur la Chapelle-des-Marais, raconte Marie-Anne Malapanos. Ils portaient tous le même nom et, pour les différencier, nous utilisions les sobriquets qu'ils se donnaient ! » Vince, Aoustin, Mahé, Belliot, Hervy sont les patronymes les plus fréquents par ici.

Dans cet univers, la région parisienne paraît bien lointaine aux yeux de cette infirmière, qui y a pourtant vécu quelque temps. « J'ai fait mes études à Mantes-la-Jolie, à l'école d'infirmière de la Croix-Rouge, se souvient-elle. Puis j'ai travaillé à l'hôpital de Rambouillet et enfin à Guérande, avant d'arriver ici. » Elle effectue alors quelques remplacements dans un centre de soins qui n'existe plus aujourd'hui, où officiaient des infirmières et une religieuse. « C'était une association loi 1901 qui réunissait professionnels et usagers », se souvient-elle.

Ce soir-là, il lui reste quelques patients à voir avant de finir sa tournée. Marie-Anne Malapanos reprendra son travail demain aux aurores : 6 h 45, c'est l'heure du premier patient. Elle tourne ainsi sur la Chapelle-des-Marais, Camer, Mayun, Québitre et les villages alentours, avant de rejoindre le cabinet médical où elle assure quotidiennement des soins.

Travail en réseau

Marie-Anne Malapanos partage ses locaux avec deux médecins et une collègue infirmière libérale. Dans la salle d'attente, quelques patients attendent leur tour. Prises de sang, pansements, vaccins : ce matin, elle reçoit surtout des jeunes femmes résidant sur la commune et ses alentours. « Je vois une vingtaine de patients chaque matin, avant de reprendre ma tournée », explique cette professionnelle aguerrie, qui réalise une bonne quarantaine de kilomètres par jour. Ainsi, on la retrouve un peu plus tard dans une ancienne ferme un peu à l'écart, où elle réalise un prélèvement sanguin chez des gens isolés. Au milieu de la pièce, un poêle, dont la vétusté laisse apparaître des réparations de fortune. Quelques minutes après, elle ressort, direction une petite maison pour, cette fois encore, un prélèvement. « J'ai vingt-cinq patients à voir, explique-t-elle. Parfois, c'est plus calme. Avec ma collègue, nous avons abandonné les soins de nursing, réalisés par des aides-soignantes, voire des auxiliaires de vie ; aujourd'hui, on gère des situations où nous avons plus de responsabilités », explique-t-elle. Les chimiothérapies à domicile, par exemple : Marie-Anne Malaponos travaille d'ailleurs en réseau depuis trois ans avec des médecins, des pharmaciens et des infirmières pour les soins en cancérologie.

L'ouverture de la Brière sur le monde extérieur correspond à l'ère industrielle et à l'avènement des Chantiers de l'Atlantique. Ici, la majorité des habitants travaillent à Saint-Nazaire, soit aux raffineries de Donges, soit surtout aux "Chantiers", comme on les nomme ici. Le France, le Liberté, le Normandie, le Queen Mary ont été construits aux Chantiers de l'Atlantique.

Des victimes de l'amiante

Dans les années 1960 et 1970, nombre de ces salariés ont été exposés à l'amiante. « Ce produit isolant était utilisé pour les tuyauteries des paquebots. Les calorifugeurs qui travaillaient à la pause de l'amiante ont été durement exposés », souligne un habitant de la commune. Avec les problèmes de santé que l'on connaît, ces victimes de l'amiante sont partis en pré-retraites autour de 50 ans. Classé cancérigène en France depuis 1977, ce composant a été interdit en 1997. Malgré tout, « une grande majorité de salariés ont été exposés », explique le docteur Sébastien Cornu, jeune médecin installé depuis sept ans sur la commune de la Chapelle-des-Marais. Résultat : on trouve ici beaucoup de problèmes de plaques pleurales susceptibles d'évoluer vers un cancer du poumon ou de la plèvre. « Mais tous ne développent pas un mésothéliome », poursuit ce praticien.

Aujourd'hui, dans la zone industrielle de Saint-Nazaire, on battit l'habitacle de l'Airbus A 380, mais également des paquebots comme le MSC Orchestra, construit par Aker Yards. « Ce n'est plus comme avant ! » , raconte un ancien des Chantiers. Signe des temps, les bistrots ouvriers de la zone industrielle de Saint-Nazaire ont été progressivement remplacés par les agences de travail temporaire. Certains habitants de la Brière se sont expatriés dans la région toulousaine pour raisons professionnelles. Mais, malgré tout, le Briéron reste attaché à sa terre, qui, de plus, voit arriver de nouveaux habitants. « La population se renouvelle, explique Jean-Claude Halgan, adjoint au maire de la Chapelle-des-Marais. Des jeunes viennent s'installer ici pour fuir les grandes villes telles Nantes, Saint-Nazaire et La Baule, où l'immobilier est devenu inabordable. »

La pharmacie, le lieu incontournable

Grâce à ce brassage de population, les problèmes d'endogamie s'estompent et touchent plutôt les générations anciennes. La clientèle de Marie-Anne Malapanos est constituée pour l'essentiel de personnes âgées, avec des traitements liés aux anti-coagulants, au diabète, des dosages de médicaments pour des gens atteints d'Alzheimer. « Je viens chez cette dame chaque jour pour lui distribuer ses médicaments, sinon elle ne les prendrait pas ! », explique-t-elle chez une de ses patientes. Une dernière glycémie à réaliser, puis l'infirmière se dirige vers la pharmacie. Sourire complice, les deux professionnelles se connaissent bien, et pour cause : Marie-Anne Malapanos vient chaque jour déposer les prélèvements du matin. Un rituel avant de repartir pour la suite de sa tournée qui s'achève vers 13 heures.

Première maison : la porte reste close. Un peu de retard ? En avance ? « Ce n'est pas grave, je repasserai plus tard », poursuit-elle, pas inquiète : Marie-Anne Malapanos connaît en effet très bien ses patients. Un peu plus loin, elle embrasse de bon coeur une dame âgée, signe que cette professionnelle ne prodigue pas que des soins mais aussi du réconfort. « Ah ! On l'adore ! », s'exclame cette patiente, qui n'a rien perdu de sa vigueur. Le long des routes sinueuses, Marie-Anne Malapanos tourne un peu, avant de retrouver enfin la maison qu'elle avait dépassée. C'est la dernière de cette matinée. Elle repartira en fin d'après-midi pour ses patients du soir et finira par Québitre, cette terre insulaire posée depuis toujours au milieu des marais de la Brière.

Le RILE, premier réseau du Plan Cancer

- Le Réseau des infirmières libérales de l'estuaire (le RILE)* existe depuis janvier 2003 et regroupe 122 professionnels de santé. Ce réseau a permis de mettre en relation les structures hospitalières, les médecins oncologues et infirmiers libéraux afin d'entreprendre la poursuite des soins à domicile chez des patients. En ville, comme en campagne, l'infirmière gère tous les besoins liés à cette problématique : alimentation parentérale, traitement de la douleur par pompe, etc. Cette association a vu le jour dans le cadre du réseau Onco Pays de Loire. Elle regroupe cinq départements : La Vendée, la Loire-Atlantique, Le Maine et Loire, la Mayenne et la Sarthe. Le RILE est le premier réseau défini dans le cadre du Plan Cancer. Saint-Nazaire a été choisi comme site pilote. Depuis 2004, 272 patients ont été pris en charge à domicile par des infirmiers libéraux qui ont suivi une formation dispensée par le Réseau et le RILE.

* Le RILE 44 : 15, place de la mairie, 44570 Trignac ; tél. : 06 73 43 26 35.