Vincent Réquillart : « ll y a une incohérence entre la politique de santé nutritionn elle et la politique agricole » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 224 du 01/03/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 224 du 01/03/2007

 

Interview

À l'instar des États-Unis, l'obésité croît rapidement en France depuis une quinzaine d'année et touche surtout les populations en situation précaire. Depuis le 1er février, des messages sanitaires dans les publicités alimentaires doivent apparaître sous peine d'amende pour les firmes agroalimentaires. Mais le consommateur est-il toujours le seul fautif ? Explication avec Vincent Réquillart, chercheur à l'Inra de Toulouse.

Près de six millions d'adultes obèses en France et quinze millions en surpoids bien que la qualité nutritionnelle soit devenue depuis quelques années une priorité publique. Alors, qui faut-il éduquer : le consommateur ou la filière agro-alimentaire ?

Les deux ! Le consommateur évidemment, car, in fine, c'est lui qui achète : il faut donc lui donner une meilleure information afin qu'il puisse mieux prendre en compte les effets éventuellement nocifs sur la santé d'un certain nombre de composants. Et l'agroalimentaire également, car nous utilisons de plus en plus de produits issus de l'agroalimentaire déjà entièrement composés. Autrefois, nous faisions nous-mêmes la cuisine, mais les choses ont changé et les ménages maîtrisent moins la composition des produits. La balle se trouve donc aujourd'hui dans les deux camps.

L'industrie agroalimentaire se défend en disant qu'il n'y a pas de "bon" ou de "mauvais" produit, il y a seulement des bons et de mauvais régimes alimentaires.

L'argument des "bons ou mauvais régimes", pourquoi pas ? Mais si chaque firme ne fait que des produits très riches en sucre et en graisses, on laisse peu de chances aux consommateurs. Les moyens d'action au niveau de l'agroalimentaire doivent être liés à la définition de la composition des produits. Mais aussi, et c'est plus de l'ordre public, on peut essayer de définir des profils nutritionnels pour alerter les consommateurs sur les teneurs plus ou moins élevées de tel ou tel ingrédient, et dont l'utilisation en quantité trop importante aura des conséquences sur la santé. Ceci dit, le problème est un peu plus compliqué car si une des sources de l'obésité est une alimentation trop riche, l'autre source est l'insuffisance de l'activité physique, la sédentarisation et le fait que le travail est différent d'autrefois. Tout ceci explique la croissance rapide de l'obésité.

Il existe déjà des campagnes de santé publique informant le consommateur. Mais comment intervenir auprès des filières agroalimentaires pour lutter contre l'obésité ?

Un certain nombre de choses est en train de se mettre en place : premièrement, des travaux avec l'agroalimentaire, des recherches d'engagement volontaire - et non pas contraint - de modifier certaines recettes, de travailler sur la composition des produits et de prendre des engagements sur la réduction des taux de sucre dans certains produits. C'est la même démarche que celle effectuée il y a quelques temps avec le sel. Deuxièmement, il faut jouer sur les prix car les choix de l'agroalimentaire sont dictés par les prix des matières premières. Or il y a une incohérence entre, d'une part, la politique de santé nutritionnelle, axant ses actions sur la diminution de sucres et de graisses - au moins animales - et recommandant la consommation de fruits et légumes et, d'autre part, les changements de politiques agricoles conduisant à une baisse des prix du sucre et des graisses animales (ou des produits issus du lait). Ces deux politiques, alimentaire et agricole, vont dans des sens contraires puisque les prix influent sur le choix des ingrédients par les industries agroalimentaires : une baisse des prix entraînera par conséquent une tendance à vouloir utiliser plus ces produits.

En effet, d'un côté les fruits et légumes souffrent de tarifs élevés alors que le sucre et le beurre vont baisser : tout cela est-il logique ?

Pour comprendre, il faut tenir compte de plusieurs éléments : d'abord, sur une longue période, les coûts de production des produits transformés ont baissé grâce à une industrialisation et des gains de productivité importants. En revanche, pour les fruits et légumes, cet élément-là joue moins puisqu'une grande partie des coûts de production est liée à la main d'oeuvre : sur la même période, ils ont donc moins baissé que ceux des produits de base utilisés par l'agroalimentaire. Ensuite, il faut connaître l'historique des politiques agricoles : celles sur le sucre, le lait, les céréales, etc., visaient à soutenir les revenus des producteurs en maintenant dans l'Union européenne des prix élevés. Mais cette politique était coûteuse et peu conforme à nos engagements internationaux. Les récentes réformes de la politique agricole consistent donc à baisser les prix des produits agricoles et à soutenir directement les revenus des agriculteurs par des aides aux revenus. Mais cet élément se télescope avec un objectif nutritionnel. Si on veut être logique avec la politique nutritionnelle, il faudrait taxer ces produits pour prendre en compte leur effet négatif sur la santé.

Certains États américains ont franchi le pas en choisissant de taxer les sodas, les bonbons et même le chocolat au Texas. Peut-on envisager la même chose en France ?

À ma connaissance, cela n'existe pas en France. Mais avec une volonté politique, c'est possible ! Dans la plupart des pays européens, il y a une forte réticence à utiliser ces outils de taxation sur l'alimentation. De plus, l'obésité est liée à la sociologie : elle frappe de façon plus forte les milieux défavorisés pour lesquels les alternatives sont plus difficiles, et une taxation les touchera de plein fouet car les produits qu'ils consomment seront renchéris... Cet élément freine probablement la mise en place de la taxation. Quels sont donc les moyens d'action ? L'information, l'engagement volontaire... Mais il ne faut pas s'interdire le levier de la taxation, même s'il remet en cause les intérêts d'un certain nombre de filières. Il est évident que, quand des politiques de ce type sont engagées, il y a des gagnants et des perdants.

Au final, l'obésité coûte cinq milliards d'euros par an à l'assurance maladie, c'est cinq fois plus qu'il y a quinze ans. La loi du 9 août 2004 sur la santé publique interdit notamment les distributeurs à l'école, mais est-ce suffisant ?

Non, et c'est pour cela qu'il faut absolument regarder de plus près cette possibilité d'action sur les prix. Cela ne veut pas dire qu'il faut supprimer les actions déjà entreprises mais elles ne paraissent pas toujours à la hauteur des enjeux. Il ne s'agit pas de taxer pour créer une ressource supplémentaire utilisée pour autre chose que la santé ; il s'agit de favoriser la recherche et le développement ou la consommation d'autres produits, comme par exemple les fruits et légumes.

Comment les infirmières libérales peuvent-elles informer ou prévenir la population sur la nutrition ?

Un plan national nutrition-santé* élaboré par des médecins et des nutritionnistes a été mis en oeuvre depuis 2001, elles peuvent le faire connaître. Je ne suis pas nutritionniste, je ne peux donc pas dire s'il faut mettre tel ou tel aliment en avant. Mais au niveau des consommateurs, la prise de conscience est absolument nécessaire.

* Site Internet : http://www.mangerbouger.fr

Vincent Réquillart en quelques dates-clés

- 1985 : entrée à l'Inra (Institut national de la recherche agronomique).

- 1994 : directeur de recherche.

- 1996 : chercheur à l'IDEI (Institut d'économie industrielle).

- 1996-2005 : directeur de l'unité économique, Inra Toulouse.