Essor des associations : la solidarité en marche - L'Infirmière Libérale Magazine n° 230 du 01/10/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 230 du 01/10/2007

 

Initiatives en réseau

Pour faire face à la complexification des prises en charge à domicile, les infirmiers libéraux sont de plus en plus nombreux à se regrouper en associations. Coordination téléphonique, actions de formation, élaboration de dossiers de soins : ces rapprochements en font des acteurs incontournables sur leur territoire. Et si c'était là l'avenir de la profession ? Réponse avec trois associations du grand Sud de la France.

À croire qu'elles se sont donné le mot... D'Argil 06, dans les Alpes-Maritimes, à Adilva, en Haute-Savoie, en passant par Sidéral Santé, à Toulouse, des dizaines d'associations d'infirmiers libéraux sont apparues ces dernières années, un peu partout en France. Bâties sensiblement sur le même modèle, elles poursuivent les mêmes objectifs : promouvoir, développer et organiser les soins infirmiers sur leur territoire.

À l'origine de cet élan commun, le même événement fondateur : les mouvements syndicaux du début des années 2000, et les manifestations contre le Projet de soins infirmiers (PSI) en particulier : « À la faveur de cette mobilisation, nous avons commencé à nous rapprocher les uns des autres et à échanger. Nous nous sommes ainsi rendus compte que nous rencontrions les mêmes problèmes dans la prise en charge des patients à domicile », raconte David Guillon, président de la coordination Argil 06, fondée à Nice en 2001.

Difficulté à faire converger l'offre et la demande alors que les durées d'hospitalisation se raccourcissent, manque de coordination avec les établissements de santé pour organiser le retour à domicile des patients, concurrence des structures du type HAD ou Ssiad, difficile accès à la formation : face à ces nouveaux enjeux de proximité, les infirmiers prennent conscience de la nécessité de se regrouper et de s'organiser localement.

DIALOGUE ET SOLIDARITÉ

« Les manifs ont constitué un vrai tournant dans l'histoire de la profession. Les libéraux, jusque-là très individualistes, ont découvert que la solidarité pouvaient l'emporter sur la concurrence et le chacun pour soi », note Philippe Bordieu, secrétaire général de Sidéral Santé, une union d'associations réparties sur la Haute-Garonne et le Gers. Dans cette région, les infirmiers ont commencé à se regrouper en 2002, par codes postaux, puis par bassins de vie, jusqu'à former une douzaine d'associations. Pour unir leurs forces et s'exprimer d'une seule voix face aux tutelles, ces associations ont décidé, en 2003, de se rassembler au sein d'une union, Sidéral Santé, qui regroupe aujourd'hui 17 structures, soit 650 professionnels libéraux, y compris des pharmaciens, des médecins ou des diététiciennes.

Quelle que soit leur histoire, ces associations professionnelles se sont développées, en général, autour de trois grands axes : la coordination des soins infirmiers, qui s'est traduite par la mise en place de permanences téléphoniques ; la continuité des soins, avec la création de dossiers de soins destinés à coordonner les différentes interventions autour du patient à domicile ; la promotion de la qualité, à travers l'organisation de formations, et l'élaboration et la mise à disposition de référentiels et de protocoles.

DES DÉLAIS RACCOURCIS

L'association Argil 06 s'est ainsi construite, dès le départ, autour d'un projet de coordination téléphonique ambitieux, étendu à l'ensemble des professionnels des Alpes-Maritimes : « On reproche souvent aux libéraux d'être difficiles à joindre, remarque David Guillon. L'idée d'une telle coordination était donc de centraliser la demande autour d'un numéro de téléphone unique, pour que le patient n'ait plus à passer 25 coups de fil avant de trouver une infirmière disponible à proximité. »

L'association aurait pu décider, cependant, d'orienter les appels vers les seuls cabinets adhérents de l'association, « mais cela nous aurait posé un problème de déontologie et aurait remis en question le principe du libre choix du patient », explique David Guillon, pour qui Argil se démarque ainsi des « cabinets de groupe géants qui se sont multipliés ces dernières années et qui ont des méthodes très agressives... ».

Pour constituer leur fichier, qui répertorie aujourd'hui pas moins de 1 850 infirmiers, dont 900 numéros de téléphones portables, les responsables d'Argil se sont livrés à un patient travail de compilation d'informations, croisant les données du bottin avec celles de la Cram. Ils ont ensuite contacté chaque professionnel pour mettre en évidence ses secteurs d'exercice, les soins qu'il accepte de prendre en charge et les formations qu'il a suivies. Le fichier est régulièrement remis à jour, et les infirmiers sont invités à informer Argil de leurs disponibilités. Un système qui permet à l'équipe de coordination, composée d'une secrétaire et d'infirmiers libéraux vacataires, d'orienter le patient, en deux appels en moyenne, vers un professionnel disponible près de chez lui et qualifié pour le type de soin à prendre en charge.

UNE MEILLEURE VISIBILITÉ

Même si leurs fichiers ne sont pas aussi conséquents, d'autres associations ont mis en place le même type de coordination. C'est le cas de Sidéral Santé, à Toulouse, ou encore d'Adilva, une structure née en Haute-Savoie en 1998 et qui regroupe aujourd'hui 50 adhérents, soit 85 % des cabinets de soins de la Haute Vallée de l'Arve.

Pour Christine Beligand, sa présidente, la coordination téléphonique ne rend pas seulement service aux patients : elle favorise les coopérations entre professionnels en cas de prises en charge très lourdes et permet d'envisager des partenariats avec les établissements de soins : « Lorsque nous l'avons informé de notre initiative, le directeur de la future HAD de l'hôpital de Sallanches s'est montré très intéressé. Il s'est immédiatement engagé à ne pas salarier d'infirmières, mais à travailler en partenariat avec nous », se réjouit-elle, avant d'ajouter : « Le temps des luttes entre libéraux et services de soins ambulatoires est révolu. Il faut aujourd'hui nous structurer, pour travailler en coordination avec les autres acteurs du domicile. »

Regroupés en associations, donc mieux organisés, les libéraux bénéficient en effet d'une meilleure visibilité et deviennent des partenaires plus évidents pour les autres professionnels de santé de leur secteur, mais aussi pour les établissements de soins, les services sociaux ou les organismes de tutelle. C'est leur regroupement au sein de l'union Sidéral Santé qui a ainsi permis aux libéraux toulousains de signer des conventions avec des Ssiad et des services d'aide à domicile de la région, et de nouer des partenariats avec des services d'HAD ou des réseaux de santé.

La coordination Argil s'est fait connaître, quant à elle, des différents centres communaux d'action sociale (CCAS) et services gérontologiques des Alpes-Maritimes pour organiser les sorties d'hôpitaux de patients âgés. Elle s'est impliquée également dans le montage de Centres locaux d'information et de coordination (Clic) et de réseaux de santé (gérontologie, diabète, soins palliatifs...), avec lesquels elle travaille toujours en étroite collaboration.

Depuis quelques années, soucieuse de s'ouvrir à d'autres types de soins, elle noue des partenariats plus ciblés et plus techniques. Elle a ainsi participé à une expérimentation de débranchements de chimiothérapie à domicile, qui a permis au service de chimiothérapie ambulatoire de la clinique Saint-Georges, à Nice, de doubler le nombre de patients pris en charge. Elle s'est également engagée dans un projet d'injection d'antibiotiques à domicile, afin de décharger les services de l'hôpital pour enfants de Nice : « Nous essayons d'être force de proposition et de montrer les nombreux services que nous pouvons rendre, du fait de notre organisation en réseau », explique David Guillon.

PROMOUVOIR LA QUALITÉ

Mais les synergies créées par ces associations ont encore bien d'autres retombées. À Toulouse, Sidéral Santé a ainsi mis au point un dossier de soins adapté à l'exercice libéral, permettant la coordination d'une équipe pluridisciplinaire autour du patient. Un subventionnement du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (FAQSV) lui a permis d'en éditer 2 000 exemplaires. À Nice, la coordination Argil a entrepris la même démarche, en collaboration avec le CHU et le Clic, pour élaborer un dossier de soins unique et coordonné, destiné à l'ensemble des professionnels intervenants au lit du patient.

L'autre grande mission de ces structures est de faciliter l'accès de ses membres à la formation continue. Ce fut d'ailleurs l'un des principaux mandats d'Adilva à ses débuts : « Dans notre région, nous ne bénéficions pas de la proximité de grands centres hospitaliers. Or, notre métier devenant de plus en plus technique, il faut nous former sans relâche pour rester à la pointe », explique Christine Beligand.

FINANCEMENTS DIFFICILES

L'association organise ainsi plusieurs formations par an, mais aussi des réunions thématiques, animées par des binômes médecin/infirmière, et des conférences sur des pathologies données (diabète, mucoviscidose) pour lesquelles elle fait appel à des médecins spécialistes, des associations ou des laboratoires pharmaceutiques : « En général, ils acceptent de se déplacer gratuitement. Cinquante infirmières qui manifestent leur désir de se former, ça motive ! »

Même constat du côté de la coordination Argil, qui anime des groupes de travail pluridisciplinaires dont la mission consiste non seulement à organiser des formations, mais aussi à répertorier, adapter ou créer des fiches techniques, des protocoles de soins ou des guides, à destination des professionnels.

Au final, les associations d'infirmiers libéraux agissent dans de nombreuses directions, mais toujours avec le même objectif : promouvoir la qualité des soins infirmiers. Seule ombre au tableau : les financements ont encore bien du mal à suivre. Pour le moment, Adilva fonctionne grâce au seul produit des adhésions... et au bénévolat de ses membres. Quant à la coordination Argil, elle aura déposé pas moins de six demandes de subvention, avant d'obtenir, en 2005, un premier financement du FAQSV pour deux ans.

Un réseau actif dans toute la France

- Non seulement ils ne se sont pas donné le mot, mais ils ont même ignoré longtemps qu'ailleurs en France, d'autres avaient eu les mêmes idées qu'eux... Il faut attendre mars 2003 pour que les promoteurs de huit projets similaires se réunissent, à l'initiative des associations Argil 06, Résiladom 33 et Sidéral 31, pour un premier "Forum des associations et réseaux de soins du grand Sud".

- Le but de cette journée de rencontre ? « Faire profiter les autres associations de notre expérience et leur piquer en échange quelques idées pour avancer », explique le président d'Argil 06, David Guillon. C'est aussi en participant pour la première fois au Forum, il y a trois ans à Bordeaux, que Christine Beligand, présidente d'Adilva, a eu l'idée de mettre en place chez elle, en Haute-Savoie, un système de coordination téléphonique : « Au lieu de réinventer la poudre chacun dans son coin, on échange, on partage, on s'entraide. »

- Fort de ce succès, le Forum s'est élargi, depuis 2003, à une quinzaine d'associations d'infirmiers libéraux, situées dans toute la France. La solidarité est en marche.