Le Comede, terre de soins pour les exilés - L'Infirmière Libérale Magazine n° 234 du 01/02/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 234 du 01/02/2008

 

Exercice particulier

En banlieue parisienne, une association loi 1901, le Comede, accueille des personnes exilées en demande de soins. Le service infirmier du Comité médical pour les exilés doit effectuer un véritable travail d'orientation et de conseil, la plupart du temps en langue étrangère.

Sur le site du centre hospitalier du Kremlin-Bicêtre, au deuxième étage d'un petit pavillon délabré, le Comité médical pour les exilés a reçu depuis 1979 plus de 87 000 exilés de 130 nationalités différentes. Quand Guy Delbecchi, cadre infirmier, arrive ce mercredi matin, six personnes sont déjà installées dans la salle d'attente. « Les exilés ont l'habitude de faire la queue partout, d'arriver les premiers pour être reçus. Ici, on essaie d'éviter ça au maximum en prenant des rendez-vous au téléphone pour les consultations, mais certains arrivent des heures en avance », explique-t-il.

Le premier contact des patients avec le Comede est assuré, dans 90 % des cas, par le service infirmier. Guy Delbecchi et ses deux collègues doivent établir, en un entretien de 18 minutes, une véritable "carte d'identité" du patient, mais aussi l'orienter au mieux dans son parcours de soin, et le conseiller sur ses droits et ses démarches. La rencontre est donc dense, et déterminante pour la suite. « Certains patients viennent de loin, de banlieue mais aussi de province, explique Guy. Le comité doit donc essayer de faire le maximum pour éviter à la personne de revenir. » Parfois sans-papiers ou du moins en situation administrative précaire, les patients prennent des risques en venant au Comede, notamment celui d'être arrêté par la police. Conscient de ce danger, le service infirmier prend chaque cas très au sérieux, et cherche toujours une solution rapide.

Guy Delbecchi se félicite du statut du Comede, association loi 1901 créée par la Cimade, Amnesty international et le Groupe accueil solidarité et gracieusement hébergée par le Kremlin-Bicêtre. « C'est très sécurisant pour les patients de venir dans les murs d'un grand hôpital public, ils ne risquent pas d'être stigmatisés. Dans un contexte où les étrangers sont pourchassés, c'est très important », remarque-t-il.

Des situations très mouvantes

Comme tous les mercredis matins, le comité reçoit en priorité les patients turcophones, profitant de la présence d'une interprète. Guy Delbecchi invite Goran, la quarantaine, à entrer dans son bureau. Il vient pour la première fois au Comede, un dossier à son nom doit donc être créé. Nom, prénom, nationalité, date d'arrivée en France... Certaines cases sont difficiles à remplir, comme l'adresse et le droit ou non à la Couverture maladie universelle (CMU) ou à l'Aide médicale d'État (AME). « Les situations sont très mouvantes, constate Guy, tout est à refaire à chaque visite. » Goran est Kurde, il est arrivé en France en 2003 pour fuir les tortures en Turquie, et vit actuellement à Dammarie-les-Lys. Côté papiers, Goran tente actuellement un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile, après le rejet de sa première demande. En quatre ans, il est allé seulement une fois chez le médecin car il n'a pas d'assurance complémentaire. Il se plaint de maux de ventre, Guy lui annonce qu'il verra un médecin immédiatement, juste en face du bureau infirmier. Il évoque, à l'aide de l'interprète, l'existence de l'AME. Goran n'en a visiblement jamais entendu parler. Guy ne se contente pas de fournir au patient le formulaire de demande de l'AME, il lui montre, case après case, comment le remplir. « N'écrivez surtout pas 0 euro dans la case "revenus", sinon vous n'obtiendrez pas l'aide. Il faut évaluer à combien revient l'aide de vos amis, le logement, la nourriture », met en garde l'infirmier. Goran semble comprendre le principe de l'AME, mais reste perplexe. Difficile pour une personne en situation irrégulière d'imaginer qu'elle a droit à un accès gratuit aux soins. « Notre système de soins est difficile à comprendre pour les kurdes car ils n'appartiennent pas à une communauté structurée », ajoute Guy.

Aujourd'hui, le conseil et l'orientation constituent les trois quarts de l'activité du service infirmier. Guy Delbecchi a observé, depuis son arrivée au Comede en 1986, une évolution radicale de la demande. « Au départ, décrit-il, nous avions une grande demande de soins immédiats, car les personnes exilées en France n'avaient pas accès à la protection maladie. Les patients avaient des pathologies variées, parfois très graves. Nous avons notamment vu beaucoup de cas de sida déclaré. » Avec l'instauration de la CMU en 2000, la demande change. « Nous dispensons toujours des soins, mais nous sommes surtout dans l'évaluation, savoir où le service sera le mieux rendu. »

"Doctor"

Sur le bureau de Guy Delbecchi, une petite pancarte indique son nom et "infirmier/nurse". Pourtant, pour les patients, son rôle et son statut ne sont pas forcément limpides. Un patient jordanien, à peu près à l'aise en anglais, ponctue toutes ses phrases de « doctor ». « Nous sommes souvent la première personne du corps médical qu'ils rencontrent depuis longtemps, de ce fait, il est parfois difficile de les freiner, ils ont envie de tout nous raconter », analyse Guy. Un trentenaire sri lankais veut ainsi à tout prix montrer à l'infirmier sa cicatrice au genou : « vous le montrerez au médecin », conseille Guy.

Les infirmiers du Comede font peu de soins, si ce n'est des injections de vaccins, ou ponctuellement des pansements. Les patients sont dirigés vers les médecins du comité, qui eux-mêmes leur prennent parfois rendez-vous chez le psychothérapeute. Car les souffrances endurées par les exilés peuvent aussi être psychiques. Un jeune homme originaire de Guinée Conakry raconte ainsi à Guy Delbecchi son calvaire quotidien. Torturé en prison pendant six mois, il vit en France depuis octobre, dans la rue. « J'ai mal au dos, à la tête. J'ai le nez qui saigne. Je fais des cauchemars tout le temps, je me réveille en sursaut et je marche au hasard... Parfois dans le métro je crie, je ne sais pas pourquoi, quand je vois des policiers je tremble partout, je ne peux plus bouger... »

Les exilés reçus par le Comede sont souvent des hommes, célibataires ou vivant seuls. En galère de papiers, de travail, de logement, ils se préoccupent peu de leur santé. Le Comité essaie de les y intéresser progressivement, par le biais de séances d'éducation thérapeutique. Animés par une infirmière, ces entretiens individuels se déroulent soit en français, soit en anglais, ou avec un interprète. Ils visent à amener le patient atteint d'une pathologie chronique à être acteur de sa santé pour qu'il se prenne en charge.

Vigie de la santé

Aucun spécialiste ne travaille au Comede, afin d'éviter que celui-ci ne devienne « un centre de santé autosuffisant en circuit fermé, indique Guy Delbecchi. On ne fait pas de caritatif, on est là pour assurer une mission de santé publique, avec également un rôle d'observatoire de la santé, de vigie ». Le Comede a pourtant sa propre pharmacie, principalement alimentée par des médicaments non utilisés (MNU), mais elle n'est utilisée qu'en dépannage. « On envoie les patients dans les pharmacies de ville proches de leur lieu de vie, où l'on sait que ces patients sont acceptés », raconte l'infirmier. Les exilés doivent aussi faire face au refus de soins de certains médecins libéraux, et Guy « attend que la Cnam et le ministère sortent des outils pour pallier au refus de soins ». « L'offre du Comede est toujours inférieure aux besoins, et le service infirmier s'est calqué sur l'incapacité du service médical à accueillir tout le monde », décrit-il. En vingt ans, le cadre infirmier ne compte « qu'une journée à se tourner les pouces ».

Les résultats du rapport 2006

Chaque année, le Comede publie un rapport d'activité et d'observation sur la santé des exilés. En voici les éléments-clés.

- En 2006, les patients du Centre de santé étaient domiciliés en 2006 dans 288 communes et 35 départements.

- Quatre nationalités ont connu une forte augmentation par rapport à 2005 : Algérie (+ 42 %), Haïti (+ 31 %), Russie/Tchétchénie (+ 21 %), et Côte d'Ivoire (+ 18 %). Les patients reçus sont le plus souvent des hommes (73 %), jeunes (âge médian 32 ans), et récemment arrivés en France (médiane 16 mois).

- Les personnes d'Afrique Sub-Saharienne payent le plus lourd tribut à la maladie parmi l'ensemble des exilés. Parmi ceux d'Afrique centrale, le psycho-traumatisme grave (72 pour mille), les maladies cardiovasculaires (67), l'hépatite B (43), l'infection à VIH (33), et l'hépatite C (22) sont particulièrement fréquents.

- La moitié des patients du Comede ont eu à subir des violences (définition OMS, 2002) dans leur pays d'origine, et un quart ont eu à subir la torture (définition ONU, 1984). En 2006, 56 % des nouveaux patients du Comede étaient dépourvus d'une protection maladie efficiente lors de la première consultation (dispense d'avance des frais par la CMU-C ou l'AME).