Martin Winckler : « les infirmières ont un rôle de contre poids au silence des médecins » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 234 du 01/02/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 234 du 01/02/2008

 

Interview

Alors que l'on vient de célébrer les quarante ans de la loi Neuwirth, véritable tournant dans la sexualité des femmes, la France enregistre toujours plus de 200 000 interruptions volontaires de grossesse par an. La responsabilité en incombe à la communauté médicale, selon Martin Winckler.

Comment se fait-il qu'il y ait encore autant d'IVG en France ?

Pour que les femmes soient protégées contre une grossesse, il ne faut pas seulement qu'elles disposent d'une méthode de contraception, il faut aussi que les méthodes de contraception soient facilement accessibles et qu'elles sachent s'en servir. Or en France où tout est hiérarchisé, où il y a très peu de vulgarisation médicale à l'intention du grand public, le goulot d'étranglement sur l'information, ce sont les médecins. Ce sont eux qui disposent de l'information en santé. Et pour que les gens en disposent aussi, il faut la diffuser : de manière individuelle, au travers de livres ou d'émissions et dans la presse.

N'y a-t-il pas de livres en France sur le sujet ?

À l'heure actuelle, je crois pouvoir dire que je suis le seul à avoir écrit un ouvrage sur le sujet. Il n'en existe pas d'autres qui soient écrits par des médecins qui ont fait le tour de toute la littérature internationale sur le sujet. Or l'information est parfaitement répandue, dans la mesure où la contraception, le contrôle des naissances sont une problématique planétaire. Du coup, quand les journalistes n'interrogent pas leur gynécologue personnel, ils s'adressent de plus en plus à moi pour leurs articles sur la contraception. Ce qui signifie donc qu'il n'y a pas d'autres sources facilement accessibles à tous. De manière générale, il faut dire aussi que la contraception n'est pas un sujet qui intéresse les gynécologues ou les patrons de CHU, parce que la contraception, c'est ce que l'on appelle des soins primaires. Ce n'est pas spectaculaire comme la FIV ou la chirurgie du foetus intra-utérin. Du fait de ce manque d'intérêt, les gynécologues et patrons de CHU continuent à trimballer des idées vieilles de quarante ans.

Pourquoi ces idées n'arrivent-elles pas à évoluer ?

L'information ne circule pas dans le monde médical français. Il y a des professionnels qui connaissent très bien la contraception mais ils ne parviennent pas à la diffuser parce qu'il y a des blocages énormes inhérents à la structure féodale de la médecine française. C'est aussi du au fait que si quelqu'un qui n'est pas du sérail émet un avis, il ne peut pas être entendu. À l'inverse, quand un professeur en chaire s'exprime, ce qu'il dit devient parole d'Évangile. La population ne pourra pas accéder à une information de valeur tant que les médecins eux-mêmes ne corrigeront pas leurs informations.

Est-ce le cas pour la pilule ?

Les femmes continuent à penser que la pilule fait grossir, qu'elle donne de l'acné, etc.

Oui et c'est la même chose pour toutes les méthodes de contraception. Les idées fausses ont la vie dure... Statistiquement, il est en fait moins dangereux d'utiliser une méthode de contraception, quelle qu'elle soit, y compris la pilule combinée qui est celle qui présente le plus d'inconvénients ou d'effets secondaires - c'est la seule qui, si elle est prescrite de manière inadéquate, peut provoquer un décès - que d'être enceinte. Il y a plus d'accidents thrombo-emboliques chez les femmes enceintes que chez celles qui prennent la pilule. Donc, statistiquement, vous courez moins de risques en utilisant une contraception qu'en étant enceinte.

Pensez-vous vraiment que les médecins n'informent pas suffisamment les femmes ?

En septembre, l'INPES a lancé une campagne sur la contraception. Trois mois plus tôt, ils m'ont contacté pour m'expliquer leur projet, faire un site Internet, http://www.choisirsacontraception.fr, et pour me demander de rédiger les textes scientifiques sur le site. On est venu me le demander à moi. Je ne suis ni professeur de faculté, ni gynécologue-obstétricien : et pourtant, comme je vous le disais, je suis la seule personne en France qui a écrit un livre sur l'état scientifique des connaissances dans le monde. Je ne dis pas cela par vanité : je le dis parce que je suis en colère. Cela aurait du être fait il y a quinze ou vingt ans. Qui plus est, les gynécologues me détestent parce que j'ai écrit ce livre et parce que je dis dans les journaux qu'ils ne font pas leur boulot. J'ai de bonnes raisons de le dire : par exemple, pour qu'une femme ait accès à une contraception, il faut qu'elle ait le choix. Or, les médecins se contentent le plus souvent de prescrire la pilule. Si une femme veut un stérilet ou un implant alors qu'elle n'a pas d'enfant, ça défrise le gynécologue. Il refuse, alors qu'il n'a pas à dire non. Il peut expliquer qu'il y a une contre-indication quand il y en a une mais, neuf fois sur dix, ce n'est pas le cas. Il doit exposer les avantages et les inconvénients et demander à sa patiente de faire son choix. Alors, seulement, elle le fera en toute connaissance de cause.

Est-ce que vous diriez que les gynécologues prescrivent plutôt la pilule parce que cela suppose des rendez-vous plus réguliers ?

Même pas. C'est beaucoup plus pragmatique que cela. Prescrire la pilule, c'est facile. Vous écrivez un mot sur une ordonnance. En revanche, le stérilet, il faut le poser, il faut l'expliquer à la femme. Et il en est de même pour les implants. C'est un peu délicat, mais ce n'est pas très compliqué. Ce n'est quand même pas de la neurochirurgie.

Comment expliquer cette attitude des gynécologues ?

Le problème de la prescription est lié au fait que les femmes doivent passer par le médecin. Or les médecins ne sont pas bien formés. Dans les facultés, les patrons de gynécologie qui devraient s'occuper de cela ne font pas l'enseignement ou le font faire par des gens qui ne sont pas compétents. Les médecins ne sont pas formés au savoir, au savoir-faire, ils ne sont pas formés non plus au savoir être et au relationnel avec le patient. Cela demande du temps, de l'écoute. Autant de choses qu'ils n'ont pas appris à la faculté de médecine.

Dans ce contexte, quel pourrait être le rôle des infirmières ?

Les infirmières et les sages-femmes font des choses bien plus compliquées que de poser un stérilet. Les sages-femmes - c'est scandaleux - peuvent prescrire trois mois de contraception après l'accouchement mais elles n'ont le droit ni de poser un stérilet, ni de poser un implant. Le système de santé est assujetti au désir de pouvoir des médecins. Aujourd'hui, la seule chose que peuvent faire les infirmières, c'est informer, faire passer l'information. Elles ont un rôle très important dans ce domaine. Il n'y a qu'en faisant un contrepoids au silence, à l'incompétence ou au refus des médecins que l'on peut faire changer les choses. Ce qui me parait révolutionnaire, ce qui me paraît productif, c'est de ne pas garder l'information pour soi, de la partager, de décider que les femmes non médecins sont aussi capables que les autres de diffuser et de comprendre cette information.

Martin Winckler en quelques dates-clés

- 1984 : un an après son installation comme médecins généraliste, commence à pratiquer des avortements au centre d'IVG de l'hôpital du Mans

- 1998 : reçoit le livre Inter pour La Maladie de Sachs, Éditions P.O.L

- 2002-2003 : tient une chronique quotidienne sur France Inter, Odyssée

- 2007 : publication de la troisième édition de Contraceptions mode d'emploi et de Choisir sa contraception, Éditions Fleurus