Éducation thérapeutique : place aux patients ! - L'Infirmière Libérale Magazine n° 235 du 01/03/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 235 du 01/03/2008

 

Perspectives et enjeux

Pratique ancienne des infirmières, l'éducation thérapeutique, qui vise à rendre les patients acteurs de leur prise en charge, revient au centre du débat au travers de plusieurs intiatives. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Quelles conséquences pour les soignants ?

Ce n'est pas encore la panacée, mais presque. Inscrite depuis 2005 parmi les priorités de l'Assurance maladie en matière de gestion du risque, préconisée par le plan ministériel 2007/2011 d'amélioration de la qualité de vie des patients atteints de maladies chroniques, l'éducation thérapeutique fait l'objet, depuis le début des années 2000, d'une volonté institutionnelle affirmée, à l'origine d'initiatives de plus en plus nombreuses et variées.

Longtemps cantonnée à la sphère hospitalière, qui l'a vue naître, et réservée à un petit nombre de pathologies, comme le diabète ou l'asthme, elle investit peu à peu la médecine ambulatoire - via les réseaux de santé notamment - et s'étend à de nouvelles maladies, telles que l'insuffisance cardiaque ou l'obésité.

Ni simple effet de mode ni vraie révolution thérapeutique, l'engouement actuel pour cette pratique encore jeune, située aux confins de la médecine et des sciences humaines, se justifie d'abord par l'explosion des maladies chroniques.

DES MILLIONS DE PERSONNES CONCERNÉES

En France, on estime en effet que 15 millions de personnes - soit près de 20 % de la population - souffrent d'une maladie chronique. À lui seul, le diabète touche ainsi 2,5 millions de personnes, avec une prévalence qui a doublé en dix ans. Dans ce contexte, l'éducation thérapeutique, définie par l'Organisation mondiale de la santé comme un processus visant à « aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique », devient de plus en plus incontournable.

« Dans le cadre d'une affection comme le diabète par exemple, il ne suffit pas de prescrire des médicaments pour améliorer l'état de santé des patients, rappelle Michel Varroud-Vial, diabétologue et secrétaire général de l'Association nationale de coordination des réseaux diabète (Ancred). La clé du succès, c'est que ces derniers modifient en même temps leurs comportements en matière de nutrition ou d'activité physique. D'où l'intérêt de l'éducation thérapeutique, qui les amène à devenir acteurs de leur santé. »

CERCLE VERTUEUX

De nombreuses études l'ont montré : un patient informé sur sa maladie s'impliquera davantage dans sa gestion. Il suivra mieux son traitement, adoptera de bons réflexes hygiéno-diététiques, sera capable de repérer et d'évaluer les signes d'alerte... Avec, à la clé, une réduction des complications et une amélioration de la qualité de vie.

Ce cercle vertueux - qui pourrait, selon l'OMS, être mis en oeuvre dans pas moins de 80 états pathologiques - s'est particulièrement développé, ces dernières années, dans le cadre du diabète de type 2. Avec la création des réseaux diabète, l'éducation thérapeutique des patients, déjà pratiquée par de nombreux services hospitaliers, s'est en effet élargie aux soins de ville : « C'est la principale révolution de ces dix dernières années, estime Michel Varroud-Vial. Aujourd'hui, l'éducation thérapeutique n'est plus obligatoirement liée à une hospitalisation, ce qui la rend à la fois plus accessible et moins coûteuse. »

DES SÉANCES DE GROUPE

Véritable colonne vertébrale des 72 réseaux diabète actuellement en activité en France, les programmes d'éducation thérapeutique ambulatoires prennent le plus souvent la forme de séances de groupe, animées par des infirmiers, des diététiciennes ou des podologues.

Au menu : ateliers d'autosurveillance glycémique, cours de cuisine, marche à pied, sensibilisation aux soins des pieds... « La force de ces séances, c'est l'interactivité, explique Aïcha Tabbakhe, infirmière et membre de l'équipe de coordination du réseau Revesdiab, qui prend en charge les diabétiques de type 2 dans le Val-de-Marne, l'Essonne et la Seine-et-Marne. On travaille à partir du vécu des patients et de leurs mots à eux, afin de leur rendre la maladie et son fonctionnement plus compréhensibles. Et puis il y a l'"effet groupe", qui est une vraie source de motivation. »

Cette recette éprouvée est aujourd'hui reprise dans le cadre d'autres affections de longue durée. Après une expérimentation très positive dans neuf régions, à partir de 2004, la Mutualité sociale agricole a ainsi lancé, en 2006, un programme d'éducation thérapeutique national, à destination des patients atteints de maladies cardiovasculaires.

SE REMETTRE EN QUESTION

Au moment de leur demande de mise en affection de longue durée (ALD), ces patients se voient proposer gratuitement trois séances d'éducation de groupe, de trois heures chacune. Animés par une infirmière libérale spécialement formée et basés sur des activités ludiques et interactives, ces ateliers les amènent à identifier les facteurs de risques liés à leur maladie, à distinguer les groupes d'aliments à réduire ou à privilégier dans leurs repas, ou encore à évaluer les signes d'alerte, comme la douleur ou les oedèmes.

Pour les soignants, habitués depuis toujours au colloque singulier avec un patient passif, ces nouvelles pratiques entraînent évidemment de profondes remises en question : « L'éducation thérapeutique nous oblige à considérer les patients comme des partenaires à part entière, explique Dominique Vendé-Guérin, infirmière libérale et animatrice des séances d'éducation thérapeutique organisées par la MSA de Charente-Maritime. Cela implique d'abandonner l'idée que nous avons la solution à tout et d'accepter que les patients nous apprennent des choses sur leur maladie. »

S'ADAPTER AU PATIENT

Tout programme d'éducation thérapeutique s'appuyant sur un diagnostic éducatif personnalisé vise à adapter le contenu de l'apprentissage aux modes de vie, à la personnalité, aux attentes et aux ressources de chaque patient.

Les soignants doivent également apprendre à individualiser davantage les prises en charge. Pour Aïcha Tabbakhe, cela signifie notamment s'intéresser aux spécificités culturelles de chacun : « Sur le plan nutritionnel, par exemple, on ne peut pas éduquer un diabétique français lambda comme un diabétique turc ou malgache : il faut évidemment s'adapter ! »

Pour les soignants, cette nouvelle relation de soin est d'autant plus délicate à gérer que les patients acquièrent parfois des compétences très techniques, qui en font de véritables experts, capables de gérer leur prise en charge en toute autonomie. Depuis le début des années 2000 et l'apparition de l'insulinothérapie fonctionnelle, les diabétiques de type 1 apprennent ainsi à adapter eux-mêmes leurs doses d'insuline à leur alimentation. Une nouvelle donne, qui a obligé les professionnels à redéfinir leur place dans la prise en charge : « Grâce à cette technique, les patients ont repris le pouvoir sur leur maladie, et c'est tant mieux !, constate Jean-Pierre Riveline, praticien hospitalier au service de diabétologie du Centre hospitalier de Corbeil-Essonnes. Mais il a fallu, dans le même temps, réaffirmer la nécessité d'une surveillance intensive par un diabétologue. Avec le temps, une lassitude peut s'installer chez les patients et des rappels éducatifs s'imposent. »

DES FRONTIÈRES FLOUES

Pour être acceptés et maîtrisés par les professionnels, ces nombreux bouleversements nécessitent aujourd'hui un accompagnement renforcé, qui passera certes par une meilleure formation des intervenants, mais aussi par un travail de définition de ce qu'est précisément l'éducation thérapeutique... et de ce qu'elle n'est pas ! Information, "coaching", accompagnement, éducation : ces différents vocables, souvent assimilés les uns aux autres, cachent en fait des formes de prise en charge dont la finalité - et la philosophie - sont très éloignées les unes des autres.

Pour répondre à l'extrême hétérogénéité des pratiques, la Haute autorité de santé (HAS) et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) ont donc publié, en novembre, un guide méthodologique, qui devrait fournir aux professionnels de santé un cadre d'action plus précis. Mais le débat sur les frontières de l'éducation thérapeutique n'en a pas moins été relancé ces derniers mois, avec l'annonce, par la Caisse nationale d'assurance maladie, d'un nouveau dispositif d'accompagnement des patients diabétiques.

DÉBUT DU PROGRAMME

Expérimenté à partir du mois de mars dans dix départements pilotes*, ce programme sera proposé à 136 000 patients diabétiques pris en charge en ALD et prendra la forme d'un accompagnement téléphonique, réalisé par des infirmières spécialement formées. Destiné « à améliorer la qualité de vie des malades chroniques et à renforcer la prévention des complications », il partage donc certains objectifs avec l'éducation thérapeutique sans en adopter la forme.

Mais pour les acteurs de terrain, qui s'étaient dans un premier temps émus de cette initiative, la polémique est aujourd'hui close : « Il s'agit bien d'un programme d'accompagnement, c'est-à-dire d'information et de conseil, destiné à orienter les patients vers des prises en charge plus spécialisées, explique Michel Varroud-Vial. Il est donc complémentaire de l'éducation thérapeutique, qui vise quant à elle à changer les comportements par l'acquisition de compétences. »

* Alpes-Maritimes, Ariège, Haute-Garonne, Gers, Loiret, Puy-de-Dôme, Hautes-Pyrénées, Sarthe, Seine-Saint-Denis et Tarn.

Enfin le mode d'emploi !

- Qu'est-ce que l'éducation thérapeutique ? À qui la proposer ? Comment planifier un programme personnalisé ? Comment coordonner les différents acteurs impliqués dans la démarche ? Depuis novembre dernier et la publication par la Haute autorité de santé (HAS) et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) d'un guide méthodologique sur l'éducation thérapeutique, ces questions ont enfin une réponse concrète et univoque.

- Intitulé "Structuration d'un programme d'éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques", ce document répond à une demande ancienne des professionnels de santé et des autorités de tutelle, qui souhaitaient clarifier le champ de l'éducation thérapeutique et encadrer des pratiques hétérogènes. Élaboré à partir d'une analyse critique de la littérature, de réflexions de professionnels et des résultats d'une rencontre avec des patients, il se veut « un cadre pragmatique » suffisamment précis pour aider les professionnels de santé à réaliser des programmes d'éducation structurés et suffisamment souple pour permettre une adaptation à chaque patient, à chaque maladie, à chaque moment de la prise en charge et à chaque contexte de soins (établissements, réseaux, soins de ville...).

- Dans une première partie, le guide propose ainsi une définition de l'éducation thérapeutique et de ses différentes étapes. Suit, dans une deuxième partie, la description du contenu de chaque étape et de la marche à suivre pour mettre en oeuvre un programme personnalisé. Enfin, une troisième partie explique comment élaborer et évaluer un programme pour une maladie chronique donnée.

- Pour faciliter son appropriation par les professionnels, le guide est décliné en trois recommandations synthétiques et s'accompagne d'une analyse économique et organisationnelle, qui dresse un état des lieux de l'éducation thérapeutique en France.

- Le guide, les recommandations et le rapport sont à télécharger sur le site : http://www.has-sante.fr

Interview

Jean-François d'Ivernois, directeur du Laboratoire de pédagogie de la santé de l'Université de Paris-XIII et secrétaire général de l'Institut de perfectionnement en communication et éducation médicale (IPCEM). « Le vrai décideur, c'est le patient »

- Qu'est-ce qui fondamentalement distingue l'éducation thérapeutique des informations ou des conseils que délivrent chaque jour les professionnels de santé à leurs patients ?

Dans le domaine des maladies chroniques, le vrai décideur est le patient, car c'est lui qui choisit ou non d'adopter les bons comportements. Il s'agit donc, par le biais de l'éducation thérapeutique, de le sortir de sa passivité traditionnelle pour le rendre autonome, connaissant et compétent. Ce n'est ni de la sensibilisation, ni du conseil, ni de l'information, mais un véritable transfert de compétences des soignants vers le patient. Dans la définition qu'elle donne de cette pratique, l'Organisation mondiale de la santé parle d'ailleurs de "formation". Cette démarche prend du temps et nécessite de rassembler un certain nombre d'informations sur le patient, son mode de vie, sa maladie, ses connaissances et son degré d'acceptation.

- L'accès à l'éducation thérapeutique reste encore très limité. Comment le développer ?

Aujourd'hui, on ne peut plus soigner un patient diabétique ou asthmatique sans lui expliquer sa maladie. Ce n'est pas éthique ! Pour que tous les patients aient accès systématiquement à cette éducation, il faudrait imaginer un système de forfait, comme cela existe déjà pour les séances de rééducation périnéales post-partum par exemple. Chaque patient suivi pour une maladie chronique aurait droit à tant et tant d'heures d'éducation. À partir de là, il faudrait répertorier au niveau régional les établissements, réseaux ou professionnels de santé libéraux capables de délivrer cette éducation, sachant que cette pratique nécessite des compétences bien particulières et que son contenu doit être scientifiquement validé. Tout cela se met en place peu à peu ...

- Où se situent les infirmières dans ce schéma ?

Historiquement, les infirmières hospitalières ont été les premières professionnelles de santé à inclure l'éducation du patient dans leur rôle propre. Même si cette pratique est fondamentalement multiprofessionnelle, elles fournissent toujours, aujourd'hui, les plus gros contingents d'éducateurs. Quant aux infirmières libérales, elles ont également un rôle considérable à jouer dans ce domaine, car elles sont dans une relation de proximité avec les patients et possèdent un capital de confiance important. Mais le gros problème pour elles reste l'accès à la formation.

Témoignage

Simone Delavergne, infirmière libérale en Charente-Maritime « Éduquer et informer le patient font partie du rôle propre de l'infirmière »

- « Libérale près de Saintes depuis 23 ans et coordinatrice du réseau CardioSaintonge, qui organise le suivi des insuffisants cardiaques, j'anime depuis 2006 des séances d'éducation thérapeutique de groupe, proposées par la MSA (Mutualité sociale agricole) de Charente-Maritime aux patients atteints de pathologies cardiovasculaires.

- Éduquer et informer le patient, cela fait partie du rôle propre de l'infirmière : nous le faisons d'ailleurs tous les jours, sans forcément le nommer. Les séances de groupe permettent cependant d'aller plus loin dans le processus éducatif. Le simple fait que le patient fasse la démarche d'assister à l'atelier suscite déjà une écoute différente. Il vient véritablement pour mieux comprendre sa maladie et en devenir acteur au quotidien. L'"effet groupe" est également très important. En écoutant les autres, les patients réalisent qu'ils ne sont pas seuls face à la maladie : c'est à la fois rassurant et motivant.

- Pour animer les séances, j'ai suivi une formation en éducation thérapeutique délivrée par l'Institut de perfectionnement en communication et éducation médicale (IPCEM). Je m'appuie également sur des supports pédagogiques interactifs, par exemple des sets de tables, où sont représentés les aliments à privilégier ou à réduire dans l'alimentation. À partir de là, j'essaie d'amener les patients à exprimer le vécu de leur maladie. Cela permet de les impliquer, tout en prenant en compte les ressources et les limites de chacun.

- L'important, dans la maladie chronique, c'est de faire comprendre aux patients que les soignants n'ont pas la solution à tout. Nous sommes là pour leur fournir des outils pour mieux comprendre et gérer leur maladie. À eux de les réinvestir ensuite, dans leur vie quotidienne. »