Les symptômes qui doivent alerter - L'Infirmière Libérale Magazine n° 236 du 01/04/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 236 du 01/04/2008

 

Cahier de formation

savoir faire

Monsieur D., 85 ans, a perdu sa femme récemment et est un peu désemparé. Pour la deuxième fois consécutive, Anne, l'Idel qui vient changer sa poche à urine tous les deux jours, remarque que monsieur D. (sous Sintrom®) a un peu de sang séché au coin des lèvres. Interrogé, monsieur D. ne sait pas dire de quand date son dernier INR. À cause des obsèques de sa femme, il n'a pas vu son médecin comme prévu. Il faut impérativement joindre le médecin pour lui signaler la gingivorragie. Le médecin demande un INR en urgence. Le résultat est connu à 17 heures : l'INR est à 4,6. Le médecin suspend aussitôt la prise de Sintrom® du soir et prescrit un nouvel INR le lendemain.

REPÉRER LES SIGNES D'ALARME

Les signes évocateurs de surdosage sont par ordre de gravité.

->Premiers signes d'appel : gingivorragie, épistaxis, règles exceptionnellement abondantes, apparition d'hématomes ;

->Signes plus inquiétants : hématurie, rectorragie, hématémèse, hémoptysie, saignement persistant.

Les signes peuvent être trompeurs car ils témoignent peut-être d'un saignement occulte : fatigue, dyspnée, céphalées ne cédant pas au traitement antalgique habituel, douleur abdominale, malaise inexpliqué.

• Conduite à tenir

->Dans tous les cas, il faut joindre le médecin prescripteur, ou, si celui-ci est injoignable, un autre médecin.

-> Faire un contrôle d'INR en urgence (dans la plupart des cas, le patient à une ordonnance indiquant « contrôle de l'INR aussi souvent que nécessaire » ou une formule équivalente).

-> En fonction des résultats et des signes cliniques, le médecin prendra les mesures nécessaires : simple suppression de dose d'AVK, administration par voie orale ou injectable de vitamine K, ou même, en cas d'hospitalisation, de plasma frais congelé.

• Les patients sont-ils bien informés ?

D'après une enquête menée en 2004 à la demande de l'Afssaps, un tiers des patients ignorent les signes évocateurs d'un surdosage, et seuls 12 % des patients connaissent l'ensemble des signes d'alerte.

CONDUITE À TENIR PAR LE MÉDECIN EN FONCTION DE LA VALEUR DE L'INR

En fonction de la valeur de l'INR, des signes cliniques et du contexte (patient âgé, troubles cognitifs, risque de chute...), le médecin décidera de la conduite à tenir. Dans la plupart des cas, il s'agit de diminuer ou de suspendre la prise d'AVK et de surveiller l'INR plus fréquemment.

• INR inférieur à 5

Si l'INR est au-dessus de la zone thérapeutique mais inférieur à 5 et si le patient n'a pas de manifestation hémorragique ou ne nécessite pas une correction rapide de la coagulation avant chirurgie :

-> suppression de la prochaine prise,

-> reprise du traitement à dose plus faible dès que l'INR souhaité est obtenu.

À noter : si l'INR est très voisin de l'INR souhaité, il faut alors réduire la dose quotidienne sans suppression de dose.

• INR compris entre 5 et 9 sans risque hémorragique

Si l'INR est supérieur à 5 mais inférieur à 9 et si le patient n'a pas de manifestation hémorragique autre que mineure (gingivorragie ou épistaxis provoqué) et n'a pas de facteur de risque hémorragique :

->suppression d'une ou deux prises d'AVK,

->mesure de l'INR plus fréquemment,

->reprise de l'AVK à dose plus faible dès que l'INR souhaité est obtenu.

• INR compris entre 5 et 9 avec risque hémorragique

Si l'INR est supérieur à 5 mais inférieur à 9 et si le patient n'a pas de manifestation hémorragique autre que mineure (gingivorragie ou épistaxis provoqué) mais qu'il présente d'autres risques hémorragiques :

-> suppression d'une prise et administration de vitamine K : soit 1 à 2,5 mg par voie orale, soit 0,5 à 1 mg en perfusion lente sur une heure.

• INR supérieur à 9

Si l'INR est supérieur à 9, en l'absence de saignement :

-> suppression d'une prise et administration de vitamine K : soit 3 à 5 mg par voie orale, soit 1 à 1,5 mg en perfusion lente sur une heure,

-> puis reprise de l'AVK à dose plus faible,

-> surveillance rapprochée de l'INR.

• En cas de surdosage

Si une correction rapide de l'effet anticoagulant est nécessaire en cas soit de manifestation hémorragique grave, soit de surdosage majeur en AVK (par exemple : INR supérieur à 20) :

->administration d'une dose de 10 mg de vitamine K par voie intra-veineuse lente, associée selon l'urgence à du plasma frais congelé (PFC) ou à un concentré de facteur vitamino-K dépendant (Kaskadil®).

LES AUTRES EFFETS INDÉSIRABLES

Ils n'ont pas la même gravité et ne représentent pas la même urgence que le risque hémorragique. Il est utile, toutefois, de les avoir en mémoire afin d'y penser, le cas échéant.

->Diarrhées : les AVK peuvent entraîner des diarrhées persistantes qui ne cèdent qu'en changeant de molécule. Ces diarrhées sont d'autant plus gênantes qu'elles perturbent la flore intestinale, flore qui synthétise une grande partie de la vitamine K. La diarrhée, provoquée par l'antivitamine K, perturbe donc l'effet anticoagulant de l'AVK !

->Allergies : prurit, urticaire, eczéma, fièvre, hyperéosinophilie...

Source : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, avril 2003.

Le point de vue de...

« Des décès par hémorragie intercérébrale »

Dr Corinne Bruhat. Centre régional de pharmacovigilance d'Angers

On parle de 5 000 décès par an attribués aux AVK. À quoi sont-ils dus ? Il s'agit d'hémorragies ou d'hématomes intracérébraux graves, pour lesquels les moyens thérapeutiques à mettre en oeuvre sont limités. Il peut s'agir également d'hématomes profonds, par exemple au niveau intra-abdominal ou d'hématomes du psoas. Quant aux hémorragies externes, si un patient sous AVK se blesse, l'hémostase sera plus difficile à obtenir. Mais en règle générale, elles ne relèvent pas d'un risque vital.

Ces décès sont-ils toujours liés à des valeurs trop élevées d'INR ? Même avec un INR normal, des problèmes de ce type peuvent survenir, comme chez un patient hypertendu qui peut saigner à l'occasion d'une poussée hypertensive. Mais un excès de mortalité est observé lorsque l'INR est élevé ou même déjà dans la limite haute de la fourchette, par exemple à 3 chez un patient âgé. L'âge est un facteur de risque de complications hémorragiques majeures.

Y a-t-il souvent un défaut de suivi de l'INR ? Le suivi des patients sous AVK pourrait certainement être amélioré. Les problèmes se rencontrent souvent dans les premiers mois qui suivent l'instauration du traitement : contrôles de l'INR insuffisants, traitements intercurrents (antibiotiques) qui perturbent l'INR, patients insuffisamment informés, patients non compliants, patients qui changent de structure d'accueil (en ville, à l'hôpital...). Mais le risque augmente aussi chez les patients qui sont depuis longtemps sous AVK et pour lesquels la surveillance se relâche.

Est-il raisonnable de prescrire un AVK chez un sujet âgé ? La prescription d'un AVK répond à des indications précises, qui augmentent avec l'âge, mais elle nécessite toujours chez le sujet âgé une analyse du rapport bénéfice/risque en raison des comorbidités du patient, en particulier en cas d'altérations cognitives ou de risque de chute... Parfois, le prescripteur choisira un antiagrégant plaquettaire pour limiter le risque hémorragique.

Infos clés

• L'INR est l'outil de surveillance des traitements anticoagulants oraux.

• Il doit être réalisé au minimum une fois par mois chez tous les patients.

• L'INR doit être contrôlé immédiatement au moindre doute (comme les signes d'hémorragie, même discrets). Le résultat est obtenu dans la journée.