Les visiteurs de l'inconscient - L'Infirmière Libérale Magazine n° 236 du 01/04/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 236 du 01/04/2008

 

ALPES-MARITIMES

Initiatives

Au départ infirmiers en psychiatrie à la clinique Saint-François de Nice, Katia Blanc et Christophe Peiffer se sont installés en libéral depuis un an et demi. Mais les deux soignants ont gardé la fibre "psy". Ils assurent le suivi des traitements à domicile tout en mettant en place une relation d'aide thérapeutique dans le cadre de vie habituel des patients.

Martine a 53 ans, la voix rauque des grands fumeurs et des allures de diva. Dans son petit appartement niçois, elle reçoit une dernière fois Katia Blanc et Christophe Peiffer, les deux infirmiers libéraux qui l'ont suivie pendant plus d'un an. Pour elle, le soin est fini. Elle regrette déjà leurs visites, tout en savourant sa nouvelle vie, reconnaissante. Dans l'ancienne, « je ne voulais plus sortir de chez moi, encore moins aller voir un psychiatre », raconte-t-elle. Phobique, suicidaire, Martine a déjà écumé toutes les « maisons de repos » de la ville. Elle ne voulait plus en entendre parler. Ni d'aucune autre forme de prise en charge d'ailleurs. Son médecin généraliste, désemparé, ne savait plus qu'en faire.

Une véritable demande

Jusqu'au jour où il entend parler des deux libéraux. Du bout des lèvres, elle accepte enfin de l'aide : si elle peut rester chez elle, pourquoi pas... Le soir même, Katia arrive chez Martine. Les entretiens quotidiens commencent. Un traitement adapté est mis en place. Aujourd'hui, la voilà délivrée de ses addictions en tout genre. Elle a renoué avec sa famille et ose enfin sortir de chez elle. Un joli succès pour les deux infirmiers, qui pas à pas, expérimentent en région Paca le suivi à domicile des patients psychiatriques.

Katia Blanc et Christophe Peiffer, 35 ans chacun, se sont installés en libéral il y a un an et demi. Ils se sont rencontrés deux ans auparavant à la clinique Saint-François de Nice, où ils travaillaient comme infirmiers de secteur psychiatrique en milieu ouvert. Entre-temps, pendant que lui exerce à Monaco, elle est confrontée à une expérience peu concluante en pédopsychiatrie, qui la pousse à passer le cap du libéral. Elle réussit à convaincre Christophe de la suivre dans cette voie. Mais pas question de renoncer «à la psy». Leur ambition : en plus de la prise en charge "traditionnelle" des malades par les libéraux, poursuivre au domicile des patients le travail entamé à la clinique Saint-François.

Ils rappellent alors leurs anciens collègues de l'établissement, ainsi que quelques généralistes de Nice et leur proposent leurs services. Les patients affluent vite. « Cela correspond à une véritable demande », constate Christophe. Leur profil ? Des personnes souffrant de troubles psychiatriques, psychogériatriques ou de troubles du comportement, présentant des problèmes de compliance aux traitements (arrêt, oublis, prises excessives, automédication), et susceptibles de résider à domicile. Le rôle des infirmiers : assurer un suivi des thérapies, mais surtout mettre en place une relation d'aide thérapeutique dans le cadre de vie habituel des patients. « Nous cherchons à stabiliser à long terme ces troubles du comportement, ajoute Christophe, voire, si possible, à réinsérer efficacement certains patients. » « Le but est de leur rendre le maximum d'autonomie, renchérit Katia, afin qu'à terme, ils puissent fonctionner sans nous. »

Parcours du combattant

Parmi eux, certains ont été plusieurs fois hospitalisés, sans grand succès. « On nous adresse souvent les patients dont les médecins ne savent plus que faire et qui encombrent parfois bruyamment les salles d'attente », plaisante Katia. Ginette, 80 ans, était de ceux-là. « Surexcitée », selon les mots de son médecin généraliste, qui s'interroge sur une possible démence. Sa patiente alterne depuis des années les calmants et les antidépresseurs, sans jamais avoir été pour autant suivie par un spécialiste. Mais son état empire. « La première fois que nous l'avons vue, elle ne tenait pas en place, courait partout, ne voulait rien entendre, se souvient Katia. Nous l'avons écoutée, ainsi que la famille. » Les deux infirmiers, envoyés par le médecin, gagnent sa confiance. Pressentant un trouble bipolaire, ils orientent alors leur patiente vers un psychiatre, qui confirme le diagnostic. Ginette accepte cette nouvelle prise en charge. Au domicile, les deux infirmiers surveillent au quotidien le nouveau traitement, contribuent au fil de leurs visites à l'adapter, apprennent à la patiente à se l'approprier. « On a commencé par lui procurer un pilulier de compet' », plaisante Christophe.

Mais pas seulement. Comme la plupart des malades en contact avec eux, Ginette manque de tout et « ne rentre pas dans les cases » du maillage social. Ils s'efforcent alors de mettre en place de quoi vivre décemment, comme un service de livraison de repas à domicile. Ce travail relève parfois du parcours du combattant, tant la situation est complexe. Ainsi ont-ils débarqué chez Francis, un homme qui venait de perdre sa femme atteinte d'un cancer, et qui se clochardisait peu à peu dans son appartement en nourrissant des idées suicidaires. Alertés par Argil 06, une association de libéraux implantée à Nice, ils se rendent au domicile de ce patient, où règnent en maîtres les cafards, les détritus et où les chiens font leur loi. « Un environnement indescriptible », se souvient Katia. Elle demande l'hospitalisation. Refusée par le médecin traitant. En dépit de problèmes cardiaques, l'homme est en bonne santé. Pas moyen non plus de faire venir une société de nettoyage. Ni un auxiliaire de vie. Francis, criblé de dettes, n'a pas un sou. Christophe et Katia prennent les choses en main, nettoient l'appartement, montent des dossiers, appellent une assistance sociale. En parallèle, les soins peuvent commencer : soins d'hygiène et relation d'aide thérapeutique. « On peut estimer que tous ces à- côtés ne relèvent pas de notre rôle, mais face à certaines situations, impossible de rester les bras croisés », estime Christophe. Aujourd'hui, Ginette est stabilisée, voit un psychiatre et un psychologue. Idem pour Francis, qui bénéficie d'une auxiliaire de vie.

La solution du réseau

Évidemment, parfois, Katia et Christophe sont confrontés à l'échec. Ils n'ont pas toujours pu éviter l'hospitalisation. Ils connaissent également leurs limites. « Nous sommes réticents à prendre en charge des patients atteints de pathologies lourdes, où notre rôle consisterait à vérifier s'ils ont bien pris leur traitement », précise Katia. Pour mener à bien leur mission, ils s'appuient sur la démarche de soins infirmiers (DSI). « C'est parfois un peu limite », reconnaissent-ils. Et peu rémunérateur au regard du temps passé. C'est pourquoi, aujourd'hui, avec le soutien de l'Argil 06, ils cherchent à mettre en place une prise en charge en dehors du cadre conventionnel. Leur idée : monter un réseau psy, dont un avant-projet a été présenté à l'Urcam Paca, qui s'est déclarée « intéressée ». Les deux ont fait des émules. « Plusieurs psychiatres sont partants, affirme David Guillon, le président de l'association. Pour des prises en charge spécialisées, comme le font Katia et Christophe, mais aussi des prises en charges simples - suivi thérapeutique - ou des prises en charge mixtes - à domicile ou en appartements thérapeutiques - partagées entre le centre médico-psychologique et les Idel. » Réponse de l'Urcam attendue avant l'été.

En attendant, Katia et Christophe labourent le terrain et affinent leur expertise. Elle vient d'obtenir son diplôme de thérapeute systémique ; lui, après une formation en programmation neuro-linguistique, entame une formation de coach. De quoi enrichir leur exercice, mais également s'assurer d'une porte de sortie si la greffe "psy" en libéral ne prenait pas... Nul doute que Francis, Ginette, Martine et les autres ne comprendraient pas.

EN SAVOIR

-> Association : Argil 06, coordination/réseau de soins infirmiers, 58, bd Louis-Braille, 06300 Nice ; Tél. : 06 20 61 22 98 ; e-mail : davidwolfide@aol.com.

-> Sur Internet : psydoc-fr.broca.inserm.fr ; site francophone de psychiatrie animé par la Fédération française de psychiatrie qui regroupe l'ensemble des sociétes et associations de la discipline.