Décider ensemble - L'Infirmière Libérale Magazine n° 237 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 237 du 01/05/2008

 

FIN DE VIE

L'exercice au quotidien

Des soins palliatifs à l'euthanasie active, la pente peut être glissante... surtout lorsqu'on y est entraîné sur prescription médicale. Infirmier libéral dans le Sud de la France, Bertrand a préféré dire "non".

«Il y a environ cinq ans, je prenais en charge une patiente de 90 ans, qui sortait d'un long séjour en gériatrie. Sénile et cachectique, elle n'avait sans doute plus beaucoup de temps à vivre, mais elle ne souffrait d'aucune maladie incurable. On pouvait encore communiquer avec elle par les gestes et le regard. Elle reconnaissait son mari. Du jour au lendemain, son médecin traitant a pourtant estimé qu'elle souffrait trop et qu'il fallait "calmer" cette douleur. En accord avec sa fille, il a prescrit un cocktail explosif, à base de morphine et de Valium®, et m'a demandé de l'injecter.

Je savais qu'une telle injection signifiait la mort. Ce geste, qui n'était autre chose qu'une euthanasie active, me semblait d'autant plus inadmissible que les souffrances de la vieille dame ne le justifiaient pas.

J'avais réalisé un test pour évaluer sa douleur et son score était très en dessous du seuil d'action. J'ai donc refusé de faire l'injection. « C'est un ordre », a répliqué le médecin. Je lui ai répondu qu'il n'avait qu'à l'exécuter lui-même. C'est ce qu'il a fait. Vingt-quatre heures plus tard, la patiente était décédée.

Comprenons-nous bien : je ne suis pas contre l'euthanasie. Mais je pense aussi que l'on n'a pas à décider de la vie ou de la mort d'une personne à sa place. Dans ce cas précis, la patiente n'avait rien demandé, et, qui plus est, ses souffrances étaient modérées. La décision d'euthanasie était le seul fruit d'une entente entre sa fille et le médecin, qui n'avait pas pris la peine de consulter le reste de l'équipe soignante. Demander l'avis d'un confrère ou d'un infirmier, faire appel à un réseau de soins palliatifs, ce n'était pas son genre...

Cour d'assises

Comment mes collègues auraient-ils réagi à ma place ? Une chose est sûre : les infirmiers ont encore trop tendance à se comporter comme de simples exécutants. Pour ma part, j'ai très mal vécu ce moment, car je me suis senti seul et impuissant. Mais je suis heureux d'avoir assumé mon rôle d'infirmier jusqu'au bout.

Par la suite, le médecin a eu peur que je parle. Je lui ai dit de ne pas se turlupiner. Si je l'avais dénoncé, il serait allé en cour d'assises. Son geste le justifiait-il vraiment ? »

L'avis de l'expert

Faire appel à un tiers extérieur

Collège des acteurs en soins infirmiers de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap)

« Une telle situation illustre un manque de collaboration entre professionnels, que vient exacerber un conflit de valeurs. La définition des soins palliatifs, tout comme la loi, affirment la nécessité de prendre en charge la douleur, et ce, quel que soit son "score". Autrement dit, même un "score" très au-dessus du "seuil d'action" ne justifie en rien un acte d'euthanasie. Quant à savoir si l'on "assume son rôle jusqu'au bout", rappelons tout de même l'article R. 4312-26 du CSP : "L'infirmier agit en toute circonstance dans l'intérêt du patient". Était-ce l'intérêt de la patiente que de renvoyer cet acte vers le médecin ? Peut-être eût-il été préférable d'argumenter sa position professionnelle et de faire appel à un tiers extérieur. Nous pouvons solliciter des collègues exerçant en équipe mobile ou en réseaux de soins palliatifs pour partager nos questions et étayer nos positions. »