Démographie Un an apr ès... tout reste à f aire - L'Infirmière Libérale Magazine n° 237 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 237 du 01/05/2008

 

Dossier

La régulation de l'offre de soins infirmiers sur le territoire pose aujourd'hui la question de la place des infirmiers libéraux dans le système de santé. D'où les crispations et les inquiétudes qu'elle engendre. Les professionnels ont pourtant intérêt à s'armer de patience, car le processus risque d'être long et complexe...

Cornes de brume, sifflets, huées... C'est par un brouhaha assourdissant qu'une quarantaine de représentants de la FNI et de l'Onsil ont accueilli, le 9 avril, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, lors de la clôture des États généraux de l'organisation de la santé (Égos), à Paris. « En signant un accord sur la démographie, ce sont les infirmiers qui ont déclenché les Égos. Mais, sous prétexte que le premier recours, ce sont d'abord les médecins généralistes, nous n'avons pas vraiment été concertés », tempête le président de la FNI, Philippe Tisserand.

Pour comprendre la frustration des deux syndicats, un petit retour en arrière s'impose... Il y a près d'un an, en juin 2007, l'Uncam et les infirmiers libéraux signaient un protocole d'accord, fixant les modalités d'un dispositif de régulation démographique. Avec des écarts de densité allant de 1 à 7 entre les départements, la répartition des infirmiers libéraux sur le territoire est particulièrement inégale, ce qui a des incidences sur l'accès aux soins. Les partenaires conventionnels se sont donc engagés à développer des mesures d'incitation à l'installation dans les bassins de vie à faible densité, tandis que dans les zones sur-denses, seuls les départs d'infirmiers donneraient accès à de nouveaux conventionnements.

UN PROCESSUS BLOQUÉ

Un an plus tard, hormis l'inscription du principe de régulation démographique dans la loi(1), force est de constater que le processus n'a guère avancé. Les infirmiers avaient placé beaucoup d'espoir dans les Égos, programmés cet automne par la ministre de la Santé, en réponse aux protestations des internes contre le projet de loi restreignant leur liberté d'installation. Mais comme l'a souligné la directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, Annie Podeur, en clôture de cette manifestation, les participants n'ont pu aborder que la question de la démographie des médecins : « Pour les autres professions, nous avons manqué de temps. La concertation doit se poursuivre. »

LA CRAINTE DU SALARIAT

Un maigre bilan donc, qui fait aujourd'hui craindre à certains syndicats que le gouvernement n'ait pas une vraie volonté d'organiser et de valoriser l'offre de soins infirmiers de proximité. Pour mieux porter atteinte, au final, au statut des libéraux : « Il n'a jamais été question, durant ces Égos, du rôle pivot que nous jouons dans les soins de premiers recours, souligne Béatrice Galvan, vice-présidente de l'Onsil. En revanche, on en a profité pour promouvoir des solutions comme les maisons de santé pluridisciplinaires, qui signifient à terme le salariat pour les libéraux. »

Tous les syndicats ne tirent cependant pas les mêmes conclusions que la FNI et l'Onsil. Pour la présidente du Sniil, Annick Touba, les lenteurs actuelles sont salutaires, car elles laissent le temps aux infirmiers de bâtir un système de régulation vraiment approprié : « La vérité, c'est que l'on manque d'éléments pour aller plus loin. On travaille avec des statistiques démographiques vieilles de dix ans, on n'a pas encore défini le périmètre des zones de référence et, surtout, on n'a pas avancé d'un iota sur la question de la régulation globale de l'offre de soins. »

MANQUE DE COHÉRENCE

De fait, c'est principalement sur ce dernier aspect que le processus achoppe aujourd'hui. Dans leur protocole d'accord, les libéraux ont en effet exigé que la régulation de l'offre de soins s'applique également aux services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et aux centres de soins infirmiers (CSI), qui sont autorisés par l'État : « Or, la ministre n'a manifesté pour l'instant aucune volonté d'aller dans ce sens, note Béatrice Galvan. Nous avons réclamé en février une réunion tripartite, associant syndicats, Uncam et représentants de l'État, mais nous n'avons pas obtenu de réponse. »

Début 2007, le ministère de la Santé avait chargé l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) de formuler des propositions pour « garantir la présence d'une offre en soins infirmiers de qualité sur l'ensemble du territoire. » Les conclusions de cette mission(2), qui viennent d'être publiées, vont clairement dans le sens des infirmiers libéraux, puisque l'Igas se prononce pour une régulation "globale" de l'offre en soins : « La "fermeture" des zones excédentaires à l'installation de libéraux doit (...) valoir aussi pour toute création de places nouvelles en Ssiad ou d'extension d'activité des CSI », écrit-elle.

Pour l'Igas, l'organisation actuelle de l'offre de soins manque en effet de cohérence, la question de la complémentarité entre Ssiad, CSI et infirmiers libéraux n'étant « ni analysée ni discutée au niveau local ». Résultat : « Lors de l'instruction des dossiers d'autorisation de places nouvelles en Ssiad, il est exceptionnel que les Ddass prennent en compte la densité et l'activité des infirmiers libéraux sur le territoire d'intervention du service concerné ».

CONCURRENCE

La situation est particulièrement tendue dans le Sud de la France, où, malgré une forte présence libérale, de nouvelles places en Ssiad continuent d'être autorisées. Selon Bruno Le Du, président de la FNI Languedoc-Roussillon, 570 places ont été créées en trois ans dans l'Hérault : « Dans ce département, il y a aussi des zones déficitaires, que nous avons d'ailleurs identifiées avec l'Urcam. Mais ce n'est pas là que les Ssiad s'implantent en priorité. » Le syndicat a donc déposé plusieurs recours devant le tribunal administratif, dont un a déjà entraîné l'annulation d'une décision d'ouverture de Ssiad.

Ce manque de coordination est d'autant plus problématique que les périmètres respectifs des différentes offres de soins infirmiers se recoupent en partie. Dans le Sud, les libéraux réalisent en effet une forte proportion de soins d'hygiène (67,1 % de leur activité en région Paca contre 43 % au niveau national), lesquels représentent aussi le coeur de l'activité des Ssiad. « À l'inverse, dans le Nord, du fait de la faible densité de libérales, ces dernières n'ont pas le temps de faire des toilettes. Nous jouons donc à fond la carte de la complémentarité », remarque Claude Neuvens, directeur du Ssiad de Sedan, dans les Ardennes.

Y aurait-il un acteur de trop ? Faut-il mieux définir les missions des uns et des autres ? Pour Véronique Covin, responsable du secteur social et médico-social à la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap), le problème n'est pas là : « L'essentiel, aujourd'hui, est d'opérer un rééquilibrage de l'offre, pour faire en sorte que partout en France, une personne qui a besoin d'un soin infirmier puisse trouver une réponse adéquate. »

DES DONNÉES LACUNAIRES

Cette régulation globale, si elle se met en route, n'ira cependant pas de soi. Comme le rappelle la mission Igas, la définition des zones sur- et sous-denses passera par une analyse fine de l'offre de soins existante. Or, si l'on connaît aujourd'hui « de manière approfondie » l'activité des infirmiers libéraux, celle des Ssiad et des CSI reste « très lacunaire » : « Les indicateurs sont à la fois peu performants et mal renseignés par les structures, qui manquent de temps et de consignes claires pour le faire », reconnaît Véronique Covin.

L'Igas préconise donc la mise en place d'un « système d'information simple et régulier » de l'activité des Ssiad. Une solution transitoire consisterait à convertir le nombre de places de Ssiad en coefficients d'AMI et d'AIS, pour les rapprocher de l'offre libérale et avoir une estimation globale de l'offre en soins disponible sur un territoire. Ce système devra se combiner avec une amélioration du partage d'informations entre les différentes instances de tutelles (Cnamts, CNSA, DGAS, DHOS).

Garanties

Avant de les généraliser sur le territoire national, l'Igas préconise par ailleurs de tester ces méthodes, ainsi que les dispositifs incitatifs et désincitatifs [lire encadré], « dans plusieurs régions pendant au moins deux ans ». Une expérimentation qui permettra également d'étudier l'épineuse question des modalités de réouverture des zones sur-denses et de la gestion des listes d'attente.

« On est face à un processus très complexe, qui mettra sans doute des années à se mettre en place, remarque Annick Touba. D'autant que les choses resteront de toute façon bloquées jusqu'à la mise en place des futures agences régionales de santé (ARS), qui auront vocation à réguler le sanitaire et le médico-social. »

REVALORISATIONS TARIFAIRES

Les libéraux auraient donc tout intérêt à s'armer de patience. « Le problème, c'est que l'Uncam continue à mettre en balance l'avancée du processus de régulation démographique avec les revalorisations tarifaires prévues pour le mois d'août, souligne William Livingston, trésorier général de Convergence infirmière. Ce n'est pourtant pas de notre fait si l'État n'a pas encore apporté de garanties sur la régulation des autres offreurs de soins ! » À bon entendeur...

(1) Article 46 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008.

(2) « Analyse et modalités de régulation de l'offre globale en soins infirmiers », Igas, février 2008

RAPPORT

Inspection générale des affaires sociales Un panel de mesures incitatives

À côté du volet désincitatif - fermeture globale des zones excédentaires à l'installation d'infirmiers libéraux, de Ssiad et de centre de soins infirmiers -, le rapport de l'Igas sur la régulation de l'offre infirmière préconise aussi un catalogue de mesures pour attirer les professionnels dans les zones déficitaires. Pour sensibiliser les étudiants à la pratique libérale, il propose d'intégrer à leur formation un module spécifique à cet exercice et de mettre en place des bourses d'études, en échange d'un engagement à rester pendant une certaine période dans le secteur où ils ont été formés. Ce type d'engagement pourrait aussi donner lieu à des avantages liés à la retraite. Selon l'Igas, les dispositifs les plus faciles à mettre en oeuvre seraient néanmoins les aides à l'installation (mise à disposition de locaux, aides à l'équipement ou au regroupement de professionnels). Mais elle envisage aussi des majorations d'honoraires, une exonération de la taxe professionnelle, une modulation de la prise en charge des allocations familiales et des mesures de simplification administrative.

ANALYSE

Ssiad : premiers résultats de l'étude "patients lourds"

Tout comme la répartition de l'offre de soins sur le territoire, la question de la tarification peut avoir d'importantes répercussions sur l'accès aux soins. Ainsi, la dotation actuelle des Ssiad ne leur permet pas de prendre correctement en charge les patients les plus "lourds", ce qui entraîne des transferts de charge vers les infirmiers libéraux, les services d'aide à domicile ou les structures d'HAD.

Face à ce constat, le ministère du Travail a lancé, en 2007, une étude visant à élaborer un outil simple de caractérisation des patients et à identifier les déterminants du coût. Trois fédérations (l'ADMR, À Domicile et la Fehap) y ont participé, soit 36 services dans cinq régions. Selon les premiers résultats, l'âge moyen des bénéficiaires des Ssiad est de 83 ans. 42 % d'entre eux sont en GIR 2 et 10 % en GIR 1. Pour la majorité des Ssiad, le coût moyen annuel par bénéficiaire (10 324 euros) est proche du coût moyen de référence (10 500 euros). Néanmoins, un tiers des Ssiad reçoivent une dotation par patient inférieure à leur coût moyen, et près d'un tiers bénéficient d'une dotation supérieure d'au moins 10 %. « Cela confirme une mauvaise répartition et allocation des ressources », explique Virginie Chenal, de la Direction générale de l'action sociale (DGAS).

L'étude plaide donc pour l'élaboration d'un outil de mesure de la charge en soins des patients et d'un référentiel de coûts permettant aux Ddass de tarifer les Ssiad selon leur activité réelle. Un second chantier a ainsi été lancé, qui devrait aboutir, d'ici 2009, à une réforme de la tarification.

Repères

Une offre diversifiée

- 478 483 infirmiers étaient en activité au 1er janvier 2006, dont 52 967 libéraux.

- Fin 2006, les Ssiad totalisaient 91 478 places installées, réparties en 2000 services. Conformément au plan Solidarité grand âge, 6 000 nouvelles places doivent être créées chaque année jusqu'en 2010, puis 7 500 par an jusqu'en 2025.

- De 1994 à 2006, le nombre de centres de soins infirmiers est passé de 811 à 532. Ils employaient près de 5 000 infirmiers en 2006.

Interview

Yann Bourgueil, directeur de recherche à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). « Développer les organisations collectives »

Les Égos ont souligné le rôle pivot du médecin généraliste dans les soins de premier recours. Quid des infirmiers ? Depuis la réforme de 2004, le médecin traitant est, sans ambiguïté, au centre du dispositif. Mais il est évident qu'il ne peut pas tout faire tout seul. Si on veut faire de la prévention et assurer la permanence des soins, il faut développer des formes d'organisations collectives, en favorisant notamment le regroupement des professionnels et les délégations de tâches.

Cette réorganisation implique-t-elle une remise en question du statut libéral des infirmiers ? Les délégations de tâches ne peuvent s'envisager que dans une collaboration étroite entre médecins et infirmières, qui passe par un regroupement sur un même lieu de travail et par l'accès des infirmières aux dossiers médicaux. Cela peut-il se concevoir si ces dernières gardent un statut libéral ? C'est délicat. Dans les expérimentations que nous avons menées, les infirmières sont salariées, mais c'est une association qui les emploie, et non le médecin. Cela permet de surmonter l'écueil de la subordination.