PEUT-ON LES NOTER SUR INTERNET ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 237 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 237 du 01/05/2008

 

Évaluation des professionnels de santé

Le débat

La perspective de voir les professionnels de santé notés sur Internet par les patients a provoqué un tollé dans le monde de la santé. Ce projet, qui n'a finalement pas vu le jour, pose la question de la transparence sur les pratiques et de la publicité de leur évaluation.

Que pensez-vous du fait que les usagers puissent noter les professionnels de santé sur Internet ?

Dr Jacques Lucas : Cette sorte d'évaluation sauvage proposée par des sites commerciaux qui cherchent à faire parler d'eux pour vendre autre chose constitue un abus de confiance vis-à-vis des patients, en particulier des plus fragiles. Aller sur Internet chercher un médecin, c'est le signe d'une grande solitude. Sauf en cas d'urgence, nous avons tous une connaissance qui peut nous recommander un médecin. C'est exactement la même chose pour les infirmières libérales : certaines sont très disponibles, d'autres moins, leur patientèle dépend aussi de leur personnalité. Mais les notes sur Internet ne correspondent à aucune réalité humaine, elles ne sont pas fiables, voire diffamatoires.

Comment répercuter alors la réalité de la qualité des professionnels de santé ?

La profession est favorable à une évaluation des pratiques reposant sur une organisation et des critères rigoureux. C'est une façon d'améliorer soi-même la qualité de sa pratique.

Quelle place peut-on donner à la parole des patients sur ce sujet?

Certainement pas sous forme de note. Il existe de grandes associations nationales de patients qui peuvent relayer l'expression des patients. Elles font sur le terrain un très gros travail. Il faut essayer de mener avec elles des actions communes en matière de message de santé, de prévention et pour un suivi humain.

À côté des pratiques, peut-on évaluer la qualité d'écoute d'un professionnel de santé ?

C'est difficilement quantifiable... La qualité d'écoute ne dépend pas de la durée de la consultation. La demande d'écoute varie également entre un patient qui souffre d'une angine et une personne âgée seule... Certains attendent aussi d'un médecin qu'il soit directif, d'autres souhaitent au contraire beaucoup d'explications. Dans une relation, il y a un émetteur et un récepteur. Vouloir définir par une note la qualité d'une relation interpersonnelle, c'est illusoire, voire dangereux. Peut-être peut-on cependant faire figurer dans l'évaluation organisée des pratiques des critères d'accueil, de suivi... Mais même les plus grands esprits peuvent se tromper : il peut y avoir des erreurs, voire des fautes, des conflits. Dans ces cas, le conseil départemental est là.

Que pensez-vous du fait que les usagers puissent noter les professionnels de santé sur Internet ?

Dr Jean Doubovetzky : Il est toujours intéressant que les patients se décident à être plus actifs dans ce domaine. En revanche, il est possible que les intentions du promoteur du site soient moins claires et qu'il ait cherché à profiter d'une vague lancée avec la notation des enseignants, ce qui n'est pas un gage de qualité. Pourtant, un tel site pourrait être bien fait s'il rassemblait des données incontestables sur l'accessibilité, la formation suivie, les horaires, les tarifs...

Comment alors répercuter la réalité de la qualité des professionnels de santé ?

C'est très difficile. Un médecin généralement très bon peut parfois faire une grosse erreur. Si on ne regarde que cela, on le trouvera mauvais. Si on se fie aux cas particuliers, comme les condamnations au Conseil de l'ordre, cela ne veut pas dire grand-chose...

Quelle place peut-on donc donner à la parole des patients sur ce sujet ?

Elle a sa place, mais comment la traite-t-on ? Ce qui serait intéressant, ce serait un service Internet où les avis des patients seraient recueillis de manière collaborative, à raison de cinq à six avis sur un professionnel, par exemple. Si ces informations étaient traitées de façon intelligente, on pourrait sûrement en tirer quelque chose.

Quels critères peuvent éclairer le choix des patients?

On peut se fier à des critères généraux : ses tarifs sont-ils affichés, sa salle d'attente permet-elle d'accueillir les personnes handicapées, âgées, les enfants ? Est-ce qu'il se forme, est-il indépendant ou sous influence ? C'est aussi le B.A.-BA du métier, quand un professionnel de santé reçoit un patient, que d'établir une bonne relation avec lui, pour l'avenir. Ceci est aussi valable pour les infirmières.

Ces critères valent-ils pour les libérales ?

Pas tous. Ce qui est particulièrement important les concernant, par exemple, c'est la façon dont elles se coordonnent avec les autres professionnels : en cas de doute, appellent-elles facilement le médecin ou le pharmacien? Est-ce qu'elles s'insèrent dans un réseau? C'est en les voyant agir qu'on le constate.

Dr Jacques Lucas

Vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins

Dr Jean Doubovetsky

Auteur de Choisir... son généraliste (Déclics, 2006)