Solidaire après Sangatte - L'Infirmière Libérale Magazine n° 237 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 237 du 01/05/2008

 

PAS-DE-CALAIS

Initiatives

Attachée à sa région, Monique Delannoy n'envisageait pas de se lancer dans l'humanitaire. Pourtant, à la fermeture du hangar de Sangatte en 2002, cette infirmière libérale s'est retrouvée à soigner les migrants dans une camionnette à Calais. Un geste d'humanité qu'elle a prolongé jusqu'à ce que l'hôpital ouvre une permanence d'accès aux soins.

Le ciel est bleu, mais le froid n'en est pas moins mordant. Sur la terre battue du quai de Moselle, la file d'attente s'allonge devant le préfabriqué où s'organise, à 14 heures, la distribution des repas. Au pas de course, les bénévoles de La Belle Étoile - Collectif de soutien d'urgence aux réfugiés de Calais - déchargent de leur camionnette les marmites et les assiettes creuses en carton. Une voiture les suit de près, le pare-brise orné du caducée des infirmières libérales. Sa conductrice évalue la température du lieu : l'ambiance est tendue. La nuit aura été mauvaise pour ces jeunes hommes qui tentent depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, de passer en Angleterre. Avec d'autres bénévoles, Monique Delannoy joue des coudes pour imposer un semblant d'ordre à la distribution des 450 repas.

Un défi à relever

Une heure plus tôt, cette femme aux cheveux en bataille tenait un rôle plus adapté à sa carrure. Auparavant infirmière psy de nuit dans le Nord, Monique Delannoy a racheté il y a vingt-quatre ans une part de la clientèle du cabinet d'infirmières libérales d'Audruicq, commune rurale de 4 500 habitants située à une trentaine de kilomètres de Calais.

Monique a grandi dans un coron à Sallaumines, près de Lens. Le vrai Nord. « Mon père était mineur de fond jusqu'à la fermeture des puits. La solidarité n'était pas un vain mot... On était mineur avant d'être Polonais ou Marocain ! » Monique a aussi côtoyé de près la maladie, celle des hommes surtout : la silicose, qui ronge les poumons. Pourtant, elle aurait pu aussi bien devenir « assistante sociale, caissière, coiffeuse ou institutrice ». Des métiers courant chez les filles de mineurs. Voire même... « bonne soeur », avoue-t-elle, peu soucieuse des sentiments que ce terme éveille chez ses congénères. Elle optera finalement pour la vie de famille, en adoptant un jeune Polonais de douze ans à la santé fragile.

Les difficultés de sa vie, les quatre infirmières et les deux secrétaires, qui partagent le cabinet situé sur la place du marché, ne les connaissent pas forcément. Dans le hall, elles échangent davantage sur le planning de visites et le temps qu'il fait... Monique ne s'en plaint pas. Derrière des fenêtres aux rideaux jaunis, elle est attendue pour percer un furoncle. Un acte gratuit qu'elle se fera rembourser si le généraliste pense à établir une ordonnance la prochaine fois. Et puis il y a aussi cette vieille dame, mère de huit enfants, à laquelle il faudra mettre des gouttes dans les yeux et déposer la prise de sang au labo. « La place que l'on prend chez les patients est ambiguë. Mon père, atteint d'Alzheimer, est aidé par une auxiliaire de vie, Aline. Il accepte de se faire raser par elle, ce qu'il ne supporterait pas venant de ses enfants. En fait, nous ne sommes pas en concurrence. Là, chez cette dame, je sens bien que je ne prends la place d'aucun de ses huit enfants. » Lucide, elle ne se prend pas pour « le sauveur du monde. Je ne suis pas une invitée dans la vie des gens : je soigne et c'est tout ! ».

Engagée politiquement

Il y a six ans, elle s'est lancée dans la cause des migrants parce qu'il le fallait. « Quand on est fille de mineur, l'engagement politique, c'est la vie. On ne peut pas se comporter naturellement en ignorant les gens qui souffrent à trente kilomètres de chez soi. » Son baptême du feu remonte au cinq novembre 2002, lorsque Nicolas Sarkozy annonce la fermeture du camp de Sangatte. Ce hangar désaffecté protégeait de la pluie et du froid des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants attirés par l'eldorado anglais. Et c'est l'arrêt des permanences de soin tenues par la Croix Rouge. Quatre vingt-dix personnes trouvent alors refuge dans l'église Saint-Pierre Saint-Paul de Calais. Avec d'autres bénévoles, Monique débute des soirées de maraude pour distribuer de la soupe aux migrants disséminés dans la ville et sur le littoral. « On pensait que ça ne durerait que quinze jours. » Mais il y a urgence : les plaies, les coupures causées par les barbelés, les fièvres et les maux de ventre doivent être soignés. Le rituel prend place : sept jours sur sept, Monique soigne dans une camionnette, dos à la porte coulissante, en plein courant d'air. Derrière elle, un migrant s'improvise traducteur. Elle découvrira qu'il s'appelle Réza et qu'il est Afghan : une profonde amitié les liera bientôt, comme mère et fils. Pour le moment, il représente une aide providentielle pour comprendre les patients qui viennent d'Angola, d'Éthiopie, d'Iran et d'Asie mineure.

Six ans plus tard, les migrants errent toujours entre les sites du port et du tunnel sous la Manche, à l'affût des camions qui pourraient les amener en Angleterre. Leurs abris de fortune et les squats se déplacent au rythme des interventions policières. Pourtant, pour Monique, il y a eu une grande victoire. « Fin 2006, nous avons réussi à obtenir la création d'une Permanence d'accès aux soins de santé avec l'hôpital. » Pour elle, c'est la fin d'un exercice de la médecine... pas forcément très légal ! « Le risque que j'encourais, c'était quatre à dix ans de prison et l'interdiction d'exercer mon métier. Mais je savais que ce que je faisais était juste. Il fallait tenir, tenir jusqu'à l'ouverture de cette permanence. »

Double casquette

Aujourd'hui, Martine Devries, médecin généraliste exerçant en libéral à Calais et militante Médecins du Monde, siège au comité de pilotage de la Pass. Elle qui a exercé dans le hangar jusqu'à sa fermeture se souvient de l'infatigable Monique. Cette époque, Réza Akabari, "l'ange gardien", ne l'a pas oubliée : désormais employé à mi-temps par l'hôpital, il continue de mettre à profit sa maîtrise de quatre langues en traduisant les échanges entre migrants et personnel soignant. En blouse blanche, cette fois-ci.

Finies les doubles journées de travail ? Monique vient au moins trois fois par semaine sur Calais. « Mais sans ma trousse d'infirmière », plaisante-t-elle. Femme de terrain, elle aide à la distribution des repas distribués par l'association La Belle Étoile dont elle est désormais la trésorière. C'est elle aussi qui, épaulée de Nadine récemment salariée par l'association (« le bénévolat n'étant pas un métier ! », insiste Monique), fait les courses pour les repas de la "Two O'clock place". À l'occasion, elle met aussi son grain de sel pour que l'hygiène soit respecté dans l'espace cuisine partagé, mis à disposition des différentes associations de son diocèse. L'oreille vissée à son téléphone portable, elle aide enfin les migrants dans leurs procédures de régularisation.

Sa clientèle, c'est désormais - et uniquement - la campagne d'Audruicq. Dans cette localité conservatrice, la double casquette de Monique n'a pas toujours bien été perçue. Ce qui n'empêche pas les mamies de tricoter des écharpes ou de lui donner de vieilles chaussures en chuchotant sur le pas de la porte : « Prenez, on sait bien que ça servira. » Le mot migrant n'est jamais prononcé. Ce n'est pas Monique qui en parlera la première, consciente de ses deux activités bien distinctes d'infirmière et de bénévole. Fille du Nord, Monique n'en est pas moins dame du monde.

Permanence d'accès aux soins de santé

La permanence d'accès aux soins de santé (Pass) a ouvert à Calais le 4 décembre 2006 dans l'ancienne maison du gardien. L'hôpital y emploie désormais une infirmière, Céline Dallery, un interprète, Réza Akabari, une assistante sociale et un médecin qui change à chaque permanence. Les Pass s'adressent, selon les textes officiels de 1998, à tous les exclus du système de santé, qu'ils soient Français ou étrangers. Ici, on soigne des infections ORL, bronchites, plaies de barbelés, mais aussi des cas de galle et de tuberculose. En l'absence

de siège de dentiste et de lits d'accueil, le système est perfectible. Dans l'illégalité, une dizaine de calaisiens accueille à leur sortie les migrants qui ne peuvent pas repartir vivre dans la rue.

EN SAVOIR +

Pour aider l'association La Belle Étoile, envoyez vos dons au : 18 rue Dampierre, 62100 Calais.

D'autres associations interviennent auprès des migrants : Salam (repas du soir et aide administrative) et le Secours catholique (2 repas froids par semaine). Infos et soutiens sur http://www.associationsalam.org et au 170 rue Anatole-France, 62100 Calais (Secours catholique).