Antiviraux spécifiques de la grippe - L'Infirmière Libérale Magazine n° 241 du 01/10/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 241 du 01/10/2008

 

Cahier de formation

Savoir faire

Votre expert-comptable, monsieur Calculette, 45 ans, vous appelle : il y a 2 heures, il est devenu brutalement fiévreux, toussoteux et courbatu. Il pense avoir la grippe parce que la télé a annoncé une épidémie. Son associé est au lit depuis 4 jours et il ne peut pas manquer le travail. Que lui recommander ?

Voir rapidement un médecin pour commencer un «traitement curatif précoce» par antiviral spécifique de la grippe. Pris dans les heures qui suivent le début des signes cliniques, ce type de traitement raccourcit spectaculairement la durée des symptômes.

QUAND UTILISER LES ANTIVIRAUX ?

Les médicaments antiviraux spécifiques de la grippe, disponibles en pharmacie sur ordonnance n'ont d'intérêt médical que si le malade commence le traitement pendant la phase d'incubation («post-contact») ou dans les heures qui suivent le début des signes cliniques («curatif précoce»).

En «curatif précoce», l'efficacité est maximale si le traitement est commencé dans les 12 premières heures (on est «sur pieds» dans les heures qui suivent).

L'efficacité est moyenne si le traitement débute entre 12 heures à 36 heures après le début des signes, et quasi nulle au-delà de 48 heures.

En pratique :

→ les antiviraux spécifiques de la grippe sont des médicaments d'urgence,

→ leur prise doit débuter dans les heures qui suivent le début des signes d'infection, ce qui suppose pour le malade de courir chez le médecin, puis chez le pharmacien. Sinon, l'intérêt de ce type de produit devient vite négligeable.

DÉFINITION

Les antiviraux utilisés actuellement appartiennent à deux familles chimiques différentes.

Anti-M2

La protéine M2 existe à la surface du virus grippal. La famille des anti-M2 comprend :

→ l'amantadine (commercialisée en France sous le nom de Mantadix®),

→ la rimantadine (commercialisée en France de 1987 à 1991 sous le nom de Roflual®).

Actifs contre les virus de types A et C, les anti-M2 sélectionnent rapidement des souches grippales résistantes.

De plus, ils ont des effets secondaires importants et fréquents, en particulier sur le système nerveux (ce qui a justifié également un usage de l'amantadine comme... anti-parkinsonien).

Inhibiteurs de la Neuraminidase (INA)

La famille des inhibiteurs de la neuraminidase (INA) comprend :

→ l'oseltamivir (Tamiflu®),

→ le zanamivir (Relenza®).

D'autres INA sont actuellement en cours de développement. Ils sont actifs contre tous les virus grippaux humains ou animaux, quel que soit leur type, A, B ou C.

La fréquence des sensibilités diminuées aux INA reste habituellement inférieure à 5 % des souches en Europe.

Les antiviraux spécifiques de la grippe complètent mais ne remplacent pas le vaccin. Ils freinent la multiplication virale, très forte pendant les heures qui précèdent ou qui suivent le début des signes cliniques.

SCHÉMAS THÉRAPEUTIQUES

Selon la période épidémique

En période épidémique grippale, deux schémas thérapeutiques sont recommandés.

Traitement curatif précoce

→ Le «traitement curatif précoce» est très efficace s'il débute en urgence, dans les 12 heures qui suivent l'apparition des signes infectieux.

→ Ensuite, plus le délai entre l'apparition des signes cliniques et le début du traitement est long, plus l'efficacité diminue.

→ Commencés après 48 heures, les antiviraux n'ont plus grand intérêt. Le traitement curatif précoce dure 5 jours.

→ De plus, le traitement curatif précoce par antiviral permet à la fois de faire disparaître les signes cliniques et d'acquérir une immunité contre le virus grippal.

Traitement «post-contact»

→ Le traitement peut aussi être commencé pendant l'incubation, après le contact avec un malade grippé et avant l'apparition des signes cliniques de l'infection.

→ Pendant cette phase, la multiplication virale est très intense. On parle alors de «traitement post-contact». Le traitement «post-contact» dure 10 jours.

→ L'acquisition d'une immunité contre le virus est probable, même si elle n'est pas parfaitement démontrée.

Selon la population

Schéma thérapeutique pour les adultes

→ Cf. tableau ci-dessus.

Schéma thérapeutique pour les enfants

La posologie dépend du poids.

→ L'oseltamivir peut être utilisé chez les enfants âgés d'un an ou plus. Il existe des formes pédiatriques (poudre 12 mg/ml) et des gélules dosées à 30 mg et à 45 mg (cf. tableau ci-dessous).

→ Le zanamivir peut être utilisé chez les enfants âgés de 5 ans ou plus. Il n'existe pas de forme pédiatrique.

→ L'amantadine peut être utilisée chez l'enfant âgé de plus d'un an à la dose maximale de 5 mg/kg/jour, sachant que chaque capsule contient 100 mg d'amantadine.

Schéma thérapeutique pour femmes enceintes

→ On manque de données sur une éventuelle toxicité de l'oseltamivir et du zanamivir chez les femmes enceintes. Mieux vaut ne pas en prescrire et privilégier une stratégie de cocooning.

→ En revanche, l'amantadine est formellement contre-indiquée chez les femmes enceintes, en raison des effets tératogènes observés chez des souris.

RÉSISTANCES AUX ANTIVIRAUX

Elles sont fréquentes avec les antiviraux de la famille des anti-M2 (amantadine). Elles sont rares avec les inhibiteurs de la neuraminidase (oseltamivir, zanamivir).

Il s'agit d'ailleurs plus d'une perte de sensibilité in vitro que d'une résistance in vivo. De plus, les virus grippaux - qui sont moins sensibles aux antiviraux de cette famille - perdent du même coup leur contagiosité et leur capacité à provoquer des épidémies.

En 2008, des souches d'une même lignée de grippe A(H1N1) résistant à l'oseltamivir sont apparues dans plusieurs pays. Le mécanisme semble être une mutation spontanée. Cette résistance n'est pas transmissible d'un virus à l'autre. Les cas de grippe dus à ce virus ne sont pas plus graves que les autres et ce variant ne diffuse que faiblement dans la population. Les indications de l'oseltamivir n'ont donc subi aucune modification.

Composition du vaccin

En France, tous les vaccins antigrippaux sont sous forme injectable et leur composition similaire, le choix des souches vaccinales relevant d'une décision publique.

Choix des souches du virus

En effet, chaque année en février, les experts de la grippe se réunissent au siège de l'OMS, pour choisir les souches de virus grippal qui vont composer le vaccin distribué au mois de septembre suivant.

Cet automne, l'OMS a recommandé trois nouveaux virus grippaux, tous isolés pour la première fois à Brisbane (Australie) :

→ A/Brisbane®/59/2007(H1N1),

→ A/Brisbane®/10/2007(H3N2),

→ B/Brisbane®/3/2007 ou son équivalent américain B/Florida/4/2006.

Noms des virus grippaux

A, B : type viral

Brisbane : lieu où ce virus a été isolé pour la première fois.

59 : numéro d'enregistrement sur le cahier du laboratoire qui l'a isolé.

2007 : année au cours de laquelle le virus a été isolé.

Pour la grippe A, on numérote l'hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N) en fonction de leur façon de réagir à nos anticorps.

Vaccins commercialisés

→ Agrippal, suspension injectable ;

→ Fluarix, suspension injectable ;

→ Immugrip, suspension injectable ;

→ Influvac, suspension injectable ;

→ Mutagrip, suspension injectable ;

→ Vaxigrip, suspension injectable ;

→ Gripguard, suspension injectable (vaccin adjuvé) ;

→ Tetagrip, suspension injectable (vaccin antigrippal + antitétanique).

Les vaccins distribués en France contiennent des virus tués (et même tronçonnés), incapables de se réactiver et de redevenir infectieux. Un vaccin antigrippal ne peut pas «donner la grippe». L'apparition d'une réaction fébrile post-vaccinale, peu fréquente, traduit une réaction protectrice efficace. Les autres effets indésirables sont très rares. La seule contre-indication est l'allergie à l'oeuf (cette hypersensibilité est très rare dans notre pays).

Fabrication du vaccin

En raison des mutations incessantes des virus grippaux, il faut modifier le choix des souches vaccinales chaque année à la lueur des virus isolés par les réseaux d'alerte de type Grog. Chaque année, la fabrication du vaccin est donc une course contre-la-montre.

Février : recommandation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les souches de grippe à inclure dans le prochain vaccin.

Mars : validation par les États (pour la France, l'Union Européenne) des recommandations de l'OMS.

Avril - juin : fabrication du vaccin par les producteurs pharmaceutiques.

Juillet - août : évaluation du vaccin produit et tests avant mise sur le marché.

Septembre : mise sur le marché

Vaccin adjuvé

Un des vaccins commercialisés en France (Gripguard®) contient un adjuvant, destiné à exacerber les réactions immunitaires chez les patients dont la capacité d'immunisation est faible. En pratique, ce vaccin adjuvé est réservé aux personnes âgées très dépendantes et, souvent, grabataires. Il ne doit pas être utilisé chez les personnes ayant une réactivité immunitaire normale car, chez elles, il risque de provoquer des réactions trop fortes, sources d'effets indésirables.

Vaccin nasal

Les vaccins antigrippaux par voie nasale ne sont pas utilisés en France. Moins coûteux à produire, ils présentent davantage de risques car ils contiennent du virus grippal vivant «atténué». Or, il n'est pas rare que cette atténuation perde son efficacité et que les virus vaccinaux redeviennent pathogènes..

Le point de vue de ...

« Antibiothérapie chez le grippé ? Pas trop vite ! »

Jean-Marie Cohen, médecin épidémiologiste, Open Rome, et coordinateur national du Réseau des Grog

« La grippe est une maladie virale. Les virus sont insensibles aux antibiotiques. La prescription d'antibiotiques est donc inutile pour réduire les troubles directement liés au virus grippal.

Cependant, en sus des signes propres à l'infection qu'il déclenche, le virus de la grippe perturbe les défenses immunitaires et, après plusieurs jours d'évolution, favorise l'apparition d'infections virales et bactériennes supplémentaires (d'où leur nom de «surinfection»). En cas de surinfection bactérienne, un traitement antibiotique est souvent nécessaire.

Toutes les recommandations émises à partir des données de la science sont formelles : il n'a jamais été démontré que l'administration préventive d'antibiotiques prévenait la surinfection bactérienne. Par conséquent, il ne faut donner des antibiotiques que lorsqu'il y a surinfection bactérienne confirmée, plusieurs jours après le début de la grippe. Toutes les recommandations scientifiques vont dans le même sens, notamment pour lutter contre l'essor de bactéries résistantes aux antibiotiques. »

VRAI-FAUX ?

En cas de grippe, on peut prendre les antiviraux avant de tomber malade.

VRAI. Le traitement peut aussi être commencé pendant l'incubation car la multiplication virale y est très intense. On parle alors de «traitement post-contact».

En cas de grippe, dans les EHPA, ces antiviraux sont réservés aux non vaccinés.

FAUX. En cas d'épidémie nosocomiale dans un EHPA, la prescription d'antiviraux est recommandée, y compris chez les personnes âgées vaccinées.

Grippe et voyages

- Voyages en groupe : les voyages en avion et les déplacements en groupe favorisent les échanges interhumains de virus respiratoires. Le virus grippal se transmet d'autant mieux au sein de telles collectivités que les sujets les plus contagieux sont ceux qui sont asymptomatiques en phase d'incubation.

- Hémisphère Sud et zones intertropicales : l'automne et l'hiver de l'hémisphère Sud correspondent au printemps et à l'été de l'hémisphère Nord. En zone intertropicale, la saisonnalité de la grippe est différente : il peut y avoir 2 épidémies par an ce qui, en pratique, expose à la grippe toute l'année.

- La grippe, un risque pour ceux qui partent en pèlerinage à La Mecque. Le pèlerinage à La Mecque (Arabie Saoudite) est un moment très important pour les musulmans. Comme tous les grands rassemblements humains, La Mecque est aussi un lieu particulièrement propice aux épidémies : grande densité humaine, population venant par avion du monde entier, foules denses facilitant la transmission aérienne, etc. Des alertes épidémiologiques sont données régulièrement par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour aider les pèlerins à se protéger efficacement.

Avant de partir à La Mecque, les pèlerins français savent qu'il faut voir leur médecin pour se vacciner ou se revacciner contre plusieurs maladies infectieuses (méningites, typhoïde, hépatites, diphtérie, tétanos, poliomyélite...). Dans cette liste, on oublie trop souvent la grippe. À chaque expiration, un malade grippé dissémine des millions de particules virales dans une zone circulaire d'environ 2 mètres de rayon. Avant d'aller à La Mecque, mieux vaut donc être également vacciné contre la grippe.