« Arrêtons de vouloir tout prendre en charge ! » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 242 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 242 du 01/11/2008

 

Hugues Gauchez, kinésithérapeute

La vie des autres

Dans son cabinet de la banlieue de Lille, Hugues Gauchez pratique la rééducation respiratoire et cardiovasculaire, essentiellement sur des enfants. Ce praticien hyperactif et manifestement heureux revendique une approche spécialisée d'un métier qu'il souhaiterait davantage lié aux autres professions de santé.

Toucher avec gentillesse, douceur, générosité, mais aussi avec une « extrême compétence », c'est un peu la devise de Hugues Gauchez, kinésithérapeute à Wasquehal (Nord). Rien à voir avec la naïveté du jeune diplômé pas encore rattrapé par les plannings surchargés, les coups de téléphone de patients et de confrères. C'est au contraire le credo d'un professionnel dont la trentaine d'années d'expérience semble s'enrichir encore tous les jours. De 7 heures du matin à 21 heures le soir, plus tard l'hiver, ses mains touchent, massent, poussent et entraînent des corps. De «petits corps», la plupart du temps : 92 % de ses patients ont moins de trois ans. Hugues Gauchez s'est en effet spécialisé très tôt dans la kinésithérapie respiratoire. Non sans avoir déjà pas mal roulé sa bosse...

Un passé d'infirmier

Trop jeune bachelier pour entamer les études de kiné qu'il convoite depuis longtemps [ndlr : il faut être âgé de 17 ans minimum], il obtient une dérogation pour entrer à l'école d'infirmière du CHRU de Lille. « C'est là que j'ai appris, entre autres, le contact humaniste » et l'observation attentive des patients. Hugues Gauchez enchaîne avec les études de kiné, mais en Belgique, « car le diplôme de physiothérapie était reconnu mondialement - sauf en France - et je voulais partir en mission humanitaire et exercer à l'étranger », explique-t-il . Pour financer le tout, il travaille deux ans comme infirmier au Samu de Lille, aux urgences, en maternité, en réa, au bloc... Diplôme belge obtenu, il passe l'examen de kiné français et s'engage rapidement dans la voie de la rééducation respiratoire. « Arrêtons de vouloir tout prendre en charge ! », clame-t-il : le dos, la paralysie faciale, les hanches ne sont pas ses domaines. Il réoriente ces demandes vers des confrères. En revanche, encore tout jeune, il se lance dans la création à Lille du diplôme de rééducation respiratoire et cardiovasculaire, discipline jusqu'alors uniquement enseignée qu'à Paris, et milite pour sa spécialité.

Drainage et hygiène

« Je me suis très vite intéressé à la mucoviscidose : j'ai soigné un premier bébé et puis l'hôpital m'a demandé d'en prendre en charge un second, puis un troisième, et à chaque fois, j'ai pris un nouvel associé ». Son cabinet, spécialisé dans la kiné de la mère et de l'enfant comprend aujourd'hui treize professionnels et prend quotidiennement en charge une quarantaine d'enfants atteints de mucoviscidose, souvent deux fois par jour... Le but d'Hugues Gauchez : éviter la survenue de l'encombrement et, surtout, améliorer la pompe respiratoire de ces enfants pour qu'elle reste performante le plus longtemps possible. « Quand j'ai commencé à prendre en charge des patients atteints de mucoviscidose, le plus âgé avait 16 ans. À présent, les plus vieux ont 30, 40 ans : on sait comment peuvent évoluer les enfants muco d'aujourd'hui. »

Formé au drainage autogène en Belgique, il adapte très vite aux nourrissons cette technique très efficace face à l'encombrement bronchique. Dans la bronchiolite aussi, face à laquelle la médecine finissait par se sentir démunie. « Les asthmatiques ou les insuffisants respiratoires adultes sont coopérants et on les rééduque, explique Hugues Gauchez. Chez le petit enfant, c'est très différent, car comme il ne peut pas communiquer, il n'est pas coopérant : le soin kiné devient presque un soin infirmier. »

Son objectif : libérer les voies aériennes en un temps record pour ne pas épuiser l'enfant .

« Avec beaucoup de douceur », précise le kiné qui s'est aussi formé à l'ostéopathie, de plus en plus sensible au ressenti des bébés. « Cela demande, comme dans le soin infirmier, de ne perdre aucun geste », poursuit-il.

Les kinés et les autres

Outre le drainage respiratoire, considéré depuis la conférence de consensus sur la bronchiolite de 2000 (à laquelle ce kiné a fortement oeuvré...) comme le traitement de première intention, il insiste auprès des parents sur les mesures d'hygiène générale, plus drastiques en cas de mucoviscidose : lavage du nez, température des pièces, hydratation, etc. Militant d'une «modern physiotherapy», Hugues Gauchez estime que « la prise en charge va évoluer vers un «respiratory care» global » par des acteurs de soin d'horizons différents partageant la même démarche thérapeutique.

Focaliser sur les soins respiratoires a d'ailleurs des répercussions en termes d'organisation et de réactivité : comme les infirmières, les kinés spécialisés dans les soins respiratoires doivent assurer la continuité des soins, week-end et jours fériés compris.

Mais pas question pour ce kiné nordiste d'oublier de reprendre son souffle ! Ce qui lui permet de tenir ce rythme trépidant ? Ses trois heures de sport par semaine, ses échappées humanitaires en Afrique, la participation régulière à des séminaires, le contact avec ses confrères et ses patients. Parce qu'on « n'a pas le temps, dans la vie, de ne rien faire ! ».

Il dit de vous !

« Lorsque je croise des infirmières libérales, c'est au domicile des patients. Mais alors que nous, kinés, voyons les patients tous les jours, elles les voient plutôt en période de cure. L'important, c'est que les infirmières jugent la kinésithérapie, plutôt que le kiné ! Si ma séance n'a pas porté tous ses fruits, c'est peut-être parce que le patient n'était pas libre au bon moment : mieux vaut considérer la kinésithérapie dans son ensemble, compte tenu de tous ses facteurs [ndlr : règles d'hygiène, rythme des soins, etc.] et voir comment on peut l'améliorer. Nous avons grand intérêt à avoir un langage cohérent et à travailler ensemble : nous, pour soutenir la démarche des infirmières et elles, pour soutenir celle du kiné en matière de traitement et d'éducation thérapeutique. C'est très bénéfique pour les patients de se sentir pris en charge par une bonne équipe ! »

FORMATEUR DE KINÉS ET D'INFIRMIÈRES

Poser un autre regard sur les patients

Voilà quelques-uns des principes que Hugues Gauchez applique lors de ses interventions dans les formations de kinés et d'infirmières : « Après trois minutes dans la chambre d'un malade, explique-t-il, on doit pouvoir dire si ses cheveux sont ébouriffés, s'il est habillé, s'il a l'air gai ou pas, quelle odeur règne dans la chambre, etc. Cela fait gagner un temps fou et, surtout, cela permet de poser les bonnes questions » Autre outil : la mise en situation pour les kinés, français et étrangers, «dans la peau d'un malade», séance de kiné respiratoire comprise ! Il emmène aussi tous les ans des élèves infirmières au Sénégal où il a créé une filière de soins dans la brousse, pour qu'elles n'oublient pas leur métier de «nurse».