Croiser l'aiguille contre le diabète - L'Infirmière Libérale Magazine n° 242 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 242 du 01/11/2008

 

DORDOGNE

Initiatives

Créer une nouvelle ligne de vêtements pour les diabétiques insulinodépendants ? C'est l'idée qui a germé dans la tête d'une infirmière libérale, Isabelle Fleurance, au fil de ses tournées quotidiennes. Un déclic qui s'est vite transformé en véritable mission.

Au contact de ses malades, Isabelle Fleurance met le doigt sur un problème partagé par plusieurs centaines de milliers de diabétiques : « Ils me présentent toujours le même endroit pour la piqûre. Ce qui risque de créer des lipodystrophies et de gêner la résorption de l'insuline. » Mais comment se piquer plusieurs fois par jour à des endroits différents sans avoir à se déshabiller ? Certains se piquent même à travers leurs vêtements. Et pour les porteurs de pompe à insuline, le problème est analogue : « Ils ne savent jamais où mettre la tubulure ni quoi en faire. » Pour leur faciliter la vie, Isabelle Fleurance décide de créer des vêtements adaptés. Elle se lance prudemment dans l'aventure, en restant libérale à mi-temps. Pour elle, il s'agit plus d'une mission que d'un projet : « Je souhaite avant tout rendre service aux diabétiques, leur apporter quelque chose qui change leur vie quotidienne. »

Un besoin réel

En 2000, elle dépose un premier brevet. En 2003, elle contacte les associations de diabétiques qui relaient un questionnaire à leurs adhérents. Conclusion : l'idée correspond à un besoin réel, à condition que les vêtements ne soient pas trop chers. Dès le départ, c'est la grande difficulté : réaliser des habits spéciaux, en petite quantité et pas trop onéreux.

Avec une couturière de Dordogne, elle commence à concevoir des prototypes de vêtements : jeans et t-shirts offrent des ouvertures zippées ou des trous aux endroits précis préconisés pour les injections, notamment aux bras et aux cuisses. De même, pour les porteurs de pompe, elle conçoit des vêtements et des sous-vêtements avec une poche spéciale à plusieurs épaisseurs, pouvant résister au poids de l'appareil - entre 90 et 120 grammes - sans se déformer. C'est ainsi que naissent un pyjama, une chemise de nuit et des t-shirts, avec la poche sur le devant ou sur le côté, et des fentes latérales pour laisser passer la tubulure tout en la cachant et en la sécurisant.

Afin de préparer les modèles pour enfants, elle va vivre pendant deux jours chez une petite fille diabétique. Et en repart avec l'idée d'un t-shirt enfant à poche inaccessible dans le dos et réversible, pour glisser la poche sur le ventre pendant la sieste.

Derrière l'aspect technique se cache un travail très humain : « C'est ce qui me plaît dans le libéral. Le soin, on en fait vite le tour, mais la relation humaine reste très importante. »

En 2004, elle dépose un deuxième brevet et gagne à Paris le prix du concours Handitec au salon Autonomic, salon où se retrouvent tous les acteurs du handicap et de la dépendance pour une meilleure autonomie des personnes, à domicile et/ou en institution. En 2006, elle créé sa société et l'installe chez elle, dans une ferme du Périgord.

Les difficultés de la fabrication

N'ayant pas trouvé de fabricant en France et aidée par sa couturière, elle part en Indonésie où une école de stylisme lui dessine quelques modèles. Mais les difficultés commencent lorsque son intermédiaire en Indonésie décède brutalement. Elle finit par récupérer les vêtements réalisés mais doit abandonner ses prototypes. Arrivés en France, les vêtements sont commercialisés sous la marque Diacilone, en 2006. Elle abandonne l'Indonésie et se lance, grâce à un intermédiaire français, dans la fabrication en Tunisie. Elle refait des prototypes et attend six mois avant de recevoir les vêtements et de pouvoir commencer à les vendre. La même année, elle gagne le prix Entreprise innovante en Dordogne, dans la catégorie Service. Prix qui lui vaudra de passer notamment au journal télévisé de 20 heures sur TF1.

Si la fabrication a posé quelques problèmes, la diffusion est également compliquée. Isabelle Fleurance ne veut pas ouvrir de boutiques spécialisées. Elle vend ses vêtements par correspondance avec sa boutique Internet : « Il faut que les clients puissent garder l'anonymat et ne pas être étiquetés diabétiques. »

Des malades satisfaits

Pour se faire connaître, elle ne peut donc compter que sur les malades et les associations. Malheureusement, le bouche-à-oreille ne fonctionne pas toujours. Le secret Diacilone semble jalousement gardé : « Les malades sont contents mais ne relaient pas souvent l'info... » Le courrier qu'elle reçoit est pourtant très encourageant : « Porteuse de pompe depuis seize ans, personne ne s'est intéressé à mon cas comme vous l'avez fait et je vous en remercie vivement. Geneviève », « Je vous remercie pour ce que vous faites pour nous, diabétiques : les vêtements sont parfaits et très pratiques. Céline », « Un grand merci pour ces vêtements pratiques et confortables : ça change la vie ! Laure », « J'espère que vous pourrez développer votre catalogue car cela en vaut vraiment la peine : votre idée de poche et d'ouverture est tout simplement géniale. Patricia », etc.

Les chiffres sont là : en France, en 2007, environ 20 000 diabétiques portaient des pompes et plus de 650 000 étaient sous injection. La petite entreprise d'Isabelle ne devrait donc pas connaître la crise.

À l'écoute des demandes

Régulièrement, des lettres lui arrivent aussi, porteuses de demandes précises. Comme Michel, ce cuisinier qui a besoin de pouvoir placer sa pompe dans le dos, à cause de la chaleur des fourneaux. Ou Juliette qui lui écrit : « Pouvez-vous imaginer une collection de slips sexy et jolis, avec une double paroi pour y glisser la pompe et porter des jupes près du corps ? » Ou encore : « Pouvez-vous concevoir une ligne de vêtements de sport pratiques et modernes ? »... L'infirmière est à l'écoute de toutes ces demandes et souhaiterait pouvoir y répondre en développant de nouveaux vêtements adaptés à toutes les situations de vie des diabétiques. « Le problème, c'est que ça coûte très cher de créer de nouveaux modèles. L'idéal serait de travailler en lien avec un fabricant de vêtements et de les adapter pour les diabétiques. »

Les prochains modèles seront fabriqués en France et deux distributeurs spécialisés les vendront également sur leurs sites. Cette année, de nouveaux prototypes sont à l'étude : un harnais ultra-léger, une poche étanche pour Michel, un soutien-gorge de sport pour Juliette, un pantalon avec poche à pompe... Isabelle Fleurance continue de se battre et cherche un partenaire financier ou commercial : « Cette entreprise est difficile à gérer seule, il faut être partout à la fois ! J'ai la passion de donner et de créer, mais pas vraiment celle du commerce. » Une passion qui lui vient de son contact quotidien avec les malades : « J'ai envie de mettre mes idées au service des gens, c'est ce qui me fait prendre des risques et relever des défis... »

Et la libérale n'a pas froid aux yeux. Elle a même contacté un grand couturier : « Je voudrais faire un défilé Diacilone dans un prochain salon du diabète à Paris avec un grand créateur ! » Et rêve de « lancer un grand Diabéthon » pour sensibiliser à la cause qu'elle sert chaque jour.

EN SAVOIR

DIACILONE : site Internet : email : contact@diacilone.fr - tél. : 05 53 08 38 71.

L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES DIABÉTIQUES (AFD) : site Internet :

SALON DU DIABÈTE À PARIS DU 14 AU 16 NOVEMBRE : stand Diacilone tenu par Isabelle Fleurance à l'AFD.