Le soin de ville, une affaire de collaboration - L'Infirmière Libérale Magazine n° 244 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 244 du 01/01/2009

 

PROFESSION

Actualité

RÉFLEXION > Aborder le travail en commun des professionnels de santé libéraux, et plus précisément celui des médecins et infirmiers, oblige à réfléchir démographie, conditions de travail, reconnaissance des compétences et formation initiale. Une révolution en marche ?

À la faveur du 55e congrès de la Fédération nationale des infirmières (FNI) début décembre à Paris, un débat s'est tenu autour de l'idée qu'infirmières libérales et médecins généralistes pouvaient travailler ensemble, coopérer. On s'en souvient, c'est au fil des réunions des États généraux de l'organisation des soins (Égos) de l'hiver dernier, voulus par la ministre Roselyne Bachelot, que s'est ancrée dans les esprits l'idée d'une telle évolution du système de santé français. D'un point de vue purement sémantique, cette nouvelle logique de travail avait suscité des questionnements pas tous résolus. Faut-il parler de délégation de tâches, de délégation de compétences, de transferts de tâches ou de transferts de compétences ?

Délégation de tâches

Comme à l'occasion des Égos, le colloque annuel de la FNI a tendu à montrer que si les plus jeunes se disent prêts à ce travail en collaboration, qu'ils en sont même demandeurs, la chose est moins entendue du côté de leurs aînés. Plus dubitatifs, ils craignent - et l'admettent - pour leur pré carré. Ils partagent en revanche avec les jeunes une inquiétude : il ne faudrait pas que cette délégation de tâches se mette en place pour de mauvaises raisons. Ainsi l'exprime Bérengère Crochemore, présidente de l'intersyndicat national des internes en médecine générale (Isnar-IMG) : « Cela ne sera pas opérant si c'est dans le but de permettre un gain de temps médical. ». En clair : il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Ce n'est pas parce que la démographie des médecins généralistes est dans une situation critique qu'il faut basculer certaines de leurs tâches sous la coupe des infirmières.

Des professionnels et «des murs autour»

Pour autant, insiste le député UMP de la Sarthe, Marc Bernier, auteur d'un rapport sur l'offre de soins sur le territoire en septembre dernier, « si les médecins généralistes disparaissent d'un territoire, il n'y aura plus d'offre de soins sur ce territoire et donc plus de paramédicaux ». C'est la raison pour laquelle le regroupement des professionnels de santé libéraux lui semble « indispensable », au travers notamment de maisons de santé. Une évolution que craignent les professionnels de santé, médecins ou infirmières, peu enclins à être contraints à travailler ensemble. Un point sur lequel, là encore, Bérengère Crochemore se veut porte-parole de sa génération : « Il ne faut pas faire les choses à l'envers. Il faut que les professionnels de terrain soient porteurs d'un projet commun, qu'ils veuillent travailler ensemble. Ensuite, seulement, les murs viendront se mettre autour. » Selon elle, des maisons de santé pluridisciplinaires auraient poussé comme des champignons en région ces derniers mois, financées par les collectivités locales et aucun professionnel ne s'y serait installé : preuve que les professionnels de santé libéraux ne veulent pas se faire dicter leur conduite.

D'ailleurs, note Pierre-Yves Traynard, médecin généraliste investi dans l'éducation thérapeutique aux côtés d'infirmières depuis plusieurs années, « les vrais mouvements de fond ne résultent pas de décisions politiques. Les réseaux, par exemple, ont été créés par les professionnels de santé qui n'en pouvaient plus de travailler tout seuls face à leurs patients ». Pierre-Louis Druais, président du collège national des généralistes enseignants (CNGE), partage cette façon de voir les choses et résume : « C'est à nous de changer les choses, on ne doit pas attendre que la société le fasse pour nous. »

La France en retard ?

Quoi de mieux pour y parvenir que de regarder ce qui se passe ailleurs ? En Angleterre, les infirmières peuvent travailler pour des médecins généralistes, rapporte Sally Kendall, professeur en soins infirmiers à l'Université de Hertfordshire, qui observe qu'en France « l'organisation des soins est plus basée sur les pratiques des professionnels de santé que sur les besoins de la population, contrairement à ce qui se fait en Angleterre ». Outre-Manche, certaines infirmières ont par ailleurs le droit de prescrire, pour peu qu'elles aient les diplômes de spécialisation nécessaires. Même chose en Suisse où il existe désormais une formation universitaire des infirmières, créée avec le soutien de la faculté de médecine. Il existe donc aujourd'hui des infirmières dotées d'un master ou d'un doctorat. De quoi rassurer les infirmières françaises qui, outre le défi que constitue pour elles aujourd'hui le transfert de compétences, travaillent également à la reconnaissance de leurs études via la réforme LMD (licence, master, doctorat) et défendent la possibilité pour leur profession de faire de la recherche. Le problème, s'agissant de formation initiale comme de la place des infirmières libérales au sein du système de santé, c'est, selon la sociologue Isabelle Feroni, que « la profession infirmière a une capacité d'intervention dans la politique de santé faible, à la différence de ce qui se fait dans d'autres pays. Sa représentation politique est insuffisante ».

Témoignage

Gyslaine Desrosiers, présidente de l'Ordre national des infirmières du Québec

« La consultation infirmière s'est développée dans les centres locaux de santé du Québec, faisant apparaître un rôle d'infirmière-pivot dans le suivi des patients et la coordination des soins. Être médecin, c'est établir un diagnostic et un plan thérapeutique. On trouve que le médecin, c'est cher payé pour coordonner des soins déjà diagnostiqués. »

Les généralistes et les infirmières en chiffres

Dans une étude publiée cet été par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), il ressort que, dans 70 % des cas, les généralistes disent avoir eu au moins un contact avec une infirmière libérale durant les quinze derniers jours. Plus de 70 % des médecins généralistes avaient adressé une personne âgée à une infirmière et, dans 95 % des cas, ces médecins se disent satisfaits de la prise en charge de leur patient par l'infirmière. En revanche, ils font état de difficultés en matière de retour d'informations de la part des infirmières.

Source : Études et résultats n°649, août 2008, téléchargeable gratuitement sur