Peut-on accepter les cadeaux ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 244 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 244 du 01/01/2009

 

COMPORTEMENT

Votre cabinet

Les étrennes ne sont peut-être plus à la mode mais la période des fêtes est propice à l'échange de cadeaux entre patients et infirmières libérales. Autant de signes d'humanité dans des situations douloureuses que de sources de questionnement moral et professionnel.

En matière de cadeaux, y aurait-il une différence entre l'infirmière libérale des villes et celle des champs ? C'est bien possible. Sabine, qui exerce en milieu rural, se voit très souvent proposer des courgettes du jardin, de la liqueur maison, des chocolats ramenés d'un voyage en Belgique ou un gâteau fait main. Les patients réguliers de Laurence, dont le cabinet est situé dans une zone très urbaine, lui offrent «juste» une boîte de chocolats ou quelques fleurs à Noël...

Pour Sabine, la problématique du cadeau réside principalement sur la proximité qui s'instaure entre les infirmières et les patients à la campagne : tout le monde se connaît, les infirmières ne sont pas très nombreuses et prennent en charge des patients pendant plusieurs années. Dans le secteur où travaille Sabine, « les patients ont connu mes parents, mes grandsparents, observe-t-elle. Je suis «la petite-fille de»... Et même avec les autres, un lien se crée. » Certains ont fini aussi par connaître ses enfants... « Si vous leur donnez du temps, si vous leur montrez qu'ils existent, les gens vous donneraient leur maison ! », ajoute-t-elle.

Générosité

« On entre en quelque sorte dans la vie des gens, renchérit Laurence, une infirmière du Nord. Cela fait huit ans que je connais certains de mes patients, chez qui je vais presque tous les matins. Et dans une certaine mesure, ils entrent dans notre vie à nous. » La visite de l'infirmière constitue pour une partie des patients la seule de la journée et c'est parfois l'unique personne qui vient encore chez eux prendre des nouvelles... Une relation particulièrement forte s'instaure parfois. Une relation humaine, tout simplement, dans laquelle le cadeau peut trouver sa place. « Au début, je m'attachais beaucoup aux gens, raconte Sabine. Aujourd'hui, je mets une petite distance. » Le déclic ? Un monsieur dont il fallait changer quotidiennement la poche urinaire lui tend un jour une enveloppe contenant 300 euros : elle refuse. « Ce n'est pas pour vous, c'est pour votre fils », lui rétorque le patient. Elle refuse encore. Il essaie alors de lui donner un appareil photo « dont personne ne veut ». Nouveau refus. Son épouse tente à son tour d'offrir à l'infirmière ses assiettes de collection... « Je suis déjà rémunérée pour mon travail ! », répond encore Sabine. « Tout ce qui pour moi relève d'un rapport financier ou d'une valeur, c'est hors de question », résume-t-elle. Mais les patients contournent l'obstacle... en offrant des jouets à son fils ! « Que faire ? s'interroge l'infirmière. Dans notre métier, c'est difficile de tracer la limite entre l'humain et le professionnel ! »

Proximité

Installée en ville, Charlotte reçoit de ses patients réguliers de nombreuses boîtes de chocolats à Noël, jamais plus. Sauf une fois : une dame âgée à qui elle faisait des soins souhaitait lui donner une paire de boucles d'oreilles après son décès mais, le moment venu, les bijoux ne lui sont jamais parvenus. « Je les aurais acceptés, déclare Charlotte, au nom de la superbe relation que nous avions tissée. » Dans d'autres conditions, elle aurait refusé, dit-elle, comme elle refuse de conserver la monnaie des courses d'un papi : « Pas question ! », tranche-t-elle, campant sur son rôle professionnel. D'autres acceptent cependant sans état d'âme, considérant cela comme une sorte de pourboire...

Sabine, de son côté, ne s'est sentie «achetée» par des cadeaux de patients qu'une seule fois, par une dame qui voulait lui offrir une plante, des fruits, à chaque fois qu'elle s'était montrée désagréable avec l'infirmière ! Sabine lui a donc expliqué qu'elle préférait qu'elle se comporte mieux avec elle. À une patiente qui lui offrait des chocolats à chaque fois qu'elle lui rendait un petit service, Laurence aussi a fini par dire «non». Une fois, pourtant, raconte-t-elle, « nous avons reçu une somme d'argent importante à la suite du décès d'un patient. Je m'étais déplacée deux fois cette nuit-là, on le connaissait très bien. Sa femme nous a donné une enveloppe qu'on a voulu refuser parce qu'on était payées pour faire notre travail. Mais, pour elles, c'était inconcevable ! »

Réciprocité ?

Mais, lorsque des patients lui offrent quelques courgettes de leur jardin, Sabine les accepte. « Pour des personnes âgées qui ont une petite retraite, je sais que c'est un beau cadeau, poursuit-elle. C'est un réel plaisir pour eux. Ils sont très sensibles à l'attention qu'on leur porte. » Refuser un tel cadeau, c'est « porter atteinte au plaisir qu'ils ont de vous exprimer leur reconnaissance, estime Sabine. D'ailleurs, ils sont beaucoup plus blessés quand on refuse un petit cadeau qu'un gros ! ». Laurence observe pour sa part que les patients qui n'ont pas forcément de gros moyens sont souvent ceux qui sont les plus généreux.

Parfois, les cadeaux parcourent le chemin inverse. De temps en temps, Sabine arrive avec les croissants chez un patient, rapporte son pain à un autre, ses médicaments à un troisième et quelques oeufs de ses poules à un dernier, « comme avec un voisin. J'aime ce rôle de proximité de l'infirmière »... Après avoir parlé recettes avec une patiente, Laurence revient parfois chez un patient avec un plat qu'elle a cuisiné ou un petit cadeau, mais jamais pour une occasion comme Noël. C'est une décision prise avec ses collègues du cabinet pour des raisons budgétaires.

Humanité

En revanche, tous les patients du cabinet de Sabine reçoivent un petit quelque chose à Noël. Des chocolats pour la plupart, mais aussi une chemise, des pantoufles ou une chemise de nuit pour ceux avec qui une relation « de confiance et de partage » particulière s'est tissée. « On observe ce dont ils peuvent avoir besoin », explique Sabine. La quinzaine de patients réguliers du cabinet dans lequel travaille Charlotte reçoit aussi une petite composition florale en fin d'année et à Pâques, ainsi qu'un petit bouquet de muguet le 1er mai. Les frais engagés sont pris en charge par le cabinet en tant que «cadeaux clientèle». Pour Laurence, « c'est une manière d'exprimer à ces personnes, qu'on voit tous les jours et qui ont souvent très peu de relations sociales ou familiales, qu'on les apprécie ».

À retenir

- Les cadeaux entre patients et infirmières libérales ne sont pas interdits. Ils peuvent être l'expression d'une certaine proximité sociale ou affective, d'une forme de solidarité et d'une humanité à l'oeuvre. Attention toutefois à veiller à ce qu'ils n'interfèrent pas avec la relation de soins.

DON Savoir fixer les limites

Les règles professionnelles n'évoquent pas la question des cadeaux entre infirmières et patients : « elle relève plus de la morale personnelle, de l'éthique de chacun » des soignants, note Marie-Claude Daydé*. Certaines n'acceptent jamais d'argent, d'autres seulement de petites sommes... Chacune met la limite où elle veut, en somme. Lorsque des moments difficiles ont été vécu, le cadeau s'insère parfois dans une dynamique don/ contre-don, ajoute Marie-Claude Daydé. « Qu'est-ce que j'ai donné qui appelle ce don ? », pourraient ainsi se demander les infirmières face à un cadeau. Pour certains patients, notamment ceux qui ne paient pas directement l'infirmière, le cadeau peut exprimer une forme de rétribution ou de reconnaissance professionnelle et/ou personnelle. Il peut aussi s'inscrire dans la simple solidarité, comme les services rendus (rapporter les médicaments, faire une petite course, etc.). « Mais il faut arriver à fixer des limites », insiste l'infirmière.

* Auteur de Regard sur la profession d'infirmière libérale, Lamarre, 2007.