Une clinicienne hors les murs - L'Infirmière Libérale Magazine n° 244 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 244 du 01/01/2009

 

TOULOUSE

Initiatives

Anne Jacquet, libérale dans la région de Toulouse, s'est formée pour exercer autrement. Elle a opté pour la dynamique clinicienne,dont elle apprécie la vision élargie sur l'environnement et les habitudes de vie des patients. Profondément convaincue du bien-fondé de cette démarche infirmière, elle a mis en place un réseau de promotion dans sa région.

«Je me suis dirigée dans cette voie après avoir pris conscience qu'avec ma formation d'infirmière de base, je n'avais pas suffisamment de compréhension ni d'outils sur ce qui se passait dans la relation soignant-soigné, explique Anne Jacquet. Je me retrouvais parfois dans des situations devant lesquelles je ne savais pas quoi faire : face à quelqu'un d'agressif, une personne dans le déni de son handicap ou de sa maladie, un patient qui meurt... Aux urgences, en cardiologie ou au bloc, poursuit-elle, partout c'était la même résonance : je n'avais pas assez de connaissances ni de compétences pour gérer certaines situations de soins. » Les réponses apportées par l'entourage médical ne répondent pas totalement à ses questionnements. « Même avec un triple pontage, remarque l'infirmière, si la personne se sent mal dans sa peau, elle continuera par exemple à mal manger ». Un comportement qui sera forcément préjudiciable sur le plan cardiovasculaire...

Ces situations difficiles se doublent chez Anne Jacquet d'un début de remise en cause du système de santé, au bout de deux ans d'expérience professionnelle. Elle cherche alors pour elle-même la formation qui lui permettrait de mieux comprendre la relation entre l'infirmière et le patient et ainsi enrichir ses interventions soignantes. Le cursus que propose l'Institut de soins infirmiers supérieurs (Isis), le principal lieu de formation sur le sujet, situé en Rhône-Alpes, la tente beaucoup mais elle ne peut pas y participer à ce moment-là. Anne Jacquet se lance donc dans une première formation en conseil de santé holistique, assez générale. « Cela m'a déjà permis de mieux comprendre, commente-t-elle, mais je ne pouvais pas déployer ces connaissances dans mon activité en établissement. Je me suis donc installée en libéral, en conseil holistique pour enfants. Cela n'a pas marché : j'avais fait la formation d'infirmière, j'étais infirmière. Je ne pouvais pas ne pas exercer ce métier. »

Soigner vraiment

Elle s'installe finalement comme infirmière clinicienne à domicile. « Je me disais que, dans les soins à domicile, je pourrais vraiment déployer mon art, agir un peu plus comme je le voulais, avec une certaine liberté. Et c'est ce qui s'est passé », affirme Anne Jacquet.

À domicile, elle fait par exemple beaucoup de toilettes : les connaissances complémentaires qu'elle a acquises lui permettent notamment de réduire l'agressivité des patients. « Elles m'ont aussi permis, techniquement, de confirmer et d'écrire aux médecins ce que je faisais : au travers des diagnostics infirmiers, des soins déployés et de l'interprétation que je peux en faire grâce à mes connaissances scientifiques, je soigne vraiment la personne », estime-t-elle. Cette manière très clinique d'aborder le soin s'exerce d'abord par l'observation. L'infirmière analyse les comportements de la personne, ses réactions face à la maladie : douleur, peur, stratégie d'adaptation...

Dans le dossier de soins qu'elle remplit, elle définit le problème du patient puis détermine les objectifs de soins. Il s'agit, toujours dans le cas d'une douleur, de vérifier le traitement antalgique bien sûr, mais aussi de proposer une mobilisation qui limite la douleur et d'aider la personne par exemple par l'apprentissage de la respiration profonde ou de la visualisation de ce qui apaise.

Cette pratique suscite en elle un fort sentiment de réalisation professionnelle : « J'ai acquis la sensation d'aider vraiment la personne dans sa maladie », se félicite Anne Jacquet. À côté de la médecine, dont elle souligne la part très importante dans la prise en charge, l'infirmière clinicienne résume ainsi son rôle : « Le médecin s'occupe de la maladie, moi je m'occupe de la personne avec son handicap ou sa maladie. L'infirmière voit le patient au quotidien, pas le médecin. Il y a beaucoup de choses qu'il ne peut pas voir. »

Tout en entamant la formation d'infirmière clinicienne dispensée par Isis en validation des acquis de l'expérience (VAE), elle y est devenue elle-même formatrice sur la relation d'aide, les soins et la communication par le toucher, une démarche qui lui tient beaucoup à coeur, longtemps pratiquée au quotidien.

Une formation centrée sur le patient

La formation d'infirmière clinicienne proposée depuis plus de quinze ans par Isis s'inspire de l'expérience suisse où Rosette Poletti avait importé cette démarche née aux États-Unis : une ouverture vers une évolution du métier d'infirmière différente de l'encadrement ou de la spécialisation, comme l'explique Jean-François Negri, le directeur de l'institut de formation. Une démarche qui prend selon lui encore plus de sens à l'heure où l'on réfléchit aux «coopérations» entre professionnels médicaux et paramédicaux, et aux contours de leurs professions et champs d'intervention. « La formation porte sur les bases, les fondamentaux des soins : les modèles conceptuels, la démarche de soins, les outils de transmission, poursuit le directeur. Elle aborde aussi tout ce qui touche au raisonnement infirmier, à la pratique réflexive. »

La formation comprend aussi un enrichissement des compétences en communication (relation d'aide, introduction au changement dans une équipe, échanges interpersonnels, réflexion éthique, etc.) et l'accent est mis sur les réactions humaines face aux problématiques de santé, l'éducation thérapeutique mais aussi la relaxation, les techniques de toucher-massage, etc. Les thèmes de la douleur, des soins palliatifs ou encore la consultation infirmière sont également abordés. À la clé, un certificat d'approfondissement à la démarche clinique infirmière, non obligatoire pour exercer, puisque le titre d'infirmière clinicienne n'a toujours rien d'officiel aujourd'hui. Certains syndicats y travaillent...

Asteria, un réseau de promotion de la santé

Aujourd'hui, Anne Jacquet a arrêté le soin à domicile pour se consacrer au réseau de promotion de la santé Asteria, qu'elle a créé avec six autres infirmiers cliniciens en septembre 2006. Une démarche dont la configuration est unique en France. « Le but, explique-t-elle, c'est de proposer aux personnes qui souhaitent améliorer la gestion de leur santé de les accompagner sur cette voie pour qu'ils puissent redevenir acteurs, créateurs et auteurs de leur santé. » Depuis deux ans, une équipe travaille en coordination permanente sur quatre secteurs de la métropole toulousaine : elle est formée d'une infirmière clinicienne, d'un ostéopathe, d'une diététicienne et d'un professionnel de la relation d'aide. « Lorsqu'une personne souhaite être accompagnée par nous, poursuit Anne Jacquet, elle est reçue par l'infirmière clinicienne. Ou alors c'est elle qui vient au domicile pour un entretien d'une demi-heure durant lequel la personne détermine son projet de santé. »

Quelle que soit la nature du problème (trop de stress au travail, effets secondaires d'une chimiothérapie...), l'équipe et la personne déterminent, en fonction de sa demande et de son contexte de vie, ses besoins et ses objectifs. « Cela peut passer par des consultations avec l'infirmière clinicienne, le professionnel de la relation d'aide ou l'ostéopathe. Et si la personne a besoin d'autre chose, nous pouvons l'orienter vers un médecin, un kinésithérapeute... » Sur une période donnée, les consultations ont lieu à domicile ou au cabinet des professionnels sur le principe de l'éducation populaire, précise Anne Jacquet : « La santé est imprégnée du cadre de vie de la personne, de ses relations personnelles, familiales, professionnelles... »

Le réseau, qui est intervenu en 2007 auprès d'une cinquantaine de personnes, a obtenu le financement de ses interventions dans le cadre de la formation des aidants naturels d'une personne dépendante* et pour l'organisation d'ateliers collectifs de proximité, mensuels, autour de l'alimentation et de l'activité physique. Même si quelques mutuelles ou caisses de retraite mettent parfois la main à la poche, les consultations sont encore payantes pour les autres. Le réseau milite d'ailleurs auprès de la CPAM pour leur remboursement (au moins celui de la consultation d'évaluation) au même titre que les soins curatifs... « C'est très important de rendre accessible, financièrement, les soins de prévention, martèle Anne Jacquet. Sinon, les gens n'iront pas ». Ils attendront d'être malades pour obtenir des soins remboursés... Une vieille rengaine qu'Asteria essaie de bousculer.

*Huit consultations d'infirmière clinicienne, quatre de psychologue, deux de diététicienne, deux d'ostéopathe et deux de conseil en économie sociale et familiale sont remboursées.

Une spécialité en quête de reconnaissance

« Il apparaît souhaitable de créer le métier d'infirmière clinicienne spécialiste », indiquait le doyen Berland dans son rapport sur la coopération des professions de santé en 2003. Depuis, malgré le soutien de certains syndicats, comme l'Association nationale des Infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide), le dossier n'a pas particulièrement avancé.

Le congrès européen* des infirmières cliniciennes, spécialistes cliniques et consultantes qui se déroulera à Paris les 5 et 6 février 2009 appuiera-t-il la cause des cliniciennes françaises ?

*Renseignements sur . webisis.com/Bienvenue.html

EN SAVOIR +

→ Sur le réseau Asteria (Toulouse) : 05 61 61 05 05.

→ Sur la formation des infirmières cliniciennes d'Isis :