HAUTES-PYRÉNÉES
Initiatives
Blandine Nélien, après avoir connu la grisaille parisienne, a choisi d'exercer en zone montagne où elle conjugue sa passion de l'altitude avec le métier d'infirmière libérale. En hiver, ses talents sportifs deviennent même une solution pour atteindre les patients isolés.
Les flocons ont tout recouvert ces derniers jours. Le contraste saisissant entre le ciel bleu et le paysage habillé de blanc invite les randonneurs à chausser les skis. Pour Blandine Nélien, ce serait criminel de ne pas en profiter.
C'est à l'adolescence qu'elle découvre les cimes. Elle ne pourra plus s'en passer, été comme hiver : randonnée, alpinisme, raid, bivouac ou ski de randonnée nordique, toutes les formules qui visent à sillonner les massifs lui conviennent. Elle initie également son futur compagnon de route et mari aux charmes du dénivelé en effectuant la traversée de la Corse par le GR20.
Blandine Nélien doit pourtant se contenter d'y goûter dans le cadre limité de ses jours de congés. Infirmière hospitalière, elle exerce en région parisienne. Alors, ses séjours dans les Alpes, c'est la soupape de sécurité... Trois enfants et quelques années plus tard, la famille, poussée par les hasards de la vie, s'est enfin rapprochée de ses chers sommets. Cela remonte à 1994 : une annonce pour reprendre la clientèle d'une infirmière libérale installée dans les Pyrénées retient l'attention de Blandine.
Cap sur Bagnères-de-Bigorre, petite ville thermale située à l'entrée de la vallée de Haute-Bigorre. Les environs sont dominés par les 2 877 mètres du célèbre Pic du Midi et de l'observatoire astronomique (bâti à partir de 1878) qui le coiffe. Cette fois-ci, Blandine est au coeur de son sujet.
Mais la transition n'est pas simple. S'adapter à l'activité libérale a bien failli se solder par un véritable fiasco : peu rompue aux subtilités comptables, Blandine ploie sous les charges et ne compte plus ses heures. Elle doit même assurer quelques remplacements afin de compenser les erreurs d'Urssaf. Puis, peu à peu, le quotidien s'organise et les sorties en famille se font plus fréquentes.
Aujourd'hui, les enfants ont grandi. À quarante-quatre ans, Blandine Nélien a réussi, après quelques aléas, à mettre en place avec ses collègues un véritable esprit d'équipe au sein du cabinet. « Nous sommes trois et je travaille dix jours par mois, ce qui me laisse le temps pour la montagne, pour gérer la maison et me montrer présente auprès des enfants. À trois infirmières, la gestion des congés ou des problèmes de santé qui peuvent surgir est aussi simplifiée. Mais c'est un équilibre instable. »
Il y a trois ans, elle s'équipe : skis de randonnée, peaux de phoque... Elle peut à présent savourer à sa guise son temps libre et gagner les espaces vierges, contrairement aux adeptes du ski de fond ou du ski de descente, qui doivent s'en tenir aux pistes prévues à cet effet. Sa spécialité, c'est la randonnée nordique.
Par ce mode de randonnée, très répandu en Scandinavie, il devient possible de traverser les forêts, de suivre les crêtes, de glisser sur les hauts plateaux ou de croiser les traces d'un chevreuil.
Point besoin de balisage pour Blandine. En randonnée nordique, le sentiment de découverte et d'aventure est même une condition sine qua non. Forcément, il faut savoir lire le paysage et respecter les informations fournies par la météo. Pourtant, si l'on s'en tient à des reliefs doux, la randonnée nordique n'exige pas de réelles compétences techniques. En revanche, la condition physique est essentielle : avec la neige, le temps d'ascension est quasiment doublé. Enfin, le matériel est lourd. Et, une fois le sommet de l'itinéraire atteint, la pente et le plaisir de la glisse sont au rendez-vous... à condition de maîtriser vitesse, poudreuse et même verglas ! « Ce qui m'attire, dans les conditions extrêmes, c'est l'expérience de la solitude des espaces désertiques, spécialement en hiver », précise Blandine.
Parfois, reconnaît-elle, il faut s'avouer vaincu et faire demi-tour ou modifier l'itinéraire initialement prévu. Il y a aussi les passages devenus impraticables, où la boue se substitue à la neige. Il est alors nécessaire de déchausser et de porter le matériel ! Cependant - les yeux brillants de Blandine en témoignent - les moments magiques gomment les contrariétés : « Je me souviens d'un jour où nous étions partis tard. Nous avons démarré en fin d'après-midi, un soir de pleine lune, un ciel rempli d'étoiles au-dessus de nos têtes. C'était splendide. Arrivés au refuge des Oulettes de Gaube [ndlr. au-dessus de Cauterets sur le chemin du Vignemale], tout le monde était déjà couché. Nous avons débouché la bouteille de vin tant bien que mal - nous avions oublié le tire-bouchon - bien au chaud près du poêle. De tels instants sont irremplaçables. » Bien qu'expérimentée, Blandine, emportée par son enthousiasme, n'en commet pas moins des erreurs : « Le lac de Gaube était gelé et je me suis éloignée un peu trop dangereusement de la rive enneigée. Résultat, j'ai traversé la glace et mon ski s'est retrouvé prisonnier. Heureusement que je n'étais pas seule... »
Exercer en montagne, dans un milieu exigeant et fascinant, c'est aussi aller à la rencontre des gens qui habitent en fond de vallée, dans les villages mais aussi dans les hameaux plus ou moins isolés. « Une tournée, c'est en moyenne 150 km de routes à parcourir chaque jour, et de novembre à janvier, il faut compter avec la neige et le verglas. On a toutes plié au moins une fois la tôle dans la région ! De toute façon, dans ces cas précis, on modifie la tournée en gérant d'abord les priorités. Car il vaut mieux attendre que le chasse-neige passe. J'ai déjà dû chausser les skis pour me rendre chez un patient. Ma collègue, par exemple, garde une pelle dans son coffre de voiture. Mais ce sont souvent les gens qui déblaient eux-mêmes en prévision de notre venue. » Toutefois, Blandine ne boude pas son plaisir et il lui arrive parfois de faire sa tournée en tenue de ski : levée à 5 heures et, à peine la tournée achevée vers 13 heures, elle se lance directement à l'assaut du Signal de Bassia (1 921 mètres), au-dessus du lac de Payolle.
« Dans ces lieux isolés, des liens se créent. On côtoit aussi des cas de longues maladies... Alors, quand je vois qu'il manque quelque chose chez un patient, comme du pain, j'en rapporte la fois suivante. De leur côté, les malades et leurs parents nous montrent leur attention en préparant les spécialités locales : le pastet (galette de farine de maïs), les merveilles (beignets de carnaval)... »
Le territoire révêle bien des richesses aux travers de personnages atypiques. Certains sont simplement porteurs d'une mémoire ou d'un mode de vie qui disparaît, tel ce patient qui a bâti tant de maisons en pierre de façon traditionnelle, en se servant essentiellement des matériaux disponibles alentour.
Une autre rencontre marquante pour Blandine a été celle de José Carmouze, décédé en 2007 : il était le dernier porteur du Pic encore témoin de l'histoire mythique du fonctionnement de l'observatoire. Époque où l'approvisionnement en matériaux et le ravitaillement se faisaient à dos d'homme, au rythme de la montagne et de ses caprices. En toutes saisons, gravissant près de 1 850 mètres de dénivelé depuis le dépôt de Gripp, les porteurs, au péril de leur vie, acheminaient jusqu'au Pic le nécessaire à la subsistance (plusieurs y ont d'ailleurs trouvé la mort). En 1951, le téléphérique a pris le relais depuis la Mongie, à quelques pas du Tourmalet. José Carmouze racontait également l'intimité de la cité d'altitude, puisqu'il y avait «résidé» en tant que cuisiner, intendant, boulanger, pâtissier et même pour assurer le ménage.
« Il y a aussi cet ancien guide avec qui on discute volontiers des courses en montagne. Il me parle des secteurs à découvrir et me donne des idées. La pratique de la montagne est un sujet de conversation, mais c'est surtout là où je puise mon énergie. » Les hauteurs lui permettent d'entretenir sa vocation d'infirmière et de rester disponible face aux pathologies rencontrées.
→ Le portail des pratiquants du ski de randonnée nordique et des raids pulka :
→ Le site de la Fédération française de la montagne et de l'escalade :
→ À lire : Ski de randonnée, Des premières traces aux grands raids, de Éric Delaperrière aux éditions Glénat. L'auteur jette les bases de l'apprentissage, présente le matériel, la préparation d'une course, parle des conditions de neige, d'orientation en altitude...