FAUT-IL DÉPENSER PLUS POUR SOIGNER MIE UX ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 247 du 01/04/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 247 du 01/04/2009

 

Santé publique

Le débat

Nos gouvernements successifs cherchent constamment à diminuer les dépenses de santé. N'y aurait-il pas pourtant un intérêt à dépenser encore plus pour la santé ? Faut-il nécessairement réduire ce poste de dépenses ?

Brigitte Dormont

Professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine, auteur de Les dépenses de santé, une augmentation salutaire ? (éditions rue d'Ulm, février 2009)

Pourquoi les dépenses de santé augmentent-elles ?

On avance souvent le vieillissement de la population comme explication à la croissance des dépenses de santé. En réalité, il ne joue qu'à la marge. Le vieillissement de la population est un mouvement très lent alors que les dépenses croissent beaucoup plus vite. Il est vrai que plus on est vieux, plus on dépense pour sa santé. Mais pour un âge et un état de santé donnés, on dépense plus en 2009 qu'en 2000. La diffusion des innovations médicales explique cette augmentation. L'opération de la cataracte est en ce sens un exemple éclairant. Le coût par opération a diminué dans les dernières décennies. Mais, au total, le coût de traitement de la cataracte a augmenté en raison d'une généralisation de l'opération à des patients de plus en plus nombreux. Le mieux-être apporté par la restauration de la vue pour de nombreuses personnes va de pair avec une dépense accrue.

Économiquement parlant, est-ce une mauvaise chose que de consacrer 11 % de la richesse nationale à la santé ?

Très peu de gens se posent la question en ces termes. Il faut mettre la dépense de santé en regard de ce que l'on a en contrepartie : amélioration de la qualité de vie, accroissement de la longévité, diminution du handicap... Au total, les gains sont très nettement supérieurs au coût de la santé. Une étude exploratoire américaine montre que les gains en longévité équivalent à plus de 30 % du produit intérieur brut. Cela accrédite l'idée qu'il est très bénéfique de dépenser pour la santé.

Quel serait le niveau souhaitable de dépenses ?

Le principe de l'économie, c'est qu'il est opportun de dépenser tant que cela rapporte plus que ça ne coûte. Précisons d'ailleurs que l'on ne se pose la question que parce que la santé est financée par prélèvements obligatoires, de manière socialisée. Si la santé relevait de choix privés, comme la téléphonie mobile, on ne se poserait pas la question de l'opportunité d'un tel niveau de dépenses.

Jean de Kervasdoué

Professeur d'économie au Conservatoire national des arts et métiers, auteur de Très chère santé (édition Perrin, janvier 2009)

Pourquoi les dépenses de santé augmentent-elles ?

Il y a plusieurs raisons : les dépenses ne sont pas contrôlées, il y a eu les 35 heures à l'hôpital, on a beaucoup d'hôpitaux, on a augmenté la rémunération des médecins plus vite que l'on n'a augmenté le reste de la population, leur nombre a augmenté. Sans compter que l'on prescrit trop parce qu'on paie mal les médecins généralistes, tant en termes de modalités que de montants, ce qui les conduit à prescrire trop.

Économiquement parlant, est-ce une mauvaise chose que de consacrer 11 % de la richesse nationale à la santé ?

Les Français confondent la notion de santé et la notion de soins. Ils pensent à tort que plus on dépense pour les soins, meilleure est la santé*. C'est faux. Aux États-Unis, les dépenses de santé représentent 16 % de leur produit intérieur brut. Ils ne sont pas pour autant en meilleure santé que les Français. La France est le troisième pays en termes de dépenses de santé et continue, année après année, à charger les générations futures d'apurer sa dette, toujours plus conséquente. La Suède, de son côté, est le pays où l'on vit le plus vieux en Europe. Pourtant, ils ne consacrent que 9,1 % de leur richesse nationale à la santé. La différence entre la Suède et la France, c'est tout de même 40 milliards d'euros !

Quel serait le niveau souhaitable de dépenses ?

Est-ce qu'il y a véritablement un bon niveau de dépenses ? La réponse est non. Au-delà de 6 à 7 % du produit intérieur brut consacrés à la santé, il n'y a plus du tout de lien entre la dépense et les indicateurs de santé. Encore une fois, ce n'est pas parce que l'on dépense plus que l'on soigne mieux. Enfin, les économistes posent la question de l'opportunité de dépenser plus dans un domaine que dans un autre. L'argent est rare. Quand on le dépense ici, on ne le dépense pas là ; ce que l'on met dans la santé, on ne le met pas dans l'éducation. Or nous avons démontré que les gens qui vivent le plus vieux en France sont ceux qui ont été élevés par une maman éduquée.

* Cette analyse est corroborée par celle de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, dans son analyse sur «Douze ans d'Ondam (1997-2008)» qui vient d'être publiée.