L'ennemi du stress - L'Infirmière Libérale Magazine n° 247 du 01/04/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 247 du 01/04/2009

 

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Initiatives

Alors que la cadence de l'exercice infirmier libéral ébranle la santé de certains de ses confrères, Gérard Clarys a opté pour un rapport résolument zen avec ses patients. Depuis un an, il tient un cabinet de sophrologie à Wattignies, près de Lille. Infirmier-sophrologue, tout un état d'esprit.

La lumière est tamisée. Le silence total. Une douce odeur d'huile essentielle se dégage tandis que des volutes de fumée colorée s'échappent du diffuseur qui passe lentement du vert au rouge. Paupières closes, cinq femmes sont assises sur des chaises dans la pièce aux murs vert d'eau.

Une voix chaude et profonde monte dans le silence : « Vous vous installez dans une position confortable, pieds posés à plat, respiration abdominale. Vous vous imaginez dans un endroit que vous aimez. Sur l'expiration, vous vous dîtes : «Je me sens calme...» » La voix qui guide la relaxation, c'est celle de Gérard Clarys.

Cet infirmier libéral de 48 ans a ouvert un cabinet de sophrologie il y a un an. Nous sommes à Wattignies, près de Lille.

« La sophrologie, on peut en parler pendant des heures ! », s'enthousiasme-t-il. Il commence avec assurance par crever l'abcès : « Pour la majorité des gens, c'est l'inconnu, donc cela fait peur... Il faut démystifier. C'est vrai que c'est loin de notre culture occidentale, mais il s'agit juste d'une technique basée sur des exercices. Il n'y a aucune manipulation mentale, et ce n'est pas de la pratique religieuse ou sectaire. » Un pan du voile se lève.

Il y a dix ans, Gérard Clarys découvre l'existence d'un diplôme universitaire (DU) de sophrologie à l'université de Lille. Il plonge, gardant à l'esprit les bienfaits d'un stage de gestion du stress. « Je n'aurais pas cru que ce DU allait me transformer à ce point... Cela a été un vrai bouleversement. J'ai commencé à ressentir au fond de moi une grande sérénité, à regarder ma vie et le monde autrement. Avec l'envie d'aller plus loin dans le développement de mon potentiel. » Trois ans et beaucoup de travail personnel plus tard, diplôme en poche, il ouvre son propre cabinet de sophrologie, à côté de son cabinet de libéral. Car le sophrologue ne délaisse pas sa première passion : infirmier.

Le goût de la polyvalence

Cette passion ne s'est visiblement pas émoussée avec le temps. Gérard Clarys passe son diplôme en 1983 et commence sa carrière en tant qu'infirmier à l'armée pendant un an. Puis il travaille dans divers services hospitaliers. En 1986, il se marie et part avec sa jeune épouse - elle aussi infirmière - pour un an en mission humanitaire avec Médecin sans frontières (MSF). Direction l'Ouganda, en guerre civile à l'époque. « Une expérience très riche : cela a été la meilleure période de ma carrière, malgré le danger... »

À son retour d'Afrique, en 1987, il devient libéral et ouvre son propre cabinet : il a 26 ans. Depuis, sa passion du libéral ne l'a pas quitté. « On a des rapports humains que peu de métiers offrent. J'aime aussi cette liberté. L'autonomie n'a pas de prix : avoir des responsabilités, être son propre patron. J'apprécie la polyvalence du libéral. »

Lancer des passerelles

Pour lui, devenir sophrologue s'inscrit dans la continuité de son travail de thérapeute. Pas question d'abandonner le métier d'infirmier : « Je perdrais le plaisir de voir mes patients. J'ai besoin de rencontrer les gens chez eux. » Dans sa pratique d'infirmier, Gérard Clarys s'occupe de nombreux polyhandicapés et grabataires. Il exerce aussi une bonne partie de son temps dans une zone défavorisée. « C'est important pour moi de garder le contact avec la souffrance, avec la réalité du terrain. »

Aujourd'hui, l'homme à la double casquette estime avoir trouvé un bon équilibre professionnel. Qui a un prix. « Je travaille autour de 70 heures par semaine. » Lundi, mardi, vendredi matin et un week-end sur trois, il fait ses tournées de libéral. Mercredi et jeudi, il est sophrologue.

Mais, à bien l'écouter, les frontières ne sont pas étanches. Gérard Clarys reconnaît que sa pratique de la sophrologie a beaucoup changé sa façon d'être infirmier. Pour lui-même déjà : « Je suis moins stressé. Je cours moins, je travaille plus doucement. Quitte à faire des journées plus longues ou à dire non à un surplus de travail, ce que je ne faisais jamais avant. » Et le résultat est là. « J'ai plus de plaisir avec mes patients : la dimension humaine est plus profonde. Je vis désormais chaque soin comme une rencontre avec une personne. » Ses patients en profitent : « La relation de soin devient un plaisir partagé. » L'infirmier leur fait aussi directement bénéficier de sa pratique de sophrologue : « Je constate que beaucoup de pathologies et de souffrances sont dues à un excès de stress. Il m'arrive de les relaxer juste par la respiration. »

Inversement, le savoir-faire infirmier est un plus pour la sophrologie, constate-t-il : « Quand les gens me parlent de problèmes physiques, je suis plus précis sur le plan corporel. » Ne demandez pas à Gérard Clarys de choisir entre ses deux passions : « Pour moi, c'est important de faire les deux. »

« Je n'avais plus envie de vivre »

Pour comprendre la sophrologie, Gérard Clarys prévient : il faut « oser remettre en question notre façon de penser ». Concrètement, à quoi sert cette technique venue d'Orient ? Elle offre une solution contre le stress, les douleurs, l'insomnie, les problèmes digestifs, sexuels, de poids, de peau liés au stress, de dos, les migraines, le manque de concentration, les pulsions violentes... Elle est aussi utilisée en préparation à l'accouchement et comme technique contre la douleur dans les hôpitaux. La sophrologie se pratique en séances individuelles ou en cours collectifs.

Jacqueline, la soixantaine rayonnante, vient depuis un an. Elle témoigne avec pudeur : « Avant de venir ici, je n'avais plus envie de vivre. J'avais des tâches trop lourdes à assumer : un travail difficile, la maladie d'Alzheimer de mon mari... » Et aujourd'hui ? « J'ai repris confiance en moi. J'ai appris à me détendre. J'accepte la maladie de mon mari. Cela m'a permis de continuer à vivre... » On la croit volontiers : à voir son sourire et son regard lumineux, on a du mal à imaginer une femme au bord du gouffre il y a un an.

Gérard Clarys explique le changement. « La sophrologie permet de porter un autre regard sur nos épreuves et donc à mieux les traverser. Ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui nous font mal, mais la façon dont nous les regardons. »

Comment ça marche ? « On commence toujours par une relaxation physique. Tout passe par le corps : quand il est détendu, le mental se détend. La sophrologie permet de les remettre en harmonie. »

Corriger ses angoisses

Jacqueline est allongée sur un épais tapis, sous une couverture, la tête posée sur un coussin moelleux. La voix basse reprend : « Vous laissez venir à vous une situation difficile que vous avez vécue ces derniers jours, sans la juger. Vous l'acceptez telle qu'elle est. Puis vous la laissez partir par votre respiration. Vous diffusez le bien-être dans votre corps. » Les cinq femmes allongées semblent plongées dans une détente profonde. « Vous vous projetez dans une situation prochaine. Vous l'imaginez de manière positive, avec ce même état de détente. Puis vous la laissez partir pour retrouver votre respiration agréable... » Par la relaxation et la méditation, Gérard Clarys invite les gens à « corriger mentalement les angoisses ». Pour lui, la sophrologie, c'est une technique qui « déborde sur un art de vivre, une philosophie de vie ».

Mais il n'est pas exclusif dans sa pratique. Il a suivi une formation au massage ayurvédique(1) et commence à pratiquer cette activité. En même temps, il s'est formé à la technique de détente par la cohérence cardiaque(2). Actuellement, il entame une formation au massage psycho-sensoriel. « Je suis ouvert à plein de choses. Ce qui compte, c'est de m'enrichir de tout ce qui peut être utile. » Et d'accomplir sa vocation de thérapeute au service du bien-être de ses patients.

(1) La médecine ayurvédique est une médecine indienne, très ancienne, qui repose sur le principe de l'entretien du corps en bonne santé pour éviter de tomber malade.

(2) En harmonisant vos rythmes biologiques avec une respiration lente, vous donnez un signal d'apaisement à votre corps. Infos sur du Dr Servan-Schreiber.

La sophrologie, c'est quoi ?

La sophrologie a été créée en 1960 par un neuropsychiatre colombien, le professeur Alfonso Caycedo. D'abord dans un but thérapeutique, elle s'est aussi développée dans le milieu social, sportif et pédagogique. Elle s'inspire de techniques issues du yoga indien, du bouddhisme tibétain et du zen japonais. Le yoga indien offre une connaissance du schéma corporel ; le bouddhisme tibétain une visualisation de son corps, et le zen japonais une méditation corporelle. Il y a trois degrés différents dans la sophrologie : chacun se réfère à l'une de ces trois disciplines. Au fil des séances, le sophrologue reprend les trois degrés.

EN SAVOIR +

Le site de Gérard Clarys :

Le site de la Société française de sophrologie :

Vaincre par la sophrologie, docteur Raymond Abrezol, Édition Vivez Soleil, juin 2004.