Le dossier partagé - L'Infirmière Libérale Magazine n° 247 du 01/04/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 247 du 01/04/2009

 

RECUEIL DE DONNÉES

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Avec la multiplication des réseaux de santé sur tout le territoire, les outils qui permettent le partage de l'information relative au suivi du patient prennent de l'importance. Cahier de liaison, classeur de transmission, dossier patient partagé via un site Internet par les professionnels d'un même réseau de soins... Enquête sur le terrain, en Maine-et-Loire.

Les professionnels de santé qui prennent en charge les personnes âgées dépendantes au sein du réseau gérontologique du Sud-Saumurois (dans le Maine-et-Loire) « ont vite compris l'intérêt et la nécessité de partager entre eux les données médicales de leurs patients, témoigne Joëlle Servins, l'infirmière coordinatrice de ce réseau qui compte actuellement 45 infirmières libérales. Elles utilisent le classeur de transmission laissé au domicile du patient. Leurs passages à domicile sont fréquents - une à plusieurs fois par jour - et elles ont besoin de transmission «au chevet» du patient et non au cabinet comme les médecins généralistes. »

Une mine d'informations

Créé en 2000, ce classeur s'est progressivement étoffé. Il comprend un répertoire des intervenants du domicile, un planning hebdomadaire des interventions (utilisé surtout par les aides à domicile mais qui intéresse aussi les infirmières), des transmissions en cas de nécessité sur des thèmes précis (comme l'alimentation, la digestion, etc.), les examens biologiques, les prescriptions médicales, les fiches médicaments remplies à chaque passage par les infirmières et des informations concernant la prise en charge sociale. Le classeur reste à domicile. Le patient donne son accord pour son utilisation.

Des liens formalisés avec les aides à domicile

Patricia Courriault est l'une des premières infirmières libérales à avoir adhéré à ce réseau. Membre du conseil d'administration et représentante à ce titre des professions libérales, elle a fait sien ce mode de communication. « Le classeur facilite notre tâche, nous évite les coups de fil aux médecins ou les petits mots qu'on leur laissait auparavant sur des bouts de papier, estime cette infirmière exerçant en libéral depuis 1997 sur le secteur de Doué-La-Fontaine. Il a toute sa place dans la prise en charge globale effectuée au sein du réseau. Le fait par exemple d'y avoir inséré les feuilles blanches qui recensent les interventions des aides à domicile - plus proches du patient car présentes plus souvent - est très intéressant. Cela permet de mieux coordonner notre travail. »

Un rapport modifié avec patient et famille

Le travail avec un classeur de liaison entraîne un changement de taille pour les infirmières libérales. D'abord, d'un point de vue organisationnel : la visite à domicile va durer un peu plus longtemps (entre 5 et 10 minutes par patient en plus sur une semaine, selon Patricia Courriault), pour prendre connaissance des dernières informations et écrire ses propres remarques et constatations. Ensuite, le changement va être perceptible dans le rapport au patient et à sa famille. L'outil de liaison reste au domicile et appartient au patient. « Les familles et les patients le lisent beaucoup, remarque Patricia Courriault. Globalement, ils sont très exigeants. Il arrive fréquemment qu'ils nous demandent pourquoi on a téléphoné au médecin s'ils ont lu qu'on allait le faire. En même temps, la famille arrive à mieux appréhender le suivi médical, l'évolution de l'état de santé de leur proche et surtout ses besoins, dont elle n'a pas toujours conscience. » Tout est affaire ensuite de psychologie.

Le poids des mots

Patricia Courriault avoue adapter le contenu au patient et à sa famille. Une tension élevée mais une tendance à l'angoisse ? L'infirmière préfère ne pas en faire mention dans le classeur et téléphoner directement au médecin traitant. Même précaution quand certains termes ou informations pourraient être mal compris ou perçus par le patient et sa famille. « Le terme «alcoolique» par exemple qui peut être inscrit dans le dossier médical sera enlevé du classeur, note Joëlle Servins, coordinatrice du réseau gérontologique. C'est une question de confidentialité que l'on aborde avec les professionnels. »

Se prémunir

Entre respect d'une certaine confidentialité et mise à disposition d'un tel outil qui, justement, incite les différents intervenants à le renseigner le mieux (et le plus) possible pour que ce travail de coordination puisse s'effectuer, il n'est pas toujours aisé de trouver l'équilibre. D'autant que le patient peut être coacteur de ce classeur de transmission, comme c'est le cas au sein du réseau nantais Respecticoeur* où ce dernier est invité à inscrire les données de son autosurveillance. Patricia Courriault, elle, a pris le réflexe de tout noter ou presque, pour se prémunir contre les reproches éventuels. « C'est ce que je conseille à mes collègues », ajoute-t-elle.

Et demain, un dossier en ligne ?

Tout cela devrait encore évoluer avec l'avènement du dossier patient partagé via Internet. Le réseau gérontologique du Sud-Saumurois s'est lancé dans l'aventure il y a un an grâce à la création de la plate-forme régionale de télésanté des Pays de la Loire. Pour le moment limité à l'équivalent de trois cantons du secteur, le service couvrira dans l'année à venir l'ensemble du périmètre du réseau. Utilisé actuellement par les médecins libéraux, ce dossier informatique permet de faciliter les échanges, par exemple en cas de diagnostic difficile. À terme, les infirmières devraient pouvoir y trouver leur compte.

Au stade expérimental

Outre les espaces de travail collaboratif, qui offrent un terrain sécurisé pour échanger de la documentation ou créer des forums de discussion thématiques, elles pourraient accéder à davantage d'informations : les évaluations gériatriques et nutritionnels, les comptesrendus des médecins spécialistes transmis par mail... Enfin, la technique devrait s'améliorer également. Un stylo à mémoire retranscrirait sur l'ordinateur de l'infirmière les observations notées au domicile du patient ; ces dernières seraient transmises ensuite à l'ensemble des intervenants... Mais tout cela devra passer par une phase d'appropriation technique.

*Lire à ce sujet notre rubrique Initiatives parue le mois dernier (ILM n°246).

TRANSMISSION Une exception faite au respect de la vie privée

Le réseau gérontologique du Sud-Saumurois, comme tout autre réseau de santé, a fait valider son classeur de transmission et son dossier patient en ligne par la Commission nationale informatique et liberté (Cnil). La loi du 4 mars 2002 et son article L.1110-4 pose comme principe que « toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement,

un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ». Mais, « deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible ».

En bref

- Le travail au sein des réseaux de santé repose sur le partage des informations relatives au suivi du patient entre les différents professionnels. Les outils tels que classeur de transmission et cahier de liaison ont fait leur preuve.

- Le formalisme offert par ce dossier partagé oblige toutefois l'infirmière libérale à une plus grande vigilance. La fiche récapitulative au traitement médicamenteux du patient devra par exemple être remplie avec le plus grand soin : le patient et sa famille vont s'y référer souvent.

- Les déplacements à domicile répétitifs freinent pour l'instant l'usage du dossier patient partagé sur Internet avec les autres professionnels du réseau, car cela obligerait l'infirmière à remplir de nouveau le dossier du retour au cabinet. La technique ne permet pas encore de solutionner ce problème. Une plus grande informatisation du dossier imposerait de toute manière aux infirmières de s'équiper et de se former. Y sont-elles prêtes ?

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