« N'importe laquelle aurait pu perdre la vie » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 248 du 01/05/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 248 du 01/05/2009

 

PROFESSION

Actualité

JUGEMENT > C'est autour de cette phrase et portées par le souvenir de leur consoeur libérale étranglée le 23 décembre 2006 par un patient que les infirmières d'Ardèche se sont retrouvées au palais de justice de Privas. Trois jours pour juger le meurtrier d'Élisabeth Stibling.

Le soir du 23 décembre 2006, une infirmière libérale est appelée par un patient pour une injection urgente de cortisone. Au cours de l'échange téléphonique, rien de suffisamment alarmant ne l'amène à refuser de venir le soigner. Le patient et l'infirmière ne se connaissent pas, ne se sont jamais vus. Elle ne sait pas que, «déstabilisé» par l'annulation de la venue de son ex-compagne et de ses enfants pour les fêtes de Noël, le patient, Christian Lopez, a déjà passé plus de cent coups de fil ce jour-là pour assouvir une envie de «discuter». Un des derniers appels de sa journée sera pour le service des renseignements téléphoniques, qui lui confie le numéro d'une infirmière libérale exerçant à proximité.

Lorsqu'Élisabeth Stibling, 46 ans, arrive au domicile du patient à Aubenas, elle lui réclame l'ordonnance du médecin pour l'injection de cortisone. Mais c'est un couteau qu'elle voit arriver. Après avoir lié les poignets de sa victime, Christian Lopez l'emmène à quelques kilomètres, sur une aire de pique-nique qui lui rappelle « les bons moments partagés avec ses enfants » dira-t-il, et l'étrangle. L'assassin évoquera une confusion dans son esprit entre le visage de son ex-femme et celui d'Élisabeth Stibling. Le corps inerte de l'infirmière est ensuite déposé dans le coffre de son véhicule. Christian Lopez regagne son domicile, appelle son ex-compagne puis la police... et son avocat.

UMD ou prison ?

Lors du procès en assises qui s'est ouvert le 31 mars dernier à Privas, les jurés n'ont pas suivi la défense, qui les invitait à privilégier les soins psychiatriques plutôt que la prison. Alors que l'avocat général requérait trente ans de prison, Me Alain Fort a plaidé pour que son client, un « fracassé de l'enfance », soit hospitalisé en unité pour malades difficile (UMD)*. Âgé de 41 ans, l'accusé a déjà passé plus de huit années derrière les barreaux pour braquage de pharmacie et autres vols aggravés. Au moment du meurtre, il était sous tutelle renforcée.

Psychotique et agoraphobe, Christian Lopez absorbe quotidiennement de très fortes doses de neuroleptiques et d'antidépresseurs. Toutefois, les expertises psychiatriques qui se sont succédées ont conclu à l'altération grave du discernement au moment des faits et non pas à son abolition. Ce qui le rend donc pénalement responsable au titre « d'enlèvement et séquestration, suivis de mort, en état de récidive ». Après trois heures de délibéré, la cour l'a condamné à 24 ans de prison assortis d'une peine de sûreté de 16 ans.

Une obligation de soins

Une infirmière libérale de la région a été appelée à la barre au troisième jour du procès, pour témoigner de l'exercice infirmier au quotidien. Andrée Palm, déléguée du Syndicat national des infirmiers et infirmières libérales (Sniil), a tenu à rappeler que la profession infirmière est encadrée par la loi et que cette même loi implique des devoirs : « Nous avons obligation de prodiguer des soins à tous, quel que soit notre sentiment. » Elle a souligné que ce meurtre a profondément choqué la profession : « Chacune savait que cela aurait pu être n'importe laquelle d'entre nous. Mais, pour sa famille, ça n'a pas été n'importe qui. C'est Élisabeth qui s'est rendue au domicile pour soigner et c'est la mort qui l'a trouvée. »

Quelques heures après l'intervention d'Andrée Palm et jusqu'à la reprise de l'audience, des infirmières libérales de la région se sont réunies sur les marches du tribunal de grande instance de Privas pour un rassemblement silencieux organisé autour d'une banderole et de la photo de la victime.

Solidarité

Parmi elles, Nathalie Fargier, l'ancienne associée d'Élisabeth Stibling, qui confie que « le lendemain du meurtre, il a bien fallu assurer la tournée, expliquer aux patients que leur infirmière ne reviendrait plus. Le fait que ce soit un autre patient qui l'ait tuée, c'est quelque chose d'effrayant. L'élève infirmière qui était venue effectuer un stage pendant l'été est venue me prêter main forte pour la tournée, c'était important d'être à deux. » Une réunion d'information à l'intention des infirmières avait été organisée quelques jours plus tôt à l'initiative de l'association Marjorie (cf. encadré), le 24 mars à Aubenas, pour évoquer le déroulement du procès et les y préparer. Mais, hormis les deux infirmières appelées à témoigner à la barre, très peu ont eu le courage d'assister au procès.

* Dans ce contexte particulier, les soins psychiatriques peuvent être prodigués par les services médicaux psychologiques ou dans les unités pour malades difficiles (UMD), au nombre - insuffisant -de cinq pour toute la France.

Témoignage

Carole Laurent, présidente de l'association Marjorie*

« J'ai créé cette association d'aide aux victimes en 2004, suite à l'assassinat de Marjorie Vigouroux, une aide-soignante de vingt ans qui résidait dans ma ville. Les parents de Marjorie étaient déboussolés, rien n'était prévu pour les aider. Bénévolement, nous soutenons donc avant mais aussi après le procès les familles au niveau administratif, juridique, psychologique, financier et moral. Nous en encadrons actuellement huit, résidant en Ardèche du Sud. Dans cette affaire, c'est Claude Stibling, l'époux de la victime, qui m'avait contactée [ndlr. : il est décédé d'un malaise cardiaque l'an dernier]. Depuis, je suis en contact permanent avec ses enfants, c'était important d'être là, avec eux. Des liens se créent, forcément. »

*Contact : Association Marjorie, 3 rue Notre-Dame, 07170 Villeneuve-de-Berg. Tél. : 06 86 66 43 42.